Le 28/06/2012 à 17:00 par Clément Solym
Publié le :
28/06/2012 à 17:00
[NB : il faut souligner qu'en pronoçant son discours, la ministre aura soigneusement fait attention à ne jamais prononcer le nom de la société Amazon, même s'il est présent dans ce texte.]
Je vous remercie de m'avoir invitée à l'assemblée générale de votre syndicat professionnel. Vous me donnez ainsi l'occasion de venir vous saluer toutes et tous à un moment important de votre vie collective, celui de l'élection de votre nouveau président.
Antoine Gallimard a fait savoir depuis plusieurs mois déjà qu'il n'était pas dans l'état d'esprit de faire un second mandat. C'est une décision parfaitement cohérente avec ce qu'il avait annoncé il y a deux ans, lorsqu'il avait accepté cette charge. Chacun la respecte, d'autant plus que sa propre maison est à un carrefour de son histoire avec l'acquisition spectaculaire et attendue des éditions Flammarion.
Permettez-moi, en premier lieu, de lui rendre l'hommage appuyé qu'il mérite, alors qu'il transmet aujourd'hui la présidence du syndicat à Vincent Montagne.
Antoine Gallimard avait beaucoup des qualités indispensables pour représenter votre profession.Il a pris la présidence du syndicat au moment où ce dernier traversait une passe difficile. Il a parfaitement réussi à remettre l'organisation sur ses rails et cela sans faire un mandat complet !
Pendant les deux années de sa présidence, le SNE aura été un interlocuteur indispensable pour les pouvoirs publics. Il n'aura évité aucun des sujets, souvent délicats, qui doivent mener l'industrie du livre sur les chemins nouveaux du numérique. Il s'était fixé quelques objectifs limités mais ambitieux : il les a presque intégralement tenus et c'est un exploit, sur une durée si courte.
En cela, Antoine Gallimard incarne le visage d'une édition consciente de la nécessaire solidarité entre les maillons de la chaîne du livre.
Cette conscience, qui est une conscience politique, je formule des vœux pour qu'elle continue d'inspirer l'action du syndicat. Je ne peux que souhaiter que la qualité de notre dialogue soit reconnue et confortée à l'avenir.
A cet égard, je fais pleinement confiance à Vincent Montagne et je le félicite pour son élection. Il préside lui aussi un grand groupe d'édition indépendant, le quatrième en France. Son arrivée à la tête du SNE est un événement important : ce sera la première fois qu'un éditeur de bande dessinée dirigera le syndicat des éditeurs. Je crois que ce genre éditorial, qui s'estime souvent mal représenté et peut-être mal aimé, y sera sensible. Je crois que Vincent Montagne veut également ouvrir davantage le syndicat à des secteurs de votre profession moins visibles - mais non pas moins actifs -, comme l'édition scientifique et juridique. Il a raison ; trop souvent le SNE est considéré comme le syndicat de la littérature, alors que l'édition est plurielle, plus que jamais, ce qui est très positif.
La politique que j'entends mener en matière de livre et de lecture poursuit deux objectifs :
- d'une part, la défense, la promotion et le renouvellement de la création et de la diversité éditoriale, que certains d'entre vous nomment « bibliodiversité », dans le cadre de ce que j'ai appelé « l'acte II » de l'exception culturelle.
- d'autre part, l'accès à la création pour le plus grand nombre
Les éditeurs sont des acteurs indispensables de cette politique. Je tiens à l'affirmer avec vigueur.
Aujourd'hui, avec le développement de la diffusion numérique des œuvres, de fortes tensions agitent le secteur culturel ; certains commentateurs font miroiter un avenir qui se ferait sans vous. L'avenir serait à la disparition des intermédiaires de la création ; notre temps serait celui de la désintermédiation.
Leurs réflexions sont nourries par l'activisme des grandes entreprises technologiques, qui ont pris des positions très fortes sur la diffusion des contenus culturels en venant d'univers qui ne sont pas celui de la culture.
Elles cherchent à établir ce contact direct avec les auteurs. Leur modèle est séduisant : il réclame la « démocratie des écrivains », là où régnait la « République des lettres ».
Pourtant, je crois qu'une industrie culturelle aussi complexe que la vôtre ne pourra pas reposer sur ce nouveau modèle. Je ne partage pas ce point de vue et je crois qu'il est utopique.
Tous les textes ne sont pas des livres et c'est précisément à l'éditeur que revient de faire le partage ; c'est lui, qui, devant la multitude des textes, doit porter la responsabilité de savoir dire non, quitte à, parfois, commettre une erreur.
Il n'y a pas de livre sans éditeur ; l'éditeur distingue la création, puis il l'accompagne, il la promeut, il la publie ; il favorise sa circulation.
