#PrixAutomne23 - Le Tellier, Chalandon, Reinhardt... Les querelles intestines entre jurés... Ça balance chez Drouant. À 11h30, je quitte le bureau pour me rendre au restaurant du Goncourt à pied. Compter une vingtaine de minutes. Il fait beau, autant marcher au soleil avant de se fondre parmi les coreligionnaires. Compte-rendu de ma première fois à la remise du prix le plus attendu de France.
Le 08/11/2023 à 09:24 par Ugo Loumé
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08/11/2023 à 09:24
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Rentreelitteraire23 - 11h51 : J’arrive devant le restaurant, où une quinzaine de journalistes sont présents. Une heure à patienter avant le résultat. Je m’attendais à voir plus de monde.
Petit air frais. On se sent un peu con, planté là, sur le trottoir, pendant que dans le restaurant le jury discourt, attablé autour d'un morceau de bois qui pèse sûrement très lourd – avant de déguster des plats en sauce qui rendent heureux, avec des couverts en argent tout propre. Je songe à faire une réservation, mais la consultation du menu m'en dissuade fissa.
12h04 : Je vois que certains envoyés spéciaux entrent dans le restaurant. Ai-je oublié de prendre mon invitation ? Ou peut-être qu'il faut montrer sa carte de presse. Je ne l'ai pas encore : comment accéder au Graal ?
12h06 : Au choix : tenter le coup ou faire le piquet dehors pour 45 bonnes minutes encore... Rien à perdre, je tente le coup. À l’entrée, un vigile et une jeune femme habillée en tailleur noir : c'est elle qui décide de qui entrera ou pas. Chance, je ne porte pas de baskets...
– Bonjour, je suis journaliste pour ActuaLitté, je viens couvrir le... prix. Logique, quoi d'autre, aujourd'hui ?
– Oui pas de souci : il me faudrait juste votre carte de presse s’il vous plait.
Et merde. La jeune femme répond d'un sourire désolé à mon visagé contrit. Je relance.
– Il n’y a pas une possibilité de rentrer sans ?
– C’est à dire qu’au bout d’un moment, la salle va être remplie… Bon, montrez votre sac et allez-y, c’est à droite à l’entrée.
12h07 : À l’intérieur, la presse envahit une petite salle : on est un peu à l’étroit. Il ne fait plus froid du tout, mais on garde tous nos manteaux, ça commence à sentir le fauve.
12h11 : « RTL et Europe 1 ensemble », plaisante un journaliste, serrant la main la paluche d'un confrère avant de présenter une jeune femme :
– Voici Lucie, ma stagiaire.
– Enchanté madame, vous étiez au Femina hier non ? interroge le journaliste de RTL.
– Non, du tout, répond la jeune stagiaire, impassible.
– Ah, j’aurais juré que c’était vous.
– Vous avez une jumelle visiblement ! s'esclaffe le journaliste d’Europe 1. Serait-il judicieux d’aborder la récente décision de l’Arcom, validant le projet d’un pôle radio chez Lagardère ? Hmmm… non.
12h18 : Certains semblent perdus : ça me rassure de partager ce moment de solitude. D’autres scrutent l’entrée extérieure du restaurant par la fenêtre, guettent l'apparition du lauréat. J'envisage un coup d'œil fugace. Non, c’est idiot, il ne débarquerait pas aussi tôt. Dehors, au frais, le champagne patiente avec une cinquantaine de verres vides...
12h22 : Certaines personnes se tiennent sur un balcon intérieur, on ne les voit que dans le reflet des miroirs dont l’escalier est serti. Peut-être suffit-il de monter tout naturellement, tandis qu'attend la foule en bas. Plus c'est gros, plus ça passe... (Je ne percuterai que plus tard : les personnes du balcon sont jurés des Prix Goncourt et Renaudot. Jouer le détachement en les rejoignant m’aurait plus certainement conduit vers la sortie, manu militari...).
12h25 : À l'extérieur, il y a de plus en plus de monde. Ils ont l’air frigorifiés. Bien fait.
12h28 : Dedans, on s’excite, on se tasse devant l'escalier d’où viendra l'Annonce. Les caméras sont déjà braquées. Le quart d'heure de gloire annuelle pour lui.
12h29 : « T’as vu le tweet d’Éric Reinhardt ? Il dit que c’est lui qui a gagné » annonce une journaliste à son collègue. Dans le doute, je transmets par SMS l’information à vérifier. À la rédaction, Hocine me répond : « Si c’est lui, c'est naze. » puis « Je trouve pas son putain de Twitter. T’es sûr il a X ? ». De fait, le romancier n’a pas de compte sur le réseaux à Elon. Un Italien s'amuse en revanche à ouvrir de faux comptes, pour rigoler : il avait même réussi à piéger Alain Mabanckou en 2021 en se faisant passer pour un Mbougar Sarr triomphant en avance de son succès, ce qui avait provoqué la panique chez Drouant.
