À l'intérieur du Festival de Zone Franche, une exposition à l'irréprochable sérieux scientifique attire les plus jeunes... et d'autres plus vieux, mais tout aussi curieux. Imaginez : la crypte de Dracula, le célèbre vampire, qui a été exhumée et mise à jour, à l'occasion de fouilles archéologiques... dans la ville d'Épinal. Nous sommes plutôt loin des Carpates, résidence de prédilection du Saigneur roumain. Et pourtant, la preuve est dans l'archéologie.
Sur une table, des dizaines d'artefacts, découlant de fouilles presque réalisées autour de la tombe, que nous présente Séverine Braguier, archéozoologue de l'INRAP, Institut national de recherches archéologiques préventives. Un crucifix, de la terre, des fioles de verre, des ossements de petits animaux, mais également des chaînes rouillées, de vieux manuscrits... Autant d'objets qui sont présentés comme extraits de la tombe de Dracula.
Exactitude scientifique et initiation au métier d'archéologue
Évidemment, tout cela n'est pas tout à fait vrai. Severine Braguier explique avoir façonné « une archéofiction, pour laquelle il fallait tout d'abord écrire le scénario, avant de trouver les éléments qui allaient étayer le propos. Mais si tous les artefacts présentés n'ont absolument rien d'authentique - bien que certains soient anciens, vu que je les ai trouvés dans mon grenier - ils servent d'illustration à la démarche. En effet, ce qui compte, c'est l'archéofiction elle-même, qui montre comment fonctionnent des fouilles. A ce titre, tout est rigoureusement conforme aux méthodologies, à l'intervention des spécialistes... mais le fond sert de support ludique pour expliquer les métiers ».
Le centenaire de Dracula était propice à l'écriture d'un pareil scénario. « Si l'objet de découverte est faux, j'ai retracé avec la plus grande précision, et une exactitude scientifique, les comportements et approches de l'archéologie. Le cadre de Zone Franche, tourné autour des littératures de l'imaginaire, se prêtait tout particulièrement à ce jeu. » Originellement, l'exposition a été présentée durant les Imaginales, où les Vosgiens ont pu découvrir avec plaisir que la tombe de Dracula était archéofictivement située sur leur territoire.
Tout ce qui pouvait laisser une trace archéologique, dans les mythes de Dracula, a été exploité : au niveau du squelette - les différences que l'anthropologie peut mettre à jour - en revanche, l'ostéologie est impuissante devant cette créature. Si l'analyse des os montre que l'on a affaire à une personne adulte, celle de la dentition - et ses fameuses canines rétractables - tient la science en échec. Cependant, la présence d'un trou dans la poitrine, pour le pieu, qui se retrouve dans les vertèbres, atteste de quelque chose - et a donc été utilisée pour servir l'objectif. Son ADN pose un léger souci : on y retrouverait des marqueurs de loup, de chauve-souris et d'humain... Diable de créature.
Un steak en offrande à Dracula ? Plutôt du sang...
Quant à l'alimentation, les analyses isotopiques démontrent que ce qui est retrouvé dans l'instinct de Dracula... est à proprement parler invraisemblable. « Dans la crypte, j'ai essayé de mettre en scène un personnage fascinant et vénéré, avec cette créature repoussante et crainte : on y trouvait donc des objets de culte, autant que des artefacts de protection, ou de défense contre cette créature. Et comme cela arrive dans les sépultures, j'ai ajouté des offrandes alimentaires... mais pour lui, difficile d'imaginer de déposer un steak, plutôt des fioles contenant du sang humain. » De nouveaux éléments que la science peut analyser pour tenter d'en tirer quelques conclusions.
Et si l'on retrouve Dracula si loin de chez lui, « l'avantage, c'est que l'archéologie n'a pas réponse à tout. En revanche, pour construire sa crypte, on a fait venir de la terre de Transylvanie : l'analyse sédimentologique le démontre clairement. Une volonté de le tuer, donc, tout en lui assurant un repos éternel dans sa terre d'origine ».
Aujourd'hui, la vocation de l'INRAP n'est pas vraiment d'exporter un projet pareil auprès des scolaires, alors qu'il représente une sensibilisation aux métiers de l'archéologie, autant qu'une présentation de ses différentes ramifications. N'oublions pas : le sérieux méthodologique est respecté de part en part, bien que le fond de la découverte soit farfelu.
Réunir les pôles de compétences de l'archéologie
Mais dans certains univers, on appelle cela la démocratisation, et cela a du bon, particulièrement dans le domaine de la pédagogie... D'ailleurs, Séverine Draguier souligne que, si certains de ses confrères ont su faire preuve d'humour, ce n'est pas le cas de tous. « L'exposition prend Dracula pour prétexte, à partir duquel on peut évoquer les métiers, leur fonctionnement, et comment chacun intervient sur un site. Les champs de compétences sont réunis, et servent un propos fictif. »
Séverine Draguier n'en est cependant pas à sa première archéofiction : l'an passé, à Épinal, elle avait sorti une version futuriste de l'archéologie, et comme chaque année, elle doit présenter un projet nouveau, l'an prochain, ce sera... la découverte du Prince Charmant.
Le faisceau d'aberration conduit à l'impossible conclusion
Le cercueil et la créature qui y repose, sont l'oeuvre de l'artiste Frédéric Fléjo. On y retrouve tous les détails qui accentuent le propos de l'archéofiction. Des éléments vestimentaires, des bijoux, mais également des offrandes. On retrouve la perforation dans la poitrine, une fiole cassée contenant de l'eau bénite - ou encore la présence de squelettes d'animaux (chauve-souris, araignées, crâne de pseudo dragon), attestant de la connexion de Dracula avec une certaine partie du monde animal.
« Ce qui a pu être reproché au projet, c'est qu'il était facile d'écrire une page de l'Histoire, en s'appuyant sur une démarche scientifique pour lui conférer une véracité. Sans qu'aucun élément ne soit vrai. Mais c'est ce que j'ai mis en avant : un scientifique, s'il sait argumenter, peut faire croire ce qu'il veut. Or, notre métier, c'est d'accepter la prudence, la remise en cause et reprendre ses interprétations. La part est d'autant plus grande dans l'archéologie, que l'on est dans le monde des sciences humaines. »
Ce qui est profondément hilarant, c'est qu'un ensemble d'aberrations constatées par le milieu scientifique et archéologique aboutit à une conclusion des plus délirantes : celle de reconnaître que le cadavre, par la force des choses, des faisceaux de preuves et de démonstration... est bien celui de Dracula. « Avant tout, on ne peut pas ignorer qu'en découvrant ce cadavre aux dents rétractables, on a bien affaire à Dracula. Cet homme n'avait peut-être pas la dent creuse, mais il avait clairement un problème de dentition, cet homme-là. » Le tout, radios à l'appui.
L'exposition permet d'accéder à un univers archéologique rigoureusement reconstitué, avec une thématique drôle et abordable. À découvrir, impérativement. Mais ActuaLitté vous en reparlera sous peu.
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