Comment l’Afrique est racontée ? C’est l’une des idées initiales qui ont motivé Ibrahima Aya et un groupe d’auteurs maliens à lancer la Rentrée littéraire du Mali. C’était en 2008. Cette manifestation venait de naître, elle est désormais incontournable et très attendue. Propos recueillis par Agnès Debiage, créatrice de ADCF Consulting.
Le 24/01/2023 à 14:56 par Agnès Debiage
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Publié le :
24/01/2023 à 14:56
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Je ne connaissais pas Ibrahima Aya, écrivain et cofondateur des éditions Tombouctou, mais on m’avait plusieurs fois parlé de lui. Le thème 2023 de la Rentrée littéraire du Mali m’a interpellée : Décloisonner l’Afrique. La problématique de la circulation du livre sur le continent africain est un sujet récurrent d’échanges professionnels sans qu’aucune solution efficace n’émerge. Une véritable scission sépare les zones linguistiques.
Alors j’ai voulu mieux connaître cet événement renommé dans le monde du livre en Afrique, mais aussi Ibrahima Aya, pour qu'il nous partage sa vision de ce décloisonnement.
ActuaLitté : Pourquoi avoir créé la Rentrée littéraire du Mali ? Qu’aviez-vous en tête à l’époque ?
Ibrahima Aya : Tout a démarré en 2008, quand des auteurs se sont penchés sur l’état de la littérature au Mali. Comment l’Afrique est racontée ? Comment notre pays, le Mali, est présenté ? Ces questions ont été au cœur de notre réflexion. Nous avons fait le constat que l’Afrique, comme le Mali, était davantage racontée d’ailleurs, par d’autres (explorateurs, voyageurs, conquérants coloniaux).
Crédits photo © Ibrahima Aya
Mais n’était-il pas essentiel que nous aussi racontions notre Afrique, que nous contribuions à ce récit de nous-mêmes ? À l’époque, nous regardâmes la création littéraire et l’édition au Mali : seules 4 œuvres de fiction étaient publiées cette année-là ! Que se passait-il dans ce pays de culture ?
Alors, nous avons réfléchi collectivement à ce que l’on pouvait faire pour encourager les auteurs à écrire, améliorer la production littéraire, contribuer à structurer la filière du livre, en promouvant les auteurs du Mali et d’Afrique. Nous étions tous concernés : auteurs, éditeurs, diffuseurs, libraires, bibliothécaires, lecteurs.
Nous avons donc créé une association (Fonds des prix littéraires du Mali) qui, soutenue par des partenaires, rassemble chaque année des auteurs de différents pays, de plusieurs continents, pour partager, apprendre les uns des autres, proposer des idées, dialoguer avec le public, évoquer nos imaginaires et débattre de sujets de société. Nous sommes à la veille de la 15e édition qui se déroulera du 21 au 25 février 2023.
Justement, qu’est-ce que représente aujourd’hui cette Rentrée littéraire du Mali ?
Ibrahima Aya : Je vous répondrai simplement avec des chiffres qui permettent de visualiser l’ampleur de l’évènement.
– 100 manifestations littéraires et artistiques gratuites
– Une cinquantaine d’auteurs, d’artistes et de professionnels étrangers invités
– La mobilisation d’une centaine d’auteurs et d’artistes maliens
– Environ 50 fictions publiées dans le pays pour la Rentrée littéraire du Mali
– 6 universités partenaires à Bamako qui accueillent des débats et des tables rondes
– 30 lycées dans lesquels les auteurs se rendent pour des échanges et des dédicaces
– 10 centres culturels qui accueillent les cafés littéraires et spectacles en soirée
– 1 espace librairie (la librairie de la Rentrée)
– 4 Prix littéraires décernés (dont 3 réservés aux auteurs maliens et 1 ouvert à tous les écrivains du continent)
– Et la nouveauté de cette année, le 1er forum des manifestations littéraires en Afrique, un forum de professionnels qui réfléchira sur ce décloisonnement possible de notre Afrique.
Que signifie pour vous ce thème, Décloisonner l’Afrique ?
Ibrahima Aya : L’Afrique, ce sont des frontières territoriales et linguistiques qui représentent des freins à la circulation des œuvres et des auteurs. Pour sortir de ce cloisonnement, il faut travailler à mettre en place des ponts entre ces aires linguistiques et ces espaces territoriaux en faisant circuler les livres et leurs auteurs. Il ne s’agit pas juste d’en parler, ce forum professionnel est aussi, et nous y tenons, un appel à l’action.
