C'est officiel, le groupe Gallimard rachetait hier les éditions Flammarion pour 239 millions d'euros. Ce matin, Antoine Gallimard s'exprimait sur les raisons stratégiques de cette acquisition auprès de L'Express. Et tout le monde de se féliciter que ce fleuron revienne dans le giron d'une société de France. (Montebourg serait tellement content). Editer « à la française », entend-on dire, mais quid de la distribution ?
Antoine Gallimard, crédit ActuaLitté
Grâce au rachat de Flammarion, Gallimard se positionne sur la 3e place du marché éditorial français. Ce sont des maisons comme Flammarion, Climats, Aubier, Arthaud, Pygmalion, Casterman, entre autres, qui intègrent le groupe Gallimard, s'inscrivant désormais sur la longue tradition des rachats de la maison.
Une tendance au regroupement
Évidemment, ce ne sont pas que des catalogues que Gallimard acquiert, mais également le groupe de distribution de Flammarion, Union Distribution. « Les années 1980 ont vu une concentration de la diffusion/distribution par de grands groupes de l'édition », note une étude du Syndicat de la Librairie française (SNL). « En 2002, si 2 400 éditeurs sont diffusés et distribués par 190 diffuseurs/distributeurs, 10 distributeurs assurent les flux physiques et financiers de 90 % de la production éditoriale ».
Et d'ajouter : « Cette proportion n'a guère changé aujourd'hui, et on peut dire que 5 distributeurs se partagent 80 % du marché. Cette stratégie de regroupement, ouverte aux plus performants, leur permet d'asseoir leur domination et de se concurrencer entre eux ».
La distribution est bien souvent la partie la moins visible du système. Cette dame, qui assure le stockage, leur gestion, les factures et la livraison des livres, offre une passerelle essentielle entre l'éditeur et le libraire. Tout l'art des groupes de distribution est d'arriver à être le plus efficace possible, en optimisant au mieux les livraisons et les commandes, grâce à des réseaux automatiques et des systèmes informatisés.
Livrer, c'est dominer
Diffuseurs et distributeurs ont un pouvoir immense, que ce soit sur le libraire ou sur l'éditeur. Dans le cas des distributeurs, ce sont eux eux qui possèdent le stock et qui détiennent ainsi la gestion des livraisons, du planning, des pénuries. Cela inclut les éditeurs indépendants qui, pour des raisons de visibilité, d'efficacité, de temps et d'argent, sont obligés de passer par eux pour atteindre les libraires. Ainsi, pour l'exemple, les éditions Léo Scheer et Actes Sud confient leurs livres au réseau d'Union Distribution (désormais détenu par Gallimard), Au Diable Vauvert passe par la Sodis (distributeur historique du groupe Gallimard). Indirectement, ce sont toutes les maisons d'édition qui transitaient par le biais d'Union Distribution (Flammarion) qui passent sous la supervision du groupe Gallimard.
Il reste donc 5 grands réseaux de distribution qui se partagent toujours le marché, dont deux ne sont plus en (vraie) concurrence.
Chercher des « synergies »
Maintenant que le rachat est définitif, gravé dans le marbre, comment organiser ce géant aux pieds massifs ? Antoine Gallimard parle de « synergies » entre les deux groupes, mot à la mode en ce moment dans le monde du management.
Dans l'immédiat, il y a peu de chances que le paysage de la distribution change radicalement. « Dans le cadre de la distribution, c'est quelque chose de très complexe. À mon sens, aucun des deux ne peut absorber l'autre. C'est énorme », déclare Mathias Echenay, DG du diffuseur CDE, interrogé par ActuaLitté. « Même si cela pourrait être un beau projet, c'est surtout un gros travail. Ça peut prendre deux ans. » Nul doute que d'ici là, les employés de Flammarion et le public auront le temps de voir venir.
Pour l'instant, les choses paraissent bien compliquées, sans qu'un véritable plan n'ait été dégagé encore. La priorité était le rachat, les questions stratégiques viendront ensuite : « Concernant l'après rachat Flammarion, à mon poste on n'a pas commencé à en discuter. Il fallait d'abord que ça se fasse. Ensuite il y aura des audits à faire un peu partout, sur les systèmes d'information, de distribution. Il y a beaucoup de choses à voir », confie Mathias Echenay. De toute façon, la décision se fera en haut lieu : « Pour le moment, Antoine Gallimard a annoncé que les deux entités restaient séparées ».
