En septembre 2009, Kid Paddle quitte les éditions Dupuis, et voilà que surgit la société MAD Fabrik. À la tête, on retrouve Midam qui s'occupe de la création, Araceli Cancino, agent de l'auteur depuis 2000, et Dimitri Kennes ancien P.D.G. de Dupuis. Septembre 2013, coup de tonnerre : un communiqué annonce que MAD est vendu à Glénat. Inédit ? En tout cas, la presse spécialisée BD jase et l'encre coule à l'idée que Kid Paddle joue avec Titeuf, dans la même cour de récréation.
Le 10/10/2013 à 12:55 par Nicolas Gary
Publié le :
10/10/2013 à 12:55
Commentaire et exégèses n'ont pas manqué dans le monde des bulles : ici, on clamait que la séparation d'avec le groupe Dupuis était une erreur que Midam allait payer cher, ici on assurait que monter une société indépendante était un risque démesuré, et que l'on fonçait dans le mur en klaxonnant... Araceli Cancino, le A de MAD, a quitté sa tendre Belgique et accordé un entretien exclusif à ActuaLitté, « parce qu'il s'est dit pas mal d'inepties depuis que le communiqué a été envoyé à la presse », estime-t-elle.
« Nous avions décidé de ne rien ajouter de plus que ce que le communiqué disait : MAD Fabrik a été racheté par Glénat. Des boîtes qui se montent, ferment, vendent, ça arrive partout, et nous ne souhaitions pas nous épancher plus que ça. » Sauf que la presse en manque d'informations a tenté de lire entre les lignes, considère Araceli : « Ce qui a été publié par la presse BD, et je me demande si l'on peut encore appeler cela de la presse, c'était un ramassis de... bêtises. J'ai pu lire faillite, engueulades, c'était simplement n'importe quoi. Et ça allait en s'amplifiant ! » MAD Fabrik, frappé par la vox populi, « au point qu'ils allaient démolir tout ce que l'on avait construit. Puisque ça semble tellement en intéresser certains, d'accord, on va vous raconter ce qui s'est passé ».
Et la voici venue prendre la défense de la marque que tous trois ont bichonnée durant ces quatre années, « et défendre ceux qui vont l'exploiter à partir de maintenant », explique Araceli.
« Dupuis, et Media Participations, nous n'avons jamais été très élogieux sur leur compte, depuis la création de MAD. Et plus encore Média, qui est responsable de l'état actuel de Dupuis. » Pour la petite histoire, Dimitri Kennes avait quitté son poste chez Dupuis en invoquant à peu près les mêmes raisons, en 2006. C'était également l'année où Média Participations avait racheté la maison BD. Or, Dupuis était l'éditeur de Kid Paddle et dispose toujours du fonds - 11 albums de Kid Paddle et 4 de Game Over.
« MAD Fabrik tire ses racines de la déception profonde que nous a inspirée Dupuis. Depuis la crise de 2006, jusqu'à notre départ en 2010, les relations se sont régulièrement dégradées. Pourtant, en 2006, nous prenions la défense de Dupuis. Et nous avons payé lourdement notre position quand la nouvelle direction de Dupuis a été mise en place par Média Participations. À l'époque, nous voulions être certains que les droits cédés à un éditeur étaient bien entre ses mains, et pas éparpillés dans celles du groupe - et notamment les droits dérivés », dont Araceli avait la charge ; elle travaillait seule alors avec Midam. MAD Fabrik était encore loin.