Aussi, nous avons invité des professionnels du livre, et notamment des directeurs de salons du livre en Afrique, pour discuter de ce décloisonnement des frontières, des imaginaires, des idées. Traduction et mutualisation des pratiques et des expériences sont au cœur de notre programme, tout comme notre volonté de renforcement des capacités des professionnels et l’amélioration de la structuration de cette chaîne du livre.
La Rentrée littéraire du Mali n’est qu’une étape et nous souhaitons que ce travail se poursuive, concrètement, et que d’autres événements en Afrique prennent le relais pour soutenir cette impulsion initiale.
Quels sont alors les grands enjeux de la chaîne du livre aujourd’hui en Afrique ?
Ibrahima Aya : La question de la demande est au cœur de tout. Pour qui produit-on des livres ? Qui lit ? On note une forte disparité entre l’offre et l’évolution de la demande. Une prise de conscience des acteurs éducatifs et culturels est nécessaire, une politique du livre avec une réelle contribution de l’État est tellement attendue. Il faut créer un écosystème incitatif pour la filière du livre. Car il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’un secteur économique. Or, on a trop l’impression que les États ne prennent pas suffisamment en compte cette dimension économique.
Il y a un véritable enjeu pour notre futur en Afrique à travailler sur le renforcement des infrastructures, des compétences techniques, du marketing, du management, de la communication des acteurs de la chaîne du livre. Faire en sorte que les coûts de production soient moins contraignants. Mettre en place une promotion de la lecture, des événements et festivals qui favoriseraient une augmentation de la demande.
Nous sommes des pays où la population est très jeune. Si l’on mettait l’accent sur le développement de la lecture pour les plus jeunes, on miserait sur l’avenir. À notre niveau, en tant qu’association, nous accordons une place importante au public jeunesse. Cela fait partie des valeurs au cœur de la Rentrée littéraire du Mali.
En quoi la situation sécuritaire du Mali impacte-t-elle les auteurs, éditeurs, libraires, porteurs d’idées, d’imaginaires, de mots, de culture ?
Ibrahima Aya : Les questions sécuritaires sont, bien sûr, au centre des préoccupations. Elles déplacent les priorités et les urgences, cela impacte un écosystème du livre déjà très fragile. Par exemple, lorsque les écoles ferment pour cause d’insécurité, les enfants n’ont plus aucun accès au livre et cela a des répercussions économiques sur toute la chaîne du livre. C’est un cercle infernal qui rajoute des difficultés supplémentaires à la filière.
Si vous regardez en arrière, quelles ont été les principales difficultés que vous avez dû surmonter pour développer cet événement ?
Ibrahima Aya : La Rentrée littéraire est portée par une association malienne et, chaque année, nous devons rechercher des ressources et des financements. Croyez-moi, cela est déjà compliqué en temps « normal », vous pouvez imaginer en temps de crise, et celle que nous traversons est conséquente et impactante. Cependant, nous avons réussi à instaurer des relations de confiance avec nos partenaires et avec l’État malien.
Dans notre contexte difficile, nous avons, en 15 ans, mis en place un rendez-vous reconnu de tous qui positionne le Mali en termes de création littéraire dans les agendas culturels africains. Les ressources et financements sont essentiels pour le développement de l’évènement, or l’imprévisibilité des appuis peut nous fragiliser.
Il faut avoir conscience que certains accords ne sont validés qu’à quelques jours de l’événement. La viabilité de la Rentrée littéraire du Mali — et de ce nouveau forum professionnel — est directement liée à la prévisibilité des ressources et à la mobilisation de partenaires stratégiques.
Ibrahima, en tant que fondateur et directeur de la RLM, quel serait votre rêve le plus fou pour cet événement ?
Ibrahima Aya : Oh, mon rêve serait que la Rentrée littéraire du Mali se déroule partout, sur tout le territoire. Pour l’instant elle se tient à Bamako, Sikasso, Djenné et Tombouctou. Elle est appelée à s’étendre à d’autres villes. Si les acteurs de chaque ville portaient cette manifestation, si ce rayonnement était local, partout, il n’y aurait plus de souci à se faire sur la pérennisation de cet important et bel événement.
Crédits photo © Chaka Keita
1 Commentaire
DIALLO Mamadou Alimou
07/02/2023 à 15:17
Excellent