La journée internationale contre les DRMs, outre qu'elle nous invite à réfléchir sur les problématiques qui sont spécifiques au livre numérique nous pousse également à réfléchir sur la chaîne du livre dans son ensemble. Les DRMs ne sont qu'une partie d'une problématique plus vaste. Les DRMs ont un impact sur la distribution et la libre circulation des livres numériques, tout comme l'organisation de la chaîne du livre imprimé.
Le 06/05/2014 à 14:12 par La rédaction
Publié le :
06/05/2014 à 14:12
Un certain nombre de personnes concernées, au nombre desquelles on compte Ayerdhal (auteur), Sara Doke (auteur et traductrice), Colette Vlérick (auteur, traductrice et directrice littéraire chez Long Shu Publishing), Lorenzo Soccavo (chercheur en prospective du livre), Isabelle Marin (éditrice chez Les Netscripteurs) et Alexandre Girardot (éditeur chez Long Shu Publishing et auteur), ont décidé de se réunir afin de réfléchir et faire proposition concernant l'ensemble de l'écosystème du livre.
Le texte qui suit est la dernière version du Manifeste qui est le résultat de ce travail.
Ce texte n'est pas dans sa version définitive. À ce stade, il est une déclaration d'intention.
Cependant, il a été considéré comme suffisamment proche de sa version finale pour être proposé au public.
Les acteurs du monde du livre et les lecteurs qui souhaiteraient apporter leur soutien et/ou leurs ressources à ce projet sont les bienvenus (contact : alexandregirardot at longshupublishing.com).
Alexandre Girardot
Manifeste pour un écosystème du livre équitable
Le livre
Quels que soient sa forme et son contenu, le livre est le principal support de la circulation et de la diffusion des idées, de la culture et de la connaissance.
Le livre est une production humaine particulière qui ne doit pas être seulement industrielle.
Le livre doit être accessible au plus grand nombre.
Le livre doit pouvoir circuler librement de main en main.
La chaîne du livre
Dans le cadre actuel, ce sont des acteurs ne participant pas directement à la création culturelle qui captent l'essentiel de la valeur marchande du livre. Ils ont imposé l'industrialisation de la production de la culture et de la connaissance et créé la « chaîne du livre ». Certes, cela a permis une large diffusion du livre auprès du grand public. Mais cela a aussi favorisé la concentration des moyens de production entre les mains de quelques entreprises captant à leur profit l'essentiel des bénéfices.
La « chaîne du livre » est une pyramide en haut de laquelle on trouve les grands distributeurs et les grands éditeurs industriels, et à la base de laquelle on trouve la majorité des auteurs et des éditeurs indépendants. C'est la base toujours renouvelée qui retire le moins de bénéfice de son travail alors qu'elle fournit l'essentiel de la valeur confisquée par le sommet.
iL'office est un mode d'approvisionnement des librairies qui concerne les nouveautés. Dans ce système, le libraire note, lors de la visite du représentant, le nombre d'exemplaires souhaité à l'office pour chaque titre ou il remplit une grille d'office indiquant le nombre d'exemplaires qu'il souhaite recevoir pour chaque catégorie d'ouvrages proposée par le diffuseur. En échange, le distributeur consent à ce que le libraire puisse lui retourner ses invendus passé un délai (généralement, entre trois et douze mois) Comme indiqué, ce mode d'approvisionnement impose aux éditeurs indépendants qui veulent être présent dans les rayonnages des librairies et correctement mis en avant de faire imprimer beaucoup plus de titres que nécessaire. On estime que le taux de retour varie de 10% à 40% selon les titres. Une fois ces exemplaires retournés à l'éditeur, ils sont bien souvent pilonnés. Outre le gaspillage que ce système engendre, il oblige les éditeurs à imprimer toujours plus de titre d'une année sur l'autre afin d'alimenter un fond de roulement pouvant amortir la perte occasionnée. |
Dans cette « chaîne », les auteurs et leurs éditeurs sont sommés de produire toujours plus et plus vite au moindre coût pour alimenter la machine productive et amortir les effets de l'économie virtuelle constitutive de ce marché. Pour assurer un revenu à leurs auteurs, les éditeurs indépendants doivent recourir aux services des distributeurs, afin d'être présents dans les catalogues des librairies de leur réseau. Les conditions imposées par les distributeurs aux libraires sont telles que ces derniers, pour continuer d'exister, sont obligés de demander des remises importantes aux éditeurs. Outre ces remises, les éditeurs doivent également assumer le coût que représentent les retours d'invendus. Ce mécanisme est « l'office ».
