Les libraires de Payot ont choisi leurs trois livres de l’année en littérature francophone, traduite et en essais parus entre septembre 2020 et mars 2021. Cette année, il n’y aura malheureusement pas de remise de prix. Mais les ouvrages restent à découvrir.
Lancé en 2018, le Prix des Libraires Payot a connu deux belles éditions avant d’être annulé l’an dernier pour cause de pandémie. Mais nos libraires, lecteurs enragés et initiateurs de cette distinction, ne se sont pas laissé attraper cette fois ! Entre vidéoconférences, port du masque et distanciation, ils se sont organisés au nez et à la barbe du confinement, ont sélectionné, délibéré et élu «comme avant».
C’est que l’intérêt du Prix des Libraires Payot plonge ses racines au cœur de ce qui motive et fait vibrer leur métier. Alors, une fois par an, prendre le temps de revenir sur les parutions de l’année, faire valoir ses préférences, défendre farouchement son avis face à des collègues qui en font autant (avec tout ce que cela implique d’éclairages et de découvertes !), ce sont des plaisirs auxquels on ne renonce pas facilement...
Pour donner corps à leur Prix, ils sont à la manœuvre depuis quelques mois. Des trois longues listes de propositions en littérature, francophone et traduite, et essais, présentées par l’ensemble de nos librairies à la commission de sélection présidée par Pascal Vandenberghe, directeur général de Payot, dix nominés par catégorie se sont détachés. Puis trois jurys de libraires les ont examinés avec leur rigueur de lecteurs professionnels, mais surtout leur enthousiasme totalement libre.
Exigence de qualité, bonheur de lecture, réflexion sur la responsabilité du prescripteur, plaisir de l’argumentation : les débats sont passés par toutes les nuances avant d’aboutir au choix, ardu mais assumé, de trois ouvrages représentatifs de l’esprit Payot.
Voici les trois ouvrages retenus :
Littérature francophone : Dimitri Rouchon-Borie, Le démon de la colline aux loups, Le Tripode
Conscients qu’on ne peut pas aimer cette histoire sordide et perverse d’une enfance saccagée, les jurés lui ont reconnu pourtant ce pouvoir – si difficile à décrire – d’une œuvre qu’on ne peut lâcher, et qui habite le lecteur bien après le point final. Première fiction d’un chroniqueur judiciaire familier des pires noirceurs, le roman laisse à Duke, le narrateur, le soin de se raconter du fond de sa cellule, geôle moins dure que les terrifiants souvenirs de son enfance martyre et les séquelles de sa non-éducation.
Livré à ses seules ressources personnelles, qui se révèlent impressionnantes, il lutte contre un «démon» totémique, défrichant au fil de son récit un langage qu’il ajuste au plus près de sa réalité, naïf et cru, fruste et intuitif, violent et poétique. Un tour de force littéraire que submerge l’émotion pure, une claque dopée à l’adrénaline qui fait dire au jury que «c’est pour ce genre de livres qu’on fait ce métier.»
Littérature traduite : Goldie Goldbloom, Division Avenue, Christian Bourgois
Une poignante héroïne, Surie. Mère et grand-mère à la maisonnée bien remplie, cette admirable épouse de rabbin se trouve confrontée à une ultime maternité – que, cette fois, elle n’accepte pas. Pour vivre son projet personnel et, d’une certaine façon, venir au monde (et le laisser venir à elle), il lui faudra un courage immense...
Car traverser cette avenue qui sépare le quartier juif ultraorthodoxe du grouillant Brooklyn est une expérience, qui pourrait prêter à sourire mais que l’écrivaine remet adroitement dans sa perspective féminine et culturelle pour en faire saisir l’audace et les contradictions. Intelligent, émouvant, sociologiquement passionnant et tissé d’un humour délicat, le roman de Surie et de sa tribu (mais combien d’enfants pour faire oublier l’hécatombe familiale de la Shoah?) ouvre une fenêtre sur un univers aussi attachant que méconnu.
Essais : Shoshana Zuboff, L’âge du capitalisme de surveillance, Zulma
Professeure émérite à la Harvard Business School, cette sociologue récalcitrante étudie – et dénonce – depuis plus de dix ans, l’impact liberticide du big data sur le fonctionnement des États, des sociétés et des individus. Imposante mais étonnamment accessible, car elle nous parle des effets de nos livraisons quotidiennes de données gratuites aux tentaculaires GAFAM, son étude est un coup de gueule très documenté contre la perversion d’une tyrannie invisible, héritière d’un siècle de manigances socio-économiques, et qui fait fi des lois, des frontières et des valeurs – sinon boursières...
Comprendre est une chose, résister une autre : est-il encore temps ? Puissant et salutaire, cet essai hors norme est peut-être l’électrochoc de la dernière chance !
On peut retrouver la sélection complète des oeuvres à cette adresse.
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