12h31 : Un journaliste semble être du même avis qu’Hocine : « Moi j’aime bien Reinhardt, mais j’ai abandonné à la moitié du livre… »
12h32 : On attend toujours l’Évènement, on sent qu’il est proche, qu’il marche au-dessus de nos têtes, à l’étage. Qu’il fait grincer le parquet en attendant de se dévoiler à nous. Ça papote moins tout d’un coup.
12h33 : Un homme grand, très élégant, qui porte un costume aux couleurs de Drouant, vient de passer à côté de moi. Il glisse un mot à l’oreille du régisseur son. Il a la tête de celui qui a l'info, lui.
12h34 : Puis ça repapote fort. On se redétend d’un coup. Et on se retend tout aussi rapidement, le silence revient. L'ascenceur émotionnel commence.
12h36 : « Non Andrea, ça, c’est un grand livre. Et son éditrice est décédée il y a 6 mois… ça ferait une belle histoire, une sorte de Goncourt posthume pour elle, ce serait mérité. »
12h36 toujours : Devant moi un perchiste avec un style de skater des années 80 ne semble pas vraiment concerné par ce qui ce passe, il parle de son surftrip à Bali et de ses dernières sessions dans les eaux basques de Guéthary.
12h39 : « J’aimais bien Neige Sinno, mais elle a eu le Femina, c’est mort pour elle. »
12h40 : Personne ne parle de Humus de Koenig. Dommage, c’était le favori de Hocine.
12h41 : « Non un Goncourt ça vend, c'est sûr. Y a qu’à voir L’Anomalie… C’est le Goncourt qui s’est le plus vendu. Bon après moi j’aime pas trop ce genre de littérature. Mais je le connais bien, Hervé : compliqué de lui dire ce que je pense vraiment. » Cornélien, en effet...
12h42 : « Ah non les jurés du Goncourt ils ne se supportent pas ! C’est pour ça, l’an dernier ils l’ont donné à Giraud au 14e tour Et Decoin a fait jouer sa voix de président qui compte double. »
12h43 : « Sorj Chalandon, il agace les jurés : ils estiment qu'il publie trop, tous les deux ans, avec sa régularité de métronome. Et il vend beaucoup, donc il n'a pas besoin de leur aide. Il ne l'aura jamais, c'est un des jurés qui me l'a assuré... » Sauf que Sorj, il inaugure demain les Soirées de lecture à Matignon, initiées par la Première ministre, Elisabeth Borne...
12h45 : Une paire de talons apparait sur les marches de l’escalier, puis une femme entière, elle tient un micro et une petite fiche, puis un homme apparait à côté d’elle avec une autre petite fiche :
« Le 121e Prix Goncourt est attribué à Jean-Baptiste Andrea pour Veiller sur elle, aux éditions l’Iconoclaste »
lance la femme dans le micro qu'elle tend ensuite à son voisin. Il annonce « Le prix Renaudot est attribué à Ann Scott pour Les Insolents, aux éditions Calmann-Lévy ; le prix Renaudot de l’essai est attribué à De Gaulle, Une vie, de… » mais l’attention de l’auditoire est déjà retombée, seule la politesse tient tout ce monde immobile quelques secondes encore, le temps d'en finir avec les différents lauréats du Renaudot.
12h46 : Tout le monde se précipite dehors, avec pour effet de créer un goulot d'étranglement au moment de sortir de la salle. Le rituel, connu des habitués, ressemble passablement à une farce.
12h48 : Un van aux vitres teintées se gare, les journalistes armés de leurs caméras et micros se précipitent : l’heureux élu est là.
12h48, et quelques secondes : Le lauréat s'extrait du van, ou du moins c'est ce que je comprends au mouvement de foule immédiat. Ça se bat pour capter une image ou un mot d’Andrea. Ça crie des questions en espérant être entendu. Ça se bouscule, en toute courtoisie cependant, c’est de la littérature, pas de la politique.
12h49 : Un homme prend de la hauteur. Il se perche sur un escabeau pour prendre sa photo.
12h52 : « Y'a des années où tu pouvais même pas passer tellement c’était noir de monde. Ils ont même déjà bloqué la route ! »
Mais aujourd’hui la foule est mince. Les scooters, même les voitures, circulent sans peine. Certains piétons curieux s’arrêtent, jetent un oeil, imaginant apercevoir une star, genre Kanye West, au milieu de l'amas humain.
12h55 : Acclamé par quelques « Bravo ! » (aucun commentaire négatif n’a été entendu par votre serviteur après 12h45), Jean-Baptiste Andrea entre chez Drouant, suivi par une file de photographes et autres.
12h56 : J’ai à peine le temps de réaliser ce qu’il se passe qu’ils sont tous entrés dans le fameux salon Goncourt et que je me retrouve presque seul dans la rue. J’entre à nouveau dans le restaurant, décidé à prolonger mon plaisir.