Bien entendu, cette place centrale de l'éditeur dans la chaîne du livre lui donne une responsabilité éminente vis-à-vis de tous les acteurs de cette industrie ; c'est très souvent lui le plus puissant d'entre eux.
Ainsi, l'auteur qui crée l'œuvre, le libraire qui la fait connaître au public ou le bibliothécaire qui en garantit l'accès au grand nombre attendent tous cette solidarité de la part de l'éditeur. Je suis particulièrement sensible à ce point, que j'ai eu l'occasion de rappeler, en recevant les représentants des réseaux de librairie et de diffusion du livre, le 20 juin dernier. Je vous en avais informés.
L'attente que vos partenaires placent en vous est légitime ; cette solidarité est votre devoir ; c'est aussi votre intérêt bien compris. Si votre vision de l'avenir va dans ce sens, alors soyez assurés du soutien attentif de l'État et du ministre de la culture.
Permettez-moi, précisément, de dire quelques mots des dossiers qui vont nous occuper dans les mois à venir. Ils sont nombreux, complexes et politiquement sensibles. Je sais que vous en mesurez tous les enjeux : Vincent Montagne les connaît bien, puisqu'il les a vus naître et se développer, de son poste de vice-président du SNE, aux côtés d'Antoine Gallimard.
J'ai confirmé que le Gouvernement entendait respecter son engagement de ramener la TVA sur le livre au taux de 5,5%. Cette mesure est inscrite dans le projet de collectif budgétaire.Il m'avait semblé judicieux, dans un premier temps, de repousser l'entrée en vigueur de la loi au 1er janvier 2013. Ainsi, la création d'un fonds de soutien à la libraire aurait pu compenser le surcroît de taxe collectée par le ministère des finances. Malheureusement, la situation de nos finances publiques éloigne les perspectives de ce fonds et je m'interroge désormais sur une application plus récente.
Il s'agirait alors, bien entendu, de ne pas revenir sur le travail effectué durant ces six derniers mois. Le Gouvernement n'a guère la main en cette matière, qui dépend entièrement de vous. La question des prix sera centrale à cet égard ; Pierre-François Racine doit venir me présenter très prochainement les éléments recueillis par l'observatoire placé à ses côtés ; ils donneront à tous d'utiles informations.
Je souhaite également que la TVA pesant sur le livre numérique soit immédiatement alignée sur la taxe affectant le livre imprimé, en dépit de la procédure d'infraction, que Bruxelles semble sur le point d'introduire à notre encontre. La France maintiendra et défendra sa position, car elle est dans la logique de l'avenir numérique des industries culturelles. Je fais remarquer que nous n'aurons plus, alors, que 2,5 points de différentiel avec le Luxembourg.
En retour, j'attends une aide de votre part et je ne saurais trop vous inviter à répercuter sans hésitation la baisse du taux sur le prix de vos livres numériques. Des efforts ont été faits par certaines maisons, qui donnent le bon exemple. Mais le mouvement est trop faible et peu visible. Même si le marché du ebook tarde à décoller chez nous, nous devons pleinement jouer le jeu, sans demi- mesure. Sans quoi le soupçon s'installera, nos arguments seront affaiblis et votre image sera ternie.
De même, c'est en assumant pleinement les nouvelles données des modèles numériques que vous aurez une chance de sortir de l'impasse où se trouve la négociation du CSPLA sur le contrat d'édition.
Là encore, je crains que vous n'entriez dans l'ère du soupçon pour n'avoir pas été assez audacieux sur le niveau des rémunérations servies aux auteurs en matière de droit numérique. Les taux sont trop faibles, à l'évidence, et avivent le désir des auteurs de négocier séparément l'exploitation papier et numérique ; vous savez, comme moi, qui se tient en embuscade.
Certains disent déjà qu'il faut prendre acte de l'échec de la négociation et qu'il n'y a pas besoin, finalement, de nouveau cadre contractuel. C'est une erreur manifeste que les éditeurs payeront. A cet égard, je suis rassurée par la tonalité très positive du communiqué de presse que le SNE vient de diffuser ; je suis plus inquiète en revanche, de la position des auteurs.
Nous ne pouvons pas renoncer si tristement à un an de travaux menés de bonne foi par chacun des protagonistes. Il faut sans doute marquer une pause dans les discussions. Dans l'intervalle, je recevrai prochainement Pierre Sirinelli pour faire un point sur ce dossier. J'écouterai la présidente du conseil, Sylvie Hubac, et mon Cabinet échangera avec les différentes parties. J'ai l'intention de revenir vers vous après l'été avec, je l'espère, de nouvelles propositions.
