L'Association des lecteurs et usagers de la Bibliothèque nationale de France (ALUBnF) définitivement persona non grata à la Bibliothèque nationale de France (BnF) ? La première révèle ce début février avoir été « dédomiciliée », du site de Tolbiac par l'institution, « afin d'éviter toute ambiguïté sur les liens existants entre notre établissement et votre association ». C'était l'adresse de l'ALUBnF depuis 2014, sauf qu'en 2022, l'opposition de cette dernière à la restriction des communications décidée par la direction, est allée jusque devant les tribunaux. Alors, vengeance ?
Le 14/02/2024 à 18:14 par Hocine Bouhadjera
7 Réactions | 1898 Partages
Publié le :
14/02/2024 à 18:14
7
Commentaires
1898
Partages
Hugo Poux, vice-président de l'ALUBnF, explique auprès d'ActuaLitté : « Dans un de nos derniers fils sur X, nous avons révélé les décisions de la direction. Celle-ci affirme être ouverte au dialogue, mais en réalité, pendant dix ans, personne n'avait contesté notre domiciliation, et cette question n'avait jamais été soulevée jusqu'à ce qu'elle décide subitement de la remettre en question. »
Un retour sur les relations des deux dernières années entre les deux parties, offre des explications sur la volonté de la BnF de prendre à présent clairement ses distances avec l'association de lecteurs et usagers.
En mai 2022, la bibliothèque était secouée par un vaste mouvement de protestation, mené par les usagers et les syndicats d'agents. En cause notamment : l'annonce de la restriction des horaires de communication des documents au sein de la bibliothèque de recherche sur le site de Tolbiac. Une tribune avait été rédigée par l'ALUBnF et les représentants élus des usagers au conseil d’administration de la BnF, appelant entre autres à « conserver, dans la plénitude de son service public, ce fleuron de la recherche et de la culture qu’est la Bibliothèque nationale de France ».
Parmi les près de 350 signataires, les Goncourt Lydie Salvayre et Éric Vuillard, le membre de l'Institut et historien, Dominique Barthélemy, le philosophe et professeur au Collège de France, Alain de Libera...
Malgré cette large mobilisation, et ce durant des semaines, - jusqu'à la tenue d'une conférence de presse dans le hall de la BnF, avec notamment la présence d'un autre Prix Goncourt, Laurent Binet -, le Conseil d'Administration de la bibliothèque a finalement entériné en juin les réformes de la direction. Des amendements ont été concédés néanmoins, à la marge : la communication directe est finalement possible à partir de 12h et la réservation des documents, la veille, jusqu'à minuit.
Mais pour l'ALUBnF, le « préjudice aux lecteurs de la BnF » est toujours là : l’association dépose un recours auprès du tribunal administratif, afin de faire annuler ce changement. Cette concession ne revenait pas véritablement sur le principal argument des opposants à la réforme, selon cette dernière : le travail de recherche nécessite de pouvoir rebondir avec souplesse d'un document à l'autre et donc que la communication directe des documents soit possible toute la journée. Pour les usagers non parisiens, la multiplication des passages à la BnF est par ailleurs complexe.
« Après cette période, les communications entre la direction et l'association ont été plus difficiles », constate son vice-président, Hugo Poux.
En septembre 2022, une réunion avec la directrice de l’administration et du personnel, Marianne Lucidi, et le directeur juridique, Stéphane Alcandre, pose le cadre : l’ALUBnF reste tolérée tant qu’elle reste invisible : ni affichage ni permanence. En revanche, « il a été affirmé qu'il n'y aurait pas de problème concernant la question de la domiciliation de l'ALUBnF, une position maintenue depuis le départ », nous confie son vice-président.
En revanche, les représentants de la direction s’inquiètent déjà d’une possible confusion vis-à-vis du grand public entre l’institution et l’association. En raison du nom qui comporte la mention BnF et de la domiciliation à Tolbiac, l’ALUBnF pourrait apparaître comme une émanation officielle de la bibliothèque. Or elle est bien indépendante, « ce qui a toujours été souligné », assure Hugo Poux. Par ailleurs, elle n'a jamais eu officiellement de local à la BnF.