C'est autour de ces questions de droits que le noeud s'est fait : confier à un bureau de Paris la gestion et l'exploitation, qui était assurée par l'éditeur Dupuis, cela allait à l'encontre des garanties que Média Participations avait données lors du rachat. Rappelons qu'à cette époque, une charte a été diffusée pour rassurer les auteurs, et garantir l'autonomie de Dupuis par rapport au groupe. Et que depuis, les licences cédées à l'éditeur ne sont plus gérées par ce dernier, mais par Médiatoon, structure créée justement à cette fin. « Une marque comme Kid Paddle, selon nous, devait être centralisée au sein d'une maison d'édition, de même que toutes les déclinaisons. »
Cette crise, à l'époque ne va pas arranger les relations, alors qu'en parallèle, la gestion des licences laissait un sentiment amer : « Nous étions frustrés. On aurait voulu plus de créativité, des casquettes Kid vendues sur le net, plus d'initiatives. » Mais ce qui provoquera la rupture définitive, « et qui existe toujours aujourd'hui », insiste Araceli, « ce sont les problèmes de fabrication, qui ont été assez graves à l'époque. Quand on parle d'un tirage de 300.000 exemplaires du tome 11 de Kid, qui est complètement gondolé, et que l'on nous explique qu'en Belgique, le climat est humide pour justifier le problème, nous avons eu du mal à l'avaler ». Et d'évoquer une multitude d'autres problèmes rencontrés, souvent sur les couvertures, « des choses tout à fait inacceptables. Et ce n'était pas une question d'exigence : avec l'expérience que MAD nous a apportée, parce que nous avons eu à gérer ce genre de choses, nous en avons eu confirmation. Si un éditeur n'est pas capable de gérer sa fabrication, il peut changer de métier. »
Les points sont soulevés, mais rien n'évolue. Jusqu'à ce mois de juillet où Olivier Perrard, aujourd'hui toujours directeur général de Dupuis, fait parvenir le contrat de renouvellement à Midam. « Notre contrat parvenait à échéance, et j'ai simplement demandé si Dupuis souhaitait poursuivre sa collaboration avec nous. Ce fut la goutte d'eau qui fit déborder le vase : le contrat qu'Olivier Perrard nous a envoyé était moins bon que celui qui nous liait alors. » Après quinze années de Kid Paddle chez Dupuis, pour Midam, ce fut une véritable gifle. Et une excellente raison de prendre la tangente, en regard du traitement qui était réservé.
« Deux options s'offraient à nous : signer avec un autre éditeur, ou lancer notre propre structure. Midam avait l'envie de cette aventure, de s'autoéditer, en s'inspirant de ce qu'Uderzo et Goscinny avaient fait autour d'Astérix. » Car, finalement, les deux modèles sont très proches : deux créateurs, dans le cas Uderzo et Goscinny, qui montent les éditions Albert René pour exploiter le petit Gaulois, qui était publié... chez Dargaud. Pourtant, avant que MAD Fabrik ne prenne son envol, Araceli a été contactée par Jacques Glénat. « Il avait compris nos attentes, proposé des solutions efficaces, et finalement, nous fit une proposition extrêmement intéressante. » La rencontre restera comme un bon souvenir, et MAD Fabrik verra le jour quelque temps plus tard.
Les débuts furent compliqués, comme c'est toujours le cas avec avec une structure qui commence son activité. Les premiers gains furent réinvestis rapidement, dans des opérations et campagnes de promotion – « investissements qui ont même été présentés dans certains articles comme excessifs et responsables de l'arrêt de MAD Fabrik, alors que nos actions ont souvent été copiées par la concurrence », insiste Araceli. « Notre équation était simple : faire de l'édition, redynamiser la marque, qui avait été malmenée par Dupuis, trouver de nouvelles licences, faire nos produits à nous. Et redévelopper l'audiovisuel, qui avait été laissé de côté depuis 2005. » Et viendra le temps du bilan, quatre ans plus tard : quatre années, parce que le contrat avec le distributeur, Hachette, s'arrêterait à cette période.
