La Bête de Glenmalure
Gérald avait été le premier à soutenir qu’on pouvait apprivoiser la Bête de Glenmalure, et Nathaniel avait précisé qu’elle le serait tôt ou tard. Collé aux basques de son cousin sur cette fichue colline, Gérald avait désormais le temps de regretter sa fanfaronnade. Il jetait des regards apeurés vers les arbres au moindre bruit suspect. Et pour Gérald, tous les bruits de la forêt étaient suspects. Il lui fallait beaucoup de volonté pour ne pas relever le canon de son fusil de chasse à chaque craquement de brindille. Nate se retournait régulièrement pour s’assurer de sa présence, constatant avec une certaine satisfaction que son cousin avait du mal à tenir le coup.
C’était la dernière heure du crépuscule et la nuit s’annonçait claire, mais cela ne les aiderait en rien. La brume s’accrochait aux branches des hêtres, et plus les deux cousins grimpaient, plus elle s’épaississait. Autour d’eux, la forêt ne formait plus qu’une masse d’ombres grises. Nate avait bien précisé qu’ils se passeraient de lampes et qu’il leur faudrait porter des vêtements sombres pour se fondre dans le paysage. Leurs vestes de tweed et leurs chapeaux étaient d’excellente qualité — la meilleure —, et Nate les portait avec la désinvolture typique des aristocrates.
Ses bottes abîmées s’enfonçaient dans l’herbe molle. Le sol avait pris l’aspect d’une fine peau boueuse collée au squelette de la montagne, et des éclats de granit argenté renvoyaient les derniers rayons du soleil.
— Dès qu’on atteint la rivière, on remonte la cascade, murmura Nate en relevant son col pour se protéger de l’humidité du soir.
Le froid lui glaçait déjà les cheveux et la nuque.
— Ça couvrira nos bruits, reprit-il.
— Ça couvrira tous les bruits, se plaignit Gérald.
— Écoute, lui reprocha Nate en se retournant, c’est toi qui as tenu à m’accompagner. J’aurais pu y aller sans toi.
— Mais nous ne sommes que deux, se renfrogna Gérald en abaissant le canon de son fusil. C’est plus sûr quand on est nombreux. Ce monstre a estropié deux hommes, la semaine dernière, tu t’en souviens ? Et ses précédentes victimes ne s’en sont pas encore remises. Pourquoi y aller seuls ? Ça n’a aucun sens. Il nous faut de l’aide. Quelqu’un pour porter notre équipement, au moins.
Ils avaient abandonné leur charrette sur la route avant d’attacher les chevaux et de partir à pied. Gérald n’était pas habitué à porter quoi que ce fût, et les sangles de son sac à dos lui sciaient les épaules. Il n’aimait pas du tout jouer les bêtes de somme ; à quoi servaient les valets, après tout ? L’arme pesait son poids, elle aussi, mais quand Nate lui avait suggéré de la laisser derrière eux, il avait insisté pour la garder. Comment s’en plaindre, désormais ?
— Et tu comptes râler jusqu’en haut ? lança Nate.
— On aurait au moins pu demander à Clancy de nous accompagner.
Extraits
Commenter ce livre