Après un premier recours en justice infructueux, l'association décide de faire appel, qui est toujours en cours d'instruction. La goutte d'eau qui a mis le feu aux poudres ?
Dans un courrier daté du 12 juillet 2023, adressé à la présidente de l'ALUBnF, Nathalie Sage Pranchère, le directeur général de la BnF, Kevin Riffault, annonce la décision de mettre fin à la domiciliation de l'association, arguant qu'il n'y avait pas de lien privilégié avec la bibliothèque. Et d'espérer que ce changement d'adresse puisse se concrétiser dans les trois prochains mois.
Une période durant laquelle l'association décide de ne pas réagir, concentrée sur la campagne pour l’élection des représentants des usagers, dit-elle, qui culmina en octobre : près de 400 votants sur les quelque 60.000 inscrits, avec une centaine de voix non comptabilisées en raison de règles de votation complexes. Sur les quelque 300 votes validées, et en présence de 4 binômes de candidats au total, ceux de l’ALUBnF en récoltent 172. Dominique Dupart, élue et secrétaire de l’ALUBnF, a, de fait, déjà constaté à de multiples reprises un traitement différencié à son égard par rapport à l’autre élu, « sans étiquette ».
Derrière cette expression de « domiciliation », il y a concrètement une bannette de courrier, installée au niveau de l'accueil du hall Est à partir de l'été 2022, pour le courrier de l'ALUBnF. Avant cette demande officielle de dédomiciliation de la bibliothèque, dès l'automne 2022, « sans que nous en soyons informés », le courrier a cessé d'y être déposé, pour rester au service courrier, « espace qui n'est pas immédiatement accessible pour qui n’est pas membre du personnel de la BnF », nous explique l'association.
Autre acte d'hostilité ? En tous cas, une situation qui rend la récupération du courrier bien plus compliquée, causant des retards parfois importants.
En décembre 2023 cette fois, une seconde missive, toujours signée du directeur général de la BnF Kevin Riffault, qui ne laisse aucune place à l'ambiguïté : « En tout état de cause, à compter du 1er février 2024, la décision qui vous a été notifiée le 12 juillet sera effective et les services de la BnF ne seront plus en mesure de prendre en charge votre courrier à compter de cette date. » Et de demander « de bien vouloir me confirmer que vous avez procédé au changement de domiciliation ».
Pour l'ALUBnF, l'enchaînement des faits est troublant, cette dédomiciliation coïncidant avec sa décision de contester en justice. « La BnF n’a pas supporté ce très beau mouvement social qui a réuni chercheurs, employés, magasiniers, bibliothécaires il n’y a pas encore si longtemps, et elle se venge, tout simplement. David contre Goliath », a-t-elle notamment posté sur X.
Et de continuer : « Sans honte, la BnF fait le choix de dédomicilier l'AluBnF, car elle ne supporte pas la démocratie, son seul modèle de gouvernance, c’est celui du haut fonctionnaire sans âme qui n’a pas ouvert un livre depuis 3 siècles. Lisez ce courrier méprisant et hypocrite. »
Un représentant du personnel CGT BnF, contacté par ActuaLitté, valide cette analyse, mettant en exergue le rôle clé de l'ALUBnF dans les mobilisations 2022 : « Grâce à son action déterminante, la cause a gagné en visibilité, notamment à travers la tribune, ce qui n'a pas été du goût de la direction de la BnF ».
Il a pris connaissance de la procédure de dédomiciliation en automne, et la juge « extrêmement regrettable ». Il y voit un élément de petites vexations, témoignant « d'une incapacité à admettre ses erreurs » pour la direction, et caractéristique « de la manière dont l'administration de la BnF traite les associations de lecteurs ». Plus généralement, la CGT souligne les tentatives de la direction de la BnF de marginaliser ces dernières, en privilégiant les représentants élus au conseil d'administration (CA).
Contactée sur cette lecture de sa décision, la BnF n'a pas répondu à nos sollicitations.
Une question se pose à présent : où aller ? « Choisir l'adresse d'un membre ou d'un cadre de l'ALUBnF est impensable ; notre domiciliation à la BnF s'impose naturellement », constate Hugo Poux : « Notre activité reste indissociablement liée à la bibliothèque, malgré la complexité de nos rapports avec sa direction », analyse-t-il.