C'est avec ce bilan qu'est intervenue la volonté de revendre la structure : « Ce n'est pas que Kid Paddle aille mal, c'est tout le secteur BD, et plus encore la jeunesse, qui souffre. Le marché est difficile, les licences, même avec de grandes stars, ne font plus recette. L'audiovisuel est très lent, et nous avions un double handicap : d'abord, nous avions deux saisons signées chez M6, qui identifiaient notre marque, et en tant que petite structure, c'est beaucoup plus difficile de négocier. » Quatre années plus tard, le bilan est simple : « Non, nous ne sommes pas du tout en faillite. » Pour son fonctionnement, MAD avait des coûts importants, et afin de compenser les revenus qui ne sont pas arrivés de l'exploitation des licences ou des droits audiovisuels, il fallait produire plus d'albums. « Et c'est ce que l'on a fait. »
Les hors série se sont multipliés : fort d'un studio avec des équipes, qui faisaient tourner les personnages et les aventures, Midam Productions, MAD Fabrik pouvait plus facilement se lancer, sans les contraintes qu'un éditeur aurait pu mettre en avant. Or, « maintenir ce niveau de productivité éditoriale dans le temps nous a semblé dangereux. Les auteurs ont besoin de souffler, autant que les équipes. Et par respect pour le travail de chacun, il faut prendre ce temps de ressourcement. L'an passé, nous avons sorti sept albums, avec une structure de six personnes incluant les 3 associés. D'ailleurs, ce n'est profitable à personne d'entrer dans une logique de surproduction : pas plus au marché qu'aux lecteurs ».
"nous avons travaillé énormément pour que MAD fonctionne. Aujourd'hui, nous récoltons les fruits de notre travaill, et en arrêtant et vendant, nous avons un retour sur notre investissement que nous estimons avoir plus que mérité"
Une volonté personnelle de lever le pied, de se calmer, pour prendre de nouvelles orientations est intervenue. Dimitri Kennes a souhaité se lancer dans une nouvelle vague de publication. Mais MAD n'était pas adaptée et n'a pas été créée pour ça: la société s'était donnée pour mission d'exploiter strictement l'univers et les personnages de Midam, pas de devenir une maison d'édition pour d'autres auteurs.
« Évidemment, ça a créé des dissensions dans notre équipe, mais ce n'est pas une brouille, et ça n'a fragilisé personne ! Dimitri avait bien évidemment le droit de suivre ses envies. Il est parti vers d'autres horizons éditoriaux, et Midam, comme moi, avons des projets personnels : la vie c'est maintenant que nous voulons la vivre, pas dans dix ans. Nous avons adoré notre expérience tous les trois, et nous avons travaillé énormément pour que MAD fonctionne. Aujourd'hui, nous récoltons les fruits de ce travail, et en arrêtant et vendant, nous avons un retour sur notre investissement que nous estimons avoir plus que mérité. »
D'ailleurs, si Araceli prend la parole, elle parle bien au nom des trois : « On peut refaire le monde sur des forums et même se réjouir de l'arrêt de MAD Fabrik. Nous on a toujours préféré l'action. Aujourd'hui nous comprenons l'éditeur qui refuse de faire des casquettes parce que ce n'est pas son travail - mais dans ce cas, qu'il fasse bien ses livres. Toute cette expérience nous a apporté beaucoup - une connaissance plus globale du métier, des enjeux. À refaire ? Sans problème, mais tous, nous avons envie de passer à autre chose. Suivre des envies qui n'avaient pas lieu d'être avec MAD mais comme le disait le communiqué de presse, une structure comme Glénat va permettre de nouveaux développements dans les licences et l'audiovisuel. »
En vendant MAD Fabrik a Glénat, après avoir réussi à redynamiser la marque Kid, lancé Game Over, le barbare vidéoludique et Grrreeeny, le tigre vert écolo, l'équipe n'a pas à rougir, et de toute manière, ne rougit pas. Or, pour continuer sur la lancée, et asseoir des négociations pour l'audiovisuel, pour les licences, il fallait impérativement la force d'un grand groupe. « Il était important que l'éditeur qui allait prendre en main Kid soit dans la continuité de notre impulsion. Nous ralentissons pour donner du souffle aux équipes, mais aussi pour continuer à travailler dans une optique qualitative. »
La vente s'est imposée, nous avons contacté Jacques Glénat et 1 mois plus tard, nous avions un accord dans l'intervalle, Média Participations a eu connaissance de la mise en vente, et a tenté de faire une proposition. Tenté...
