Chaque semaine, ActuaLitté, en partenariat avec l’association Effervescence, réunissant les étudiants et anciens élèves du master Édition et Audiovisuel de Paris-Sorbonne, vous donne rendez-vous : retrouvez dans les colonnes de notre magazine une chronique, réalisée par les étudiants de la formation, racontant la vie du master et de l’association.
Le 04/08/2015 à 15:24 par Association Effervescence
Publié le :
04/08/2015 à 15:24
Cette semaine, focus sur le premier secteur de l’édition en France : la littérature.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Celui-ci regroupe aussi bien les classiques que les romans contemporains (récits, polars, fantasy, science-fiction, romans sentimentaux) et autant le grand format que le poche ou semi-poche, en vogue depuis quelques années. Sujet vaste donc, c’est pourquoi les étudiants du master ne vous parleront que du secteur dans lequel certains d’entre eux effectuent leurs stages : les romans contemporains, édités par des maisons dont la vocation principale est la littérature.
Il existe quasiment autant de romans sur les tables de vos libraires que de maisons d’édition et de collections, c’est dire… Alors, comment distinguer toutes ces maisons ? Qu’est-ce qui peut bien faire la différence entre P.O.L, Flammarion, Le Dilettante, Stock ? Pour un lecteur non-initié, a priori, pas grand-chose, et sûrement pas les auteurs, qui voguent souvent d’une maison à l’autre. Pourtant – et c’est bien ce que l’on apprend notamment dans un stage au service des manuscrits –, un catalogue littéraire correspond à une ligne éditoriale définie. Cette fameuse « ligne éditoriale » qui orne tant de lettres de refus, mais qui n’est néanmoins pas un mythe. Derrière chaque maison, se cache en effet une personnalité unique ou un comité de lecture, avec des goûts personnels.
Le catalogue, ou la ligne (de conduite) éditoriale
La cohérence d’un catalogue reposerait donc, paradoxalement, sur un jugement arbitraire ? C’est l’impression qu’ont pu avoir initialement certains stagiaires, surtout quand l’arbitraire des goûts est ouvertement revendiqué (on reconnaîtra la maison Le Dilettante à cette devise : « Personne qui ne se fie qu’à l’impulsion de ses goûts »), mais ils ont pu se rendre compte que la réalité était plus complexe.
Si l’on étudie d’un peu plus près ces maisons, on constate qu’elles diffèrent souvent, se ressemblent rarement, et s’opposent couramment, notamment lors des périodes charnières : la rentrée littéraire de septembre, celle de janvier, et le Salon du livre de Paris. C’est alors à celle qui aura publié le livre dont tout le monde parlera, celle qui aura déniché le primo-romancier qui percera – à l’instar d’Édouard Louis, l’an passé, avec son En finir avec Eddy Bellegueule – et, bien sûr, celle qui sera la plus primée. Une concurrence qui, bien qu’elle soit très sensible quand on travaille dans le secteur, n’en reste pas moins officieuse.
À ce jeu de la saisonnalité exacerbant la concurrence s’ajoutent non-dits et paradoxes. Le secteur littéraire est censé être un marché de l’offre, et non de la demande. Autrement dit, les romans seraient publiés en toute liberté, sans répondre à une commande particulière ni au goût actuel et éphémère des lecteurs… Mais si certains succès de librairie sont inattendus, comme La Vérité sur l’affaire Harry Québert, d’autres sont plus ou moins programmés. L’édition littéraire essaie souvent de surfer sur des tendances : nous pourrions citer l’inclination de certaines maisons pour le roman érotique, après le succès international de Cinquante nuances de Grey et la floraison du genre « polar scandinave » depuis Millénium.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Il arrive que les éditeurs se copient les uns les autres, s’appropriant la bonne idée d’un confrère jusqu’à ce que la formule, à force d’être reprise, perde tout pouvoir d’attraction sur le lecteur et contribue à uniformiser l’offre. « C’est étrange, de chercher à ce point le succès par la programmation, s’étonne une stagiaire. S’il y a bien un secteur où l’on ne peut rien prévoir, c’est celui-ci : comment prédire la réception d’un roman ? Combien de succès inattendus et de best-sellers attendus qui ne marchent pas ? »
Auteur : n. masc. "Il en existe des bankables."
