Une journée professionnelle de réflexion sur la place de la littérature pour la Jeunesse, conjointement organisée par la Société des Gens de Lettres (SGDL), La Charte des auteurs et Illustrateurs pour la Jeunesse et l'Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF), s'est tenue le mardi 15 mai 2012 à l'Hôtel de Massa. Suite à un état des lieux du secteur en guise d'introduction, abordant ses principales évolutions passées, présentes et futures, plusieurs thématiques ont été abordées à l'occasion de ce panorama : les relations entre les auteurs et les éditeurs, la traduction des livres pour la jeunesse et l'action des passeurs du livre pour la jeunesse. Nous nous intéresserons ici en particulier à la question de la rémunération des auteurs et illustrateurs de littérature jeunesse, leur survie faisant l'objet d'une vive inquiétude et le souci de se confronter à cette question traditionnellement éludée étant aujourd'hui partagé par les organisateurs de la journée.
Depuis le 1er janvier 2008, le Centre National de la littérature pour la jeunesse – La joie par les livres est un service du département Littérature et art de la Bibliothèque nationale de France. L'intégration de la littérature jeunesse au sein de la BnF témoigne pour Jacques Vidal-Naquet, directeur de ce service, de l'obsolescence du débat sur une prétendue sous-littérature, œuvre de « sous-auteurs ». Pourtant, Claude Combet, journaliste à Livres Hebdo, affirme que lorsqu'elle propose un article qui traite de la littérature jeunesse, elle doit se battre « comme une lionne ». La valeur accordée à la littérature jeunesse, qui se traduit notamment par la légitimité ou l'illégitimité d'une critique dont elle ferait l'objet, apparaît ainsi loin d'être acquise aux yeux de tous. Si elle reçoit une critique très importante dans d'autres pays, en France, nous explique la journaliste, « les gens ne sont pas formés à juger la qualité littéraire et artistique » de ces œuvres, ce qui explique, outre le manque de visibilité de cette création dans les médias, la tendance à la rédaction de simples « critiques d'humeur », sur le mode « j'aime / je n'aime pas ». Ainsi, le changement institutionnel n'est-il pas automatiquement concomitant d'une évolution du sens commun.
Cette position symbolique et matérielle inférieure de la littérature jeunesse explique-t-elle la faiblesse de la rémunération de ses auteurs ? En effet, si l'on estime que la moitié des auteurs dans leur globalité touchent moins de 8% de droits d'auteur, Emmanuel de Renvergé, juriste du Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs (Snac), affirme que 100% des auteurs de littérature jeunesse se trouvent dans cette situation, leur rémunération avoisinant le plus souvent les 4-5 à 6%.
Le thème des relations auteurs-éditeurs a fait l'objet de l'une des tables rondes de la journée, modérée par l'auteur Maïa Brami et rassemblant Marie Sellier, auteur et vice-présidente du Conseil Permanent des Ecrivains, Hedwige Pasquet, présidente des éditions Gallimard Jeunesse, Géraldine Alibeu, auteur et illustratrice, et Emmanuel de Rengervé. Le ton est donné par Maïa Brami. Elle se réfère au 4ème baromètre des relations auteur-éditeur (Scam) qui révèle une crispation au sein du « couple » : 31% des auteurs considère que la relation qu'ils entretiennent avec leur éditeur n'est pas satisfaisante. Si, comme le font remarquer certains, les tensions sont consubstantielles au « couple » et non spécifiques à la relation qui unit l'auteur et son éditeur, il semble néanmoins que certains facteurs aient structurellement changé les termes de cette relation, et notamment la remise en cause de l'inégalité de leur rétribution par rapport aux autres auteurs : puisqu'il est aujourd'hui de bon ton d'affirmer que la littérature jeunesse n'est pas une « sous-littérature », les auteurs de cette création à destination de la jeunesse remettent en cause la dévalorisation de leur métier liée à la sous-rémunération dont leur production fait l'objet.
Hedwige Pasquet explique la faiblesse de la rémunération des auteurs par des caractéristiques propres à la production éditoriale jeunesse. Aujourd'hui, le grand format constitue la norme. Or le prix moyen du livre jeunesse grand format est inférieur à son homologue de littérature générale : un ouvrage de fiction jeunesse coûte entre 14 et 16 € tandis que le roman adulte est facturé entre 20 et 24 €. Cet écart entre le coût de fabrication et de revente du livre jeunesse affecte l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre jeunesse. Le prix de vente n'est objectivement pas élevé, explique Hedwige Pasquet, mais il est perçu comme tel. De même, un album pour enfants sera vendu en moyenne de 18 à 20 € alors que sa fabrication coûte aussi cher qu'un beau livre d'art.