Et d'ajouter : « En terme de projet, devenir un groupe pour peser sur le marché c'est intéressant. Après, dans les faits, ça va être lent ».
Teresa Cremisi et Antoine Gallimard, salon du livre de Paris 2010, crédit ActuaLitté
Des points forts du rachat : un marché « à construire »…
« En termes industriels ou de marché, ça va être à construire. La question à se poser sera : comment faire pour peser sur le marché par rapport aux géants comme la Fnac ou Amazon ? Cette nouvelle position pourra certainement aider sur des normes, des standards, voir des négociations », déclare Mathias Echenay.
« Ensuite, si l'on discute de la section distribution, celle de Flammarion a la côte, elle est performante et assez rentable. C'est très bien. En revanche, la Sodis est plus grosse, avec deux à trois fois plus de références. Ça reste le même métier, et elle a la côte aussi. Ça sera avant tout un gros travail des patrons de distribution de voir comment tirer des choses de ces deux parties ».
… un système amélioré d'information
« De mon côté, il y a des choses qui m'intéressent. Comme l'amélioration que pourra apporter Flammarion sur le système informatique d'information», annonce Mathias Echenay. Il n'y a pas que le volume et le transport qui coûtent chers : les systèmes de contrôle et de gestion, et de diffusion, sont tout aussi précieux et convoités.
« Ce sont des économies d'échelle particulièrement onéreuses, et c'est complexe. Flammarion possède des outils qui nous permettraient d'être extrêmement précis au niveau du réseau, dans la connaissance des clients et des ventes, dans le pilotage de notre activité. Si un mélange des deux maisons peut nous faire franchir un pas, c'est très intéressant. Surtout pour faire face à la « crise de l'édition » »
En plus d'un système d'information performant, le réseau pourra gagner en efficacité, avec de surcroît, un accès à de nouvelles études de marché, une considérable expérience de terrain, des outils affûtés, toujours coûteux et difficiles à réaliser, pour optimiser aussi les ventes.
… et bien sûr, un catalogue complémentaire
«Flammarion, c'est aussi un apport historique. Comme Gallimard, cette maison a son histoire et ses traditions », explique Mathias Echenay. « Le groupe apporte aussi ses collections fortes comme J'ai Lu, qui se rapproche un peu de Folio. On n'est sûr de rien, mais Antoine Gallimard n'y touchera pas éditorialement. Concernant les beaux livres, il y a eu une tradition, mais c'est plutôt ancien. Le point fort reste Casterman. C'est une magnifique marque, bien gérée ».
Et sur la vente possible évoquée par Antoine Gallimard de Casterman dans Les Échos, le discours se fait plus prudent. Sujet sensible : « Ce sera à Antoine Gallimard de communiquer là-dessus, mais ce n'est pas ce qui se dit en interne. S'il y a une crise et qu'il faut faire rentrer des liquidités, c'est Casterman qui rapportera le plus. Mais à mon avis, dans son rachat, le groupe Gallimard a fortement pensé à Casterman », déclare Mathias Echenay. « Car s'il y a une chose à garder chez Flammarion, c'est bien cette marque-là ».
Mais, surtout des entités différentes
« Il y a une histoire de Gallimard et une histoire de Flammarion. C'est à la fois familial et historique », note Mathias Echenay. « Ce sont deux marques différentes. Il y aura des recherches de synergie et d'économie. Mais ce sont surtout plusieurs entités qui fonctionnent comme un groupe. Et il faut bien avouer que c'est la première fois que le groupe Gallimard acquiert une aussi grosse structure ».
D'ailleurs, pour Antoine Gallimard, qui s'est engagé dans une guerre contre les grands groupes américains, les Apple, Google, Amazon, la venue de Flammarion sera une arme supplémentaire pour peser sur le marché et asseoir ses arguments. « Amazon est un acteur redoutablement efficace qui met toute son énergie au service du consommateur. Longtemps, nous avons mis de l'affect dans nos relations avec ce géant de la distribution. Mais, aujourd'hui, nous refusons de lui donner un quelconque avantage concurrentiel dans l'univers numérique. », déclare-t-il à L'Express.
Qu'on se le dise, Gallimard voit grand !
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