Quant aux auteurs, sont-ils vraiment libres d’écrire comme ils l’entendent ? Pas tout à fait. Outre la machine judiciaire qui peut les rattraper quelquefois – comme on a pu le constater récemment avec Eva de Simon Liberati, à paraître le 19 août –, ils doivent aussi répondre à d’autres exigences éditoriales. D’une part, dans certaines maisons d’édition littéraires, ils évitent de publier trop régulièrement, au risque d’être taxés de « grand public » – comme s’il s’agissait, ici, d’une insulte –, de « bankable », d’écrivains formatés, réaffirmant alors le topos selon lequel la création littéraire prend du temps et ne peut se faire dans l’urgence. Ainsi, leurs livres sortent tous les un an et demi ou deux ans, afin de trouver le juste équilibre.
Enfin, certains étudiants ont pu découvrir à quel point, dans certaines maisons, le qualificatif d’« hommes de l’ombre », pour les éditeurs, n’est pas usurpé. De fait, le livre que vous tenez entre vos mains est rarement celui que l’auteur a écrit à l’origine. L’éditeur veille à sa cohérence, aux moments où l’intrigue s’essouffle, aux passages confus qui mériteraient d’être développés. Il est là pour bonifier un texte.
L’une des étudiantes du master fait remarquer à ce sujet : « J’ai été surprise de voir qu’il pouvait exister autant de versions d’un même texte. Certains, avant de paraître, ont été retravaillés quatre, cinq, voire six fois ! Finalement, lorsque l’auteur livre son manuscrit à son éditeur, le travail est loin d’être terminé. Il peut parfois se poursuivre pendant plusieurs mois, voire toute une année. Bien sûr, l’auteur n’est pas toujours d’accord, et s’ensuivent de longues discussions avec son éditeur sur des points qui peuvent paraître dérisoires, mais qui sont essentiels : tel trait de caractère d’un personnage, tel chapitre trop lent… C’est assez fascinant de voir de l’intérieur toute cette fabrique, presque artisanale, qui consiste à faire naître un roman. »
Une histoire de choix qui passent parfois inaperçus
En littérature française, le travail éditorial porte donc essentiellement sur le texte, la maquette étant souvent très simple et la même d’un ouvrage à l’autre au sein d’une collection. Quand les maisons n’ont pas opté pour une couverture unie, à l’instar de P.O.L ou de Sabine Wespieser, seules la couverture ou les bandes illustrées – comme on peut en voir chez Flammarion dans la collection « blanche » – changent.
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
« Le choix des couvertures illustrées peut susciter des débats interminables entre l’éditeur, ses assistants et l’auteur. L’un préférant une image plus suggestive, l’autre plus tape-à-l’œil… Quand on est lecteur, on ne mesure pas leur importance : on adhère ou non au choix et on cherche parfois la cohérence de l’illustration avec le texte, mais ça ne va jamais au-delà… Si l’on savait le temps que cela peut prendre à toute une équipe éditoriale ! »
C’est d’autant plus vrai depuis quelques années : de petites maisons indépendantes se font remarquer par l’inventivité de leurs couvertures dans un secteur où la sobriété prime (et les étudiants de citer Le Nouvel Attila, Le Tripode, Monsieur Toussaint Louverture…). L’argumentaire – à destination des représentants, des libraires et des journalistes –, et les quatrièmes de couverture sont aussi des étapes sujettes à de houleux débats internes, les étudiants ont pu s’en rendre compte puisque les premiers jets des argumentaires et des quatrièmes de couverture sont souvent de leurs compétences.
Selon eux, ce sont d’ailleurs des exercices plus périlleux qu’il n’y paraît : « Il est souvent difficile d’écrire un texte qui soit à la fois clair, concis, percutant, sans, néanmoins, paraître convenu. Il faut aussi qu’un argumentaire ou qu’une quatrième soient… littéraires, bien écrits, donnent envie. Savoir tirer l’essentiel d’un roman, son atmosphère, son intrigue, ses enjeux, sans trop en dire, ça n’a rien d’évident. »
En littérature française, il semblerait que, parfois, l’éditeur se confonde ou veuille se confondre avec l’auteur, sans pour autant devenir un écrivain fantôme, par l’entremise de ses suggestions et par sa capacité à porter vers le public des textes qui pourtant ne sortent pas de son imagination…
En ces temps où l’édition littéraire sommeille – ah, ce fameux mois d’août où l’activité se meurt –, profitons-en pour lire un bon roman, classique ou contemporain, à la plage ou ailleurs, avant que la rentrée littéraire n’arrive avec son flot de nouveautés… 589 très exactement.
Si vous voulez (re)lire nos chroniques déjà publiées sur ActuaLitté, c’est ici! Si vous voulez être informés chaque semaine de la parution de notre nouvelle chronique, c’est ici !
À mardi prochain !
Commenter cet article