Nous partageons, sur ce sujet, une obligation de réussite, car s'il devait en aller autrement, de lourdes menaces pèseraient, à n'en pas douter, sur le projet d'exploitation numérique des livres indisponibles, que vous menez depuis deux ans avec les auteurs, la Bibliothèque nationale et le ministère. Les bibliothèques numériques constituent un élément déterminant du développement de l'offre légale. Je rencontrerai prochainement Louis Gallois, nouveau commissaire aux investissements d'avenir et j'aurai l'occasion, avec lui, de donner à ce projet la nouvelle impulsion politique qu'il mérite.
L'accès aisé à des contenus numériques variés est au cœur de la mission confiée à Pierre Lescure pour dessiner les contours de l'acte II de l'exception culturelle. L'expérience du livre est essentielle, car vous avez innové, depuis deux ans, pour adapter votre cadre de régulation aux réalités du numérique ; or rien n'aurait pu se faire sans invoquer l'exception
Je redis à cet égard mon attachement à la loi sur le prix du livre numérique, en dépit des agissements contraires d'Amazon. Sa défense sera l'axe principal de notre position vis-à-vis de la Commission européenne dans le dossier des enquêtes antitrust menées contre certains d'entre vous, aux États-Unis et sur le territoire de l'Union.
Certes, la France ne pourra pas intervenir directement dans ce contentieux, mais soyez assurés qu'elle agira politiquement et fera entendre sa voix à Bruxelles, pour prévenir une grave atteinte à l'exception culturelle. Je rencontrerai le Commissaire Almunia le 9 juillet et je compte mobiliser ceux de nos partenaires qui disposent, comme nous, de systèmes de prix fixe du livre ; je reçois mon homologue allemand, M. Neumann, le 6 juillet rue de Valois.
Enfin, j'ai réuni les représentants des réseaux de librairies et des collectivités territoriales la semaine dernière, pour évoquer les premières perspectives d'un plan pour la librairie. Je tiens, bien entendu, à ce que vous soyez pleinement associés à cette discussion car, encore une fois, votre responsabilité sur la chaîne du livre est grande.
J'ai fait part de l'objectif, qui me paraît raisonnable, de redonner 2 points de résultats aux commerces indépendants pour assurer la pérennité de leur exploitation. Il s'agit d'un objectif collectif, que les pouvoirs publics partageront avec vous. Une fois quantifiées les mesures avancées par les deux rapports remis récemment, sur l'avenir de la libraire et les marchés publics, il sera possible de préciser l'effort de chacun.Je présenterai rapidement un calendrier et une méthode de travail et j'ai lancé, sans attendre, une mission de l'inspection générale des affaires culturelles pour m'éclairer sur la possibilité de donner à la librairie indépendante une solution numérique.
L'ensemble de ces dossiers d'actualité, nombreux, complexes, interprofessionnels et parfois sensibles m'ont convaincu de l'utilité de réfléchir, avec l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre, à la nomination d'un médiateur du livre.
Il y a aujourd'hui 300 ans, précisément, naissait Jean-Jacques Rousseau, un 28 juin 1712, à Genève. J'affectionne particulièrement l'auteur, qui m'accompagne depuis longtemps. Tout comme Marcel Proust, dont on commémorera l'année prochaine le centenaire de la publication du premier tome de A la recherche du temps perdu.
Pour Rousseau, comme pour les écrivains et penseurs de son époque, l'édition des textes et les conditions de leur publication a constitué un enjeu de première importance. Ce siècle de révolution des idées fut aussi, logiquement, un siècle de grands changements dans l'édition et le commerce du livre.Pour contourner la censure du roi de France, des imprimeurs-libraires s'étaient implantés sur les confins du royaume, là où la police ne pouvait les atteindre. En Suisse, aux Pays-Bas, au Luxembourg - déjà ! - les idées nouvelles pouvaient prospérer.
Ces presses périphériques, comme on les appelait, représentaient la liberté et l'impossibilité d'arrêter les idées en marche.Mais en même temps, situées hors des frontières du royaume, elles diffusaient les textes sans contrôle de leurs auteurs. Combien d'écrivains de ce temps ont pesté contre ces éditeurs hors d'atteinte, qui ne respectaient ni leur texte, ni leur volonté. Il n'est pas étonnant que les principes du droit d'auteur soient nés à ce moment là.
Nous voyons aujourd'hui fleurir des presses périphériques d'un nouveau genre. Leur puissance de diffusion est celle des technologies de notre temps et, comme celles du 18e siècle, elles jouent la musique séduisante de la liberté.
Cette liberté là, celle de l'accès illimité aux contenus culturels, a un double visage, nous le savons. Sachons l'accueillir sans crainte, mais sans naïveté. En toute connaissance de cause et pour le bien du public, sachons faire bon usage de ces nouveaux territoires. Je vous remercie.
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