Les éditeurs sont tous en train de dire : ‘Voyez, on ne peut pas s'autoéditer.' Mais si, on peut le faire. Nous avons juste choisi de ne pas continuer [...] peut-être que cinq ans auparavant, nous aurions continué. Mais nous avons eu envie de profiter autrement de la vie.
L'an prochain, Glénat sera donc pleinement responsable de Kid Paddle, de Game Over et de Grrreney, avec les droits d'édition, d'exploitation audiovisuelle et de merchandising, avec une pleine confiance des anciens. Le programme est déjà bouclé : pour 2014, un Kid, avec un nouveau titre tous les deux ans, un Game Over, sur un rythme de neuf mois et un Grrreney, avec une sortie annuelle. « Les équipes mêmes de Glénat nous ont inspiré confiance, parce que c'était une chose de signer avec le patron, et une autre de rencontrer ceux qui exploiteront les univers. » Et la transition a déjà commencé, avec une grande sérénité entre les équipes Glénat et MAD Fabrik.
En revanche, on retrouvera peu Midam sur les salons dans les prochains mois. « Midam a envie de souffler un peu, il a d'autres projets, moi aussi. On veut se donner le temps, avec un programme qui tient bien la route, et un éditeur qui pourra faire prospérer nos univers. » De toute manière, le studio Midam Productions, toujours sous la supervision de Midam, tourne bien, avec Adam, Julien Mariole, Patelin et Thitaume. Sans compter le système de crowdsourcing mis en place depuis 2008 qui permet aux internautes de participer aux scénarios de Game Over. Une gestion qui permet aussi d'assurer une remise des planches dans les temps un point particulièrement rassurant pour Glénat.
Pour ce qui est du fonds Kid Paddle, que conserve Dupuis, MAD Fabrik avait fait une proposition, constatant que l'exploitation n'était pas vraiment assurée. « À chaque sortie de nouvel album, on leur demandait simplement d'assurer que les anciens tomes soient disponibles en librairie. Et même cela, c'était compliqué. Mais nos propositions n'ont pas eu de suite - ce qui rendait plus difficile encore à supporter que Media Participations nous fasse une offre pour racheter les nouveautés que nous avions publiées. »
« Qu'aujourd'hui, Olivier Perrard parle de gâchis, ça me fait doucement rire : depuis six semaines Game Over 11 est dans les 15 meilleures ventes dans Livre Hebdo... Ah oui, quel gâchis », ironise Araceli, se référant aux propos d'Olivier Perrard. Dans un article de DBD, le directeur général parlait en effet « d'un immense gâchis » : « Selon lui, en lançant MAD Fabrik nous avons eu les yeux plus gros que le ventre », et la création de cette maison était une preuve supplémentaire. Sauf que, durant cette période, je n'ai pas vu d'albums Dupuis dans ce même classement… »
« Midam n'a pas été le premier auteur à se lancer dans l'édition et cet échec démontre une nouvelle fois qu'il n'est pas facile d'assumer ce métier », ajoutait le directeur général de Dupuis dans ce même article.
Araceli fulmine en évoquant ces propos : « La société fonctionnait bien, très bien. Nous aurions pu endurer les conditions économiques et la crise, en continuant, avec une plus grande production. Il est peut-être difficile de comprendre que nous avions des envies, et d'arrêter, très conscients et très sereins. Nous pouvions continuer MAD. Les éditeurs sont tous en train de dire : ‘Voyez, on ne peut pas s'autoéditer.' Mais si, on peut le faire. Nous avons juste choisi de ne pas continuer. C'était viable, et peut-être que cinq ans auparavant, nous aurions continué. Mais nous avons eu envie de profiter autrement de la vie. »
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