En ouverture du septième Salon des éditeurs indépendants du Quartier Latin qui s'est tenu les 22 et 23 juin 2013 au lycée Henri-IV, une table ronde a été organisée autour de la question du livre numérique. À cette occasion quatre thèmes ont été abordés : la place du livre numérique en France et à l'international, les avantages du numérique pour l'apprentissage, les freins au développement de l'offre numérique francophone, et le projet ReLire sur les livres indisponibles.
Le 13/09/2013 à 08:05 par La rédaction
Publié le :
13/09/2013 à 08:05
Le temps a cependant manqué pour évoquer les initiatives susceptibles de faire progresser l'offre actuelle.
Les débats ont été animés par Valérie Ferrière, fondatrice de Flexedo, société dédiée au livre numérique et rapportés par Antoine Logerais, assistant aux éditions PIPPA.
Sont intervenus : Nicolas Gary, directeur de publication et gérant d'ActuaLitté.com, site d'actualité autour de l'univers du livre, Maître Valéry Montourcy, avocat en droit de l'édition, liberté d'expression, propriété littéraire et artistique, Marie-Christine Roux, chargée d'études au MOTIf, l'observatoire du livre et de l'écrit en Île-de-France, et Guillaume Terrien, champion de France d'orthographe, directeur de Zeugmo et fondateur de la plateforme Orthodidacte, méthode d'apprentissage sur Internet.
Le livre numérique, où en est-on aujourd'hui ?
En France, nous dit Nicolas Gary, 1% des ventes de livres sont réalisées en numérique. Toutefois, ce chiffre ne tient pas compte des éditeurs numériques eux-mêmes et correspond aux ventes des grandes maisons d'édition. Il y a, de fait, un désintérêt pour le livre numérique en France, les grands opérateurs attendant de voir comment les choses vont évoluerpour faire un état des lieux.
À l'international, on trouve en pays de référence les États-Unis où 20% du chiffre d'affaires est réalisé par la vente du numérique (ne tient pas compte de l'autoédition). La mort des librairies indépendantes, tuées par la hausse des coûts structurels, a poussé les gens à se tourner vers le numérique. C'est certainement ce qui va aussi se passer en France avec la création d‘un marché gigantesque suite à la perte des lieux de vente.
Pour répondre à cette question, Marie-Christine Roux met en évidence une étude sur les pratiques de lecture et d'achat de livres numériques produite conjointement par le MOTIf et Médialab (Sciences Po). Cette étude montre que les lecteurs de livres numériques (enquête quantitative en ligne auprès de 726 personnes) sont de grands lecteurs, qu'il n'y a pas de genre littéraire privilégié dans le numérique, et qu'un quart des achats sont réalisés sur les sites de librairies physiques.
À l'époque de cette étude, précise Marie-Christine Roux, la proportion tablettes/liseuses était quasi-équivalente, mais l'équipement en tablettes est en hausse au cours des derniers mois. Elle ajoute qu'Hadrien Gardeur (co-fondateur de Feedbooks) constate un développement important de l'offre numérique sur les smartphones.
Salon des indépendants
Pour Nicolas Gary, l'offre de liseuses est aujourd'hui trop chère (100-120€) pour un appareil qui affiche du noir et blanc. Il s'agit d'un problème de démocratisation face à des tablettes couleurs, multitâches, plus réactives et plus dynamiques, qui ont plus vocation à devenir les futurs outils de lecture. Il est donc important de sensibiliser les jeunes générations à la lecture via ces supports et via les smartphones, outils qu'ils maîtrisent déjà. Marie-Christine Roux ajoute que des expérimentations de prêts de liseuses dans des bibliothèques ont eu lieu auprès du public adolescent, sans grand succès.
Le numérique dans l'apprentissage
Selon Guillaume Terrien, il faut distinguer les avantages du numérique pour la lecture et les avantages du numérique pour l'apprentissage. En ce qui concerne l'apprentissage, le numérique apporte le multimédia (la vidéo, la photographie...) et une plus grande accessibilité par rapport au handicap (vocaliser, zoomer...). De plus, les algorithmes d'un logiciel permettent d'adapter la difficulté des exercices au niveau de l'élève et d'en agréger les résultats afin de produire des évaluations personnalisées.
Il n'est pas question, reprend Guillaume Terrien, de remplacer l'enseignant par des outils numériques, car une interaction avec les élèves est toujours nécessaire. La machine sert surtout à assister l'enseignant en soulignant les principales difficultés rencontrées par les étudiants.
Il y a toujours un risque de dissipation des élèves lorsqu'ils utilisent Internet, répond Guillaume Terrien, mais des paramétrages peuvent empêcher l'accès à certains sites. Cependant, il reste l'attachement à l'objet livre, au plaisir de feuilleter l'ouvrage, son odeur... Marie-Christine Roux et une partie du public vont dans ce sens. Pour Nicolas Gary, l'odeur, le bruit et le toucher sont un problème avant tout générationnel : il ne faut pas que cet attachement devienne un combat. À terme, le livre papier risque de disparaître, complète Valéry Montourcy, pour des raisons qui tiennent à l'air du temps, à la sociologie, à la dimension des logements qui rétrécissent, et à des hommes et des femmes amenés à devenir nomades dans leur vie professionnelle.