Un recours est-il envisagé ? « Administrativement, nous restons domiciliés quai François-Mauriac. Et pour l’instant, aucune démarche juridique n’a été menée à notre encontre », nous assure l'association, « mais cette situation crée une incompréhension profonde qui décourage l'engagement des membres bénévoles, qui consacrent pourtant leur temps à assister et aider les usagers », continue-t-elle.
C’est à présent la possibilité pour l'ALUBnF de remplir les missions qu’elle s’est fixée qui se pose, car la direction lui a par ailleurs refusé le droit d'organiser des permanences et d'afficher à la BnF : « Notre seul moyen de communiquer directement avec nos usagers », rappelle Hugo Poux.
L'association ajoute : « Alors, oui, depuis le printemps 2022, l’ALUBnF a parfois dû, et elle le regrette, agir en dehors des règles, mais communiquer avec le public, c’est le cœur de l’association. Sans affichage, ni tractage, ni permanence, c'est extrêmement difficile ! C’est comme si la direction ne supportait pas qu’on puisse discuter entre nous, lecteurs et lectrices, sans avoir de comptes à lui rendre. » Et de mentionner au passage la « Communauté des Usagers », instance de dialogue mise sur pied et régie... par la BnF.
La crainte, à présent que la direction de la bibliothèque ne cache plus, au minimum, son inimitié à leur égard : l'application stricte du règlement, soit exclure de la bibliothèque des membres de l'ALUBnF : « Ce serait nous priver de nos cartes d'accès et, par extension, de notre outil de travail », décrit le vice-président.
À LIRE - À la BnF, un blocage pour protester contre la réforme des retraites
L'association et ses membres n'espèrent à présent qu'une chose : réaliser, dans les meilleures conditions possibles, « un rôle de médiateur » entre les usagers et le personnel, et la direction, mais aussi entre les lecteurs et le personnel, lorsqu'un problème se présente : « Rendre meilleures les conditions d’accès et de travail du public, par le dialogue. Et au-delà, partager nos expériences positives de la bibliothèque » résume Hugo Poux .
Et de conclure : « Il ne faut pas oublier qu’on est bénévoles parce qu’avant tout, on l’aime, la BnF. »
Crédits photo : Réunion en juin 2022 de l'ALUBnF avec le MESRI, afin de discuter en amont des restrictions horaires de la communication directe (de gauche à droite : Nathalie Sage Pranchère, présidente ; Francisco Roa Bastos, trésorier ; Dominique Dupart, secrétaire. ALUBnF.
7 Commentaires
adnstep
14/02/2024 à 20:51
"près de 400 votants sur les quelque 60.000 inscrits"
On frise des records de participation.
Solzasco
15/02/2024 à 10:18
"La goutte d'eau qui a mis le feu aux poudres " Encore une citation abusivement attribuée au pauvre Ponson du Terrail?
adnstep
15/02/2024 à 19:52
Vous remuez le couteau sur le feu, là.
mystere
15/02/2024 à 16:21
Le rêve de tout fonctionnaire c’est de ne pas être en contact avec les usagers, comme ils disent.( on devrait dire « épuisés ») Le Covid - et la grande trouille qu’on a encouragée - ont été une belle occasion de se débarrasser des usagers, donc du travail.
Époque inquiétante : ceux qui doivent servir les citoyens se servent des citoyens; on pourchasse les opinions « déviantes » ( bientôt plus le droit de contester les ukases sanitaires) ; tentative de mettre au pas les médias dissonants. RÉVEILLONS NOUS!
Toinou
17/02/2024 à 10:25
Jacques Roubaud a écrit un texte très plaisant sur ce thème (et parlant de la même institution) disponible ici : https://books.openedition.org/pressesenssib/115
Professor Ramani Hettiarachchi
15/02/2024 à 17:01
Dear Colleague,
I really appreciate your wonderful input and your efforts to start having an excellent discussion on enlightening others about current labour issues.
kind regards,
Ramani Hettiarachchi
Google Translate
17/02/2024 à 08:35
Cher collègue,
J'apprécie vraiment votre merveilleuse contribution et vos efforts pour commencer à avoir une excellente discussion visant à éclairer les autres sur les questions actuelles du travail.
cordialement,
Ramani Hettiarachchi