C’est trop tard pour profiter du flux pour m’incruster mais je vais quand même tenter. Je me présente devant le cordon de sécurité avec assurance : « Bonjour, je suis journaliste pour ActuaLitté ! »
Instant de flottement : elle vient de trier une cinquantaine de personnes en 1 minute, 1 par seconde presque). Elle me dit d’attendre un instant, va voir une collègue à l’entrée du salon, et revient en me faisant signe « c’est à ras-bord là, je suis désolée… ». Dommage. « Mais il y a une conférence de presse à 14h30, reprend-elle, ne la manquez pas. » Moui... ou pas.
13h00 : Je quitte les lieux, je fais trois pas et m’achète un sandwich dans une enseigne de « restauration rapide en direct avec les producteurs ». À l’intérieur il y a un peu de queue, les gens crient leurs commandes. Je me dis que personne ne doit soupçonner que, juste à coté de là, au restaurant Drouot, la plus prestigieuse des récompenses littéraires française vient d’être attribuée à l’écrivain Jean-Baptiste Andrea.
Crédits photos et illustrations : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
15 Commentaires
Jasper the disaster
08/11/2023 à 15:50
Il faut juste imaginer la tête de Reinhardt ce jour-là quand on a annoncé les résultats... Tout le monde lui promettait le Graal littéraire. Une règle cependant au fil des années : le favori donné dès la fin de l'été ne l'a jamais. Et puis franchement, qui est aller au bout du pensum laborieux de Reinhardt ?
Boni70
10/11/2023 à 16:00
Ben moi, et c'était plutôt bien (et même de mieux en mieux au fil du livre). Pas autant que Cendrillon, mais quand même...
Mickey
08/11/2023 à 18:08
J ai adore " veiller pour elle". Un grand Goncourt!!
Cloton
10/11/2023 à 16:55
Je le termine mais il ne m emballe pas plus que ça. Je ne trouve pas les personnages très attachants, je trouve qu il ne renseigne pas trop sur le travail de sculpteur sans doute pas le but mais je pense que terminé il ne me laissera pas un souvenir impérissable.
Yvelin
09/11/2023 à 09:37
J'aime bien le résumé du journaliste, en fait je pense que pour beaucoup, les rituels sont aussi nécessaires. Mais le plus important c'est le résultat du lauréat, avoir un scénario de l'évolution et discussions autour du vote serait très intéressant..peut-être le prochain thriller, prix Quai des Orfèvres 2024
Ariane
09/11/2023 à 10:07
J'adore le ton ! Me suis bien amusée à la lecture de cet article. Très rafraîchissant !
Emerik Lausaff
09/11/2023 à 16:07
Le Goncourt comme Quoicoubeh de la culture ringardo-marchande.
Brun
11/11/2023 à 07:06
Excellent papier fait avec humour qui représente bien ce moment Goncourt pour les absents.
J'ai lu le début des 2 livres de Reinhart et d'Andrea et tous deux semblent énigmatiques.
Rurumumu
11/11/2023 à 08:57
Une messe de l'entre soi;une exhalaison parisianiste...Il faudra bien que ça cesse un jour,les esbroufes parisiennes,qui en région passent de plus en plus difficilement.
6lou
11/11/2023 à 09:20
Bonjour,
Vous avez une jolie plume, prometteuse (j’aime bcp l’image des talons puis de la femme entière 😁)
Je vous souhaite d’avoir vite votre carte de presse, pour entrer dans le cénacle et continuer de poser votre regard rafraîchissant 😉
Yves
11/11/2023 à 10:40
Merci de nous avoir fait cinnaitre et partager "l'intimité" de cette attente de l'annonce qui, au final et somme toute, n'est qu'une heure parfaitement banale complètement "desacralisée" pour tous ..... sauf pour celui dont on annonce le nom
Ghueta
11/11/2023 à 19:16
Ouf on a échappé au sujet sur l'inceste...lu le goncourt excellent ,merci.monsieur Andrea .Je lis toutes vos parutions ,j'ai adoré des diables et des saints
Vélocité
12/11/2023 à 01:50
J’adore vos articles, cette newsletter fait mon bonheur quotidien tellement c’est utile dans nos professions des métiers du livre ! Continuez
Cet article est tout simplement génial merci
Sarn
15/11/2023 à 00:19
Article avec fautes de français voir la définition' de "serti " dans le dictionnaire il manque un accent sur le i de plaît et autres
Cama
17/11/2023 à 18:47
Article très agréable à lire. Le ton est léger et permet à celui qui le lit de vivre l'événement avec toute l'agitation et l'effervescence qui l'entoure. Cette plume est à suivre, j'ai hâte d'en lire plus une fois que la carte de presse aura été reçue !