Comment envisager le monde du livre de demain ? Quels sont les freins au développement de l'offre numérique francophone ?
Pour Valéry Montourcy, la librairie traditionnelle se meurt ; celles qui résistent le font en devenant des lieux pluriculturels, en organisant des rencontres littéraires, des concours d'orthographe... Il restera cependant des circuits qui échapperont à la nécessité de commercialisation numérique comme la bande dessinée ou les livres pour enfants.
Marie-Christine Roux, reprenant les chiffres de l'étude du MOTIf et de Médialab, souligne qu'entre 1973et 2008, en banlieue parisienne, la proportion des grands lecteurs est passée de 38% à 18% de la population. À Boulogne-Billancourt par exemple, les Maisons de la presse et certaines librairies ferment sous l'influence de la Fnac et d'Amazon. Pourtant, les catégories socioprofessionnelles y sont importantes et représentent un marché, un lectorat papier sur lequel s'appuyer.
Selon Nicolas Gary, il faut avant tout arrêter de distinguer le livre numérique du livre papier et parler de lecture. C'est la diffusion des textes et la découverte d'un auteur qui doivent primer. Valéry Montourcy ajoute que, puisque les jeunes générations sont davantage numériques que les anciennes, il est nécessaire de les privilégier afin qu'elles puissent lire, à défaut de quoi, elles ne le feront pas.
Se pose de plus la question du prix et de la publicité. Aujourd'hui un livre moyen en France se vend à 5.000 exemplaires environ.
Dans la moitié des contrats, l'auteur ne touche rien avant plusieurs centaines d'exemplaires vendus, de sorte que, après plusieurs années d'écriture, la vie du livre se résume aux trois semaines d'exposition en rayon, ce qui est plus que décevant – aucun auteur, sauf exception rarissime, ne peut espérer vivre de sa plume. Le livre numérique, au contraire, est pérenne. Cela change les paradigmes et les modes de publicité, le rapport de communication entre les éditeurs et leurs auteurs.
Marie-Christine Roux pointe l'habitude du livre numérique gratuit. D'après l'étude réalisée, le prix est, à 84%, le premier frein à l'achat. Nicolas Gary, en désaccord, prend l'exemple de Bragelonne, le premier éditeur en France à avoir créé une offre en adéquation avec l'écosystème numérique (4.99€), et ayant vendu, depuis un an et demi, plus de 600.000 exemplaires. Un membre du public lui demande alors de quels types de littérature il est question. Principalement, desgenres contemporains qui fonctionnent (fantasy, romance....), répond Nicolas Gary. Soit, renchérit le public, des chiffres qui se comptent déjà en dizaines de milliers d'exemplaires vendus. Nicolas Gary préfère quant à lui mettre en évidence l'originalité de l'initiative qui permet à Bragelonne de ne plus être victime des conditions d'Apple, Amazon ou Kakoon grâce à une force commerciale suffisamment élevée.
Le projet ReLire sur les livres indisponibles, une avancée ?
La loi sur les livres indisponibles bouleverse profondément l‘économie du code de la propriété intellectuelle, le rapport à la propriété privée, et, surtout, la notion de droit moral de l'auteur. Cette loi du 1er mars 2012 concerne les livres indisponibles du XXe siècle (du 1er janvier 1901 au 31 décembre 2000), livres susceptibles d'être présents sur une base de données, ReLire, publiée le 21 mars et le 21 septembre de chaque année sur le site de la BNF. Par livres indisponibles, il faut entendre livres ne faisant l'objet d'aucune exploitation sous forme papier ou numérique.
Cette liste, actualisée tous les six mois, permet aux auteurs de prendre position. Le mécanisme d'opposition suppose une alternative.
1. Première hypothèse : absence d'opposition dans les six mois. Si, entre le 21 mars 2013 et le 21 septembre 2013 (c'est-à-dire dans le délai de six mois à compter de l'inscription du livre sur la base de données ReLire), l'auteur ou l'éditeur du livre papier ne fait pas opposition : une SPRD (Société de Perception et de Répartition des Droits, en l'espèce la S.O.F.I.A. – Société Française des Intérêts des Auteurs de l'Écrit) propose alors à l'éditeur papier une autorisation d'exploitation numérique ; l'éditeur a deux mois pour l'accepter, son silence valant refus. Si l'éditeur accepte la proposition, il reçoit de la S.P.R.D. une autorisation d'exploitation exclusive pour dix ans, tacitement renouvelable. L'éditeur devant alors exploiter numériquement le livre dans les trois ans. Si l'éditeur refuse la proposition, la S.P.R.D. autorise un ou plusieurs tiers (une ou plusieurs sociétés agréées) à exploiter numériquement le livre, pour cinq ans renouvelables, de façon non exclusive.