Hedwige Pasquet explique par ailleurs que les formats du livre jeunesse sont très divers, avec pour conséquence des coûts de tirage très importants. Aussi, les avances sont proportionnellement adaptées aux tirages moyens, en baisse dans le cadre de la littérature jeunesse comme dans le reste de la (sur)production éditoriale. L'augmentation constante de la production littéraire à destination de la jeunesse, qui a porté le nombre de nouveautés à 8 883 en 2010 (Electre) n'est pas liée selon Hedwige Pasquet à la multiplication des titres chez tel ou tel éditeur, mais à la prolifération de maisons d'édition à destination de la jeunesse. Elle a pour conséquence la faiblesse de la vente de certains titres, à laquelle n'échappent pas les créations éditées par de grandes maisons comme Gallimard : certains titres ne dépassent pas les 300 ventes dans l'année.
Marie Sellier affirme qu'aujourd'hui, les auteurs de littérature pour la jeunesse ne peuvent pas vivre de leur plume. Si certains soulignent que cela n'est ni nouveau ni spécifique à ces auteurs, l'auteur affirme avoir connu une époque où elle pouvait vivre de son art. Le fonds était suivi et les livres pouvaient être vendus pendant dix ans. Du fait de la surproduction, de la diminution des tirages, de la durée de vie très restreinte des ouvrages au sein des librairies qui ne sont pas matériellement en mesure d'abriter cette production et ne peuvent pas toujours laisser au livre le temps de rencontrer son public, la plupart des auteurs ne touchent aujourd'hui guère plus que leur maigre à-valoir. De même que l'auteur, Hedwige Pasquet regrette la diminution du fonds de littérature jeunesse, qui fait également vivre les éditeurs en règle générale.
Celle-ci constate par ailleurs qu'un éditeur n'est pas toujours en mesure d'absorber toute la production d'un auteur et/ou illustrateur sur une année, bien que la rémunération de l'ensemble de la production d'un créateur soit nécessaire pour lui assurer une rémunération suffisante. Marie Sellier expose l'une des conséquences de la faiblesse des droits d'auteur et du manque de débouchés de leur production : beaucoup d'auteurs gagnent leur vie en faisant de l'animation, en milieu scolaire notamment. « C'est bien, mais cela ne doit pas se développer au-delà d'un certain ratio. » Les auteurs et illustrateurs ne sauraient devenir les « VRP » de leurs ouvrages. « C'est un autre métier » et la création, cœur du métier qu'ils ont choisi, requiert du temps. Aussi, dans l'audience, un auteur fait remarquer que les auteurs-illustrateurs doivent « se partager une seule part du gâteau » et que des raisons économiques peuvent amener des illustrateurs et des auteurs à endosser la double casquette d'auteur et d'illustrateur. Des auteurs remarquent enfin que parfois ils ne sont pas avertis de la traduction de leurs ouvrages en langues étrangères, et ne perçoivent alors aucune rémunération.
Comment un créateur peut-il vivre de son métier ? Comment peut-il avoir des revenus suffisants, lui permettant de payer ses factures ? Voilà des questions essentielles pour Emmanuel de Renvergé et qui se posent avec d'autant plus d'acuité qu'on anticipe sur les impacts de l'Internet en termes de fragilisation de la littérature jeunesse et de diminution de rémunération de ses auteurs avec le livre numérique. En effet, l'Internet a déjà fragilisé le documentaire et le SNE recommande une différence de 30% entre le livre numérique et papier, ce qui fait craindre une diminution des 30% des revenus des auteurs. La TVA du papier est égale à celle du numérique et le prix unique est en vigueur dans les deux cas. Afin que la rémunération des auteurs ne baisse pas davantage, le droit d'auteur sur les livres numériques doit augmenter.
Et si le couple éditeur-auteur était en fait une relation à trois ? Voilà ce qu'affirme Emmanuel de Renvergé : souvent, l'éditeur se dédouble entre une personne physique et une personne morale (l'entreprise, qui propose un contrat), dont les intérêts divergent. Marie Sellier confirme cette idée : son expérience l'a amenée à échanger avec des éditeurs mais jamais elle n'a pu rencontrer les personnes qui « là-haut » (dressant son index vers le ciel pour imiter ses interlocuteurs) gèrent les questions d'argent mais que jamais on ne rencontre…
Si selon Hedwige Pasquet, le gré à gré est utile, dans la mesure où chaque éditeur peut avoir une politique différente, certains auteurs regrettent que les conditions de leur rémunération soient traditionnellement définies par ce biais. Aussi, ils ne comprennent pas qu'on leur demande de céder leurs droits pour une durée de 70 ans après la mort de l'auteur. Hedwige de Renvergé considère que cette période se justifie de moins en moins, les ouvrages étant désormais présents en librairie durant deux mois en moyenne. Il explique que les pratiques s'imposent par les contrats, s'instaurant « sans que personne ne sache vraiment pourquoi ». Il suggère l'organisation d'une discussion collective au sein du groupe jeunesse du SNE, autour de la question de la rémunération des auteurs. En particulier, dans le contexte du numérique, « il faut se dire que l'on tâtonne », on ne peut pas tout cloisonner et fixer dans un contrat aujourd'hui. »
« Les choses ont changé par rapport à il y a dix ans : aujourd'hui les auteurs se parlent. Il n'y a qu'à voir l'évolution de la Charte… », constat ou mise en garde de Marie Sellier ? A suivre.
A retrouver sur la page de la SGDL
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