Ainsi, pour espérer une marge, l'éditeur doit baisser ses coûts de production en surimprimant, pousser la remise consentie aux libraires et accepter les conditions imposées par le distributeur. Cercle vicieux puisque, ayant surproduit, l'éditeur voit le taux de retour augmenter. C'est ce mécanisme qui, tout en créant une économie virtuelle, permet aux distributeurs et aux groupes éditoriaux qui les détiennent de percevoir l'essentiel des bénéfices de la « chaîne du livre ». Dans ces conditions, auteur et éditeur indépendant servent de variable d'ajustement.
L'écosystème du livre équitable
Il faut remettre les auteurs et les éditeurs indépendants au centre de la création culturelle et de la production des connaissances, pour le plus grand bénéfice des lecteurs.
Le développement d'un écosystème du livre équitable a pour objectif la juste rémunération des auteurs et des éditeurs.
Un écosystème est un réseau d'interdépendances. Tous ses membres ont besoin les uns des autres pour exister.
Dans l'écosystème du livre équitable, c'est l'auteur qui est au centre du réseau, soutenu par l'éditeur qui lui permet de finaliser son travail par ses conseils, ses corrections et la mise en forme de l'ouvrage. L'éditeur transforme un manuscrit en livre, libérant l'auteur de la fabrication et de la commercialisation pour créer à son rythme.
Dans l'écosystème du livre équitable, c'est l'éditeur qui, en limitant le nombre d'intermédiaires pour distribuer les ouvrages, garantit à l'auteur une juste rémunération de son travail.
Dans l'écosystème du livre équitable, les distributeurs et les diffuseurs ne captent pas l'essentiel de la valeur.
Les dispositions de la Loi Lang sur le prix unique du livre autorisent une commercialisation du livre dans une paix relative. Bien que spécifiques à la législation française, de telles dispositions ont vocation à s'étendre dans d'autres pays. L'écosystème du livre équitable fournit un cadre qui complète ces mesures afin d'améliorer les conditions actuelles de commercialisation du livre.
Dans l'écosystème du livre équitable, le livre numérique n'est pas opposé au livre imprimé. Ils sont singuliers et complémentaires. Ils font donc l'objet d'une offre distincte. Mais l'éditeur reste libre de proposer une offre couplée papier/numérique dans laquelle le livre numérique est offert, ou vendu à un prix inférieur à celui de sa version numérique seule, lors de l'acquisition de la version imprimée. Tout distributeur doit aussi pouvoir proposer la même offre.
Le cas du livre numérique
Le livre numérique équitable ne peut pas être distribué dans un environnement fermé, ne doit pas être verrouillé et doit être produit à l'aide d'un code informatique ouvert, sinon, il ne s'agit pas d'un livre mais d'un service ou d'un droit de lecture.
Le livre numérique équitable doit être produit et diffusé de telle sorte que son acquéreur puisse le donner et le prêter comme bon lui semble, tout comme c'est le cas quand il est imprimé.
Le livre numérique équitable ne doit comporter aucun dispositif technique qui entrave la vie privée et la liberté des citoyens.
Le livre numérique équitable doit être lisible par tous et en tous lieux. Le même soin doit être apporté à sa fabrication que s'il était destiné à être imprimé.
Le prix du livre numérique équitable doit tenir compte de l'abaissement des coûts de fabrication, de stockage et de diffusion induits par l'environnement numérique.
Le livre numérique équitable doit être diffusé en circuit court. Le nombre d'intermédiaires impliqués dans sa diffusion doit être le plus petit possible, et les tarifs de cette diffusion doivent également tenir compte de l'abaissement des coûts de stockage et de diffusion induits par l'environnement numérique.
Le livre numérique équitable ne peut pas être distribué par l'intermédiaire d'une plateforme lui imposant ses règles, quand ces règles ne respectent pas l'écosystème du livre équitable.
Les points qui permettent à l'écosystème du livre équitable d'exister sont :
@ActuaLitte Une apologie de la vente directe en dehors des plateformes fermées, je souscris dans l'ensemble
— Nicolas Cartelet (@NicolasCartelet) 6 Mai 2014
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