2. Seconde hypothèse : opposition dans les mois. Si, dans les six mois de l'inscription du livre sur la base de données, l'auteur ou l'éditeur fait opposition, l'éditeur est alors tenu d'exploiter numériquement dans le délai de deux années, et doit en justifier. À défaut, la S.P.R.D. intervient de nouveau.
3. Au-delà du délai de six mois à compter de l'inscription du livre sur la base de données, l'auteur ne peut plus faire opposition, sauf s'il justifie du fait que l'exploitation numérique est susceptible de nuire à son honneur ou à sa réputation – preuve matériellement impossible à rapporter, sauf à démontrer par des interviewes, des publications, avoir toujours répugné à une telle exploitation. Le retrait de la base de données, par l'auteur, est dès lors, juridiquement, impossible.
4. Enfin, à tout moment, l'auteur et l'éditeur du livre papier, conjointement, peuvent retirer à la S.P.R.D. le droit d'exploiter numériquement, à la condition que l'éditeur exploite numériquement l'œuvre dans les dix-huit mois, et le prouve.
1. L'information. Il appartient à l'auteur et à l'éditeur de consulter la base de données Relire. Un délai de six mois pour faire opposition passe vite.
Il peut être recommandé à un éditeur d'attendre la dernière extrémité du délai de six mois pour faire opposition, puisque l'éditeur dispose alors de deux années pour exploiter numériquement, et le justifier. Ce qui suppose un investissement, et une infrastructure.
2. Si l'éditeur fait opposition dans les six mois, il a deux ans pour exploiter numériquement l'œuvre ; s'il ne fait pas opposition, l'éditeur reçoit de la S.O.F.I.A. une autorisation d'exploitation numérique de dix ans, et l'éditeur doit exploiter numériquement le livre dans les trois ans.
3. Après six mois, l'auteur, pour que soit accueillie sa demande de retrait, doit justifier d'une atteinte à son honneur ou à sa réputation. Cette restriction augure de difficultés probatoires. L'atteinte à l'honneur ou à la réputation, cela s'appelle une diffamation. En quoi une exploitation numérique est-elle constitutive d'une diffamation ? En revanche, le choix des modes d'exploitation d'une œuvre relève du droit moral de l'auteur. Mais la loi du 1er mars 2012 vient limiter le droit moral de l'auteur. Peut-être sera-t-il possible d'obtenir le retrait, en justifiant, par la production d'un testament par exemple, que l'écrivain avait indiqué expressément ne vouloir aucune autre forme d'exploitation que le format papier.
4. Après six mois, un retrait est possible à la condition d'être conjointement exprimé entre l'auteur et l'éditeur. Concrètement, si l'éditeur titulaire des droits papier refuse de se joindre à son auteur, l'auteur devra aller en justice que soit tranché le différend.
5. Surtout, la loi du 1er mars 2012 amène un changement de raisonnement et de paradigme en matière de propriété intellectuelle. Jusqu'à présent, et ce depuis 1957, le droit moral comportait pour l'auteur la possibilité de divulguer ou de ne pas divulguer son œuvre. La loi sur la numérisation des livres indisponibles part du principe inverse. Désormais, le livre devient un bien culturel ouvert au plus grand nombre. C'est une importation de la notion de copyright, une nouvelle forme d'expropriation pour cause d'utilité publique, qui cache en réalité une atteinte au droit moral, la dépossession par l'auteur de son œuvre. Un livre a vocation à devenir un bien public, et non plus la pensée privée d'un auteur que celui-ci accepte ou non de diffuser.
6. Enfin, une vigilance s'impose : si un titre de livre indisponible n'est pas dans la base de données, il sera nécessaire de renouveler l'opération au moins le 21 mars et le 21 septembre de chaque année, et, même plus régulièrement.
Nicolas Gary complète cet échange en disant que cette loi a une vocation patrimoniale, ou tout du moins, est présentée comme telle, et vise à offrir à la France 500 000 œuvres qui appartiennent au XXe siècle. Selon lui, la loi est toutefois faite pour permettre au gouvernement de s'épargner des négociations individuelles avec les auteurs ou les ayants droits.
Conclusion
Afin de conclure cette table ronde, Valérie Ferrière reprend en quelques mots les sujets abordés :
À ce sujet, Marie-Christine Roux rappelle que, depuis trois ans, un cofinancement AFDAS et Région Île-de-France propose des modules de formation gratuits aux éditeurs indépendants et à leurs salariés. Cette formation de sept jours sur les enjeux du numérique possède trois modules : fabrication, commercialisation et aspects juridiques. Valérie Ferrière ajoute que ce cycle de formation est dispensé à l'Asfored et qu'il existe également des formations courtes (de trois heures à un jour) au Labo de l'édition.
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