Suite aux confinements liés à la crise sanitaire, les bibliothèques écossaises peinent à retrouver le rythme d'activité d’antan. Pour tenter de résorber ce phénomène, la Scottish Library and Information Council (SLIC), organe consultatif indépendant du gouvernement écossais concernant les questions de bibliothèque, a proposé de supprimer les frais de retards, pour inciter la population à emprunter davantage de livres. Un objectif qui viserait à rendre les bibliothèques « accessibles à tous ».
Le vendredi 27 août dernier, une nouvelle stratégie nationale quinquennale a placé plusieurs bibliothèques, telles que celle de Whiteinch, au cœur de la reprise du Covid. L’Écosse demeure le seul pays européen à avoir une stratégie pour ces établissements culturels. Elle espère aussi rendre l’utilisation des bibliothèques plus pertinente en se concentrant sur une plus grande offre de services numériques. En effet, la pandémie a apporté des services et des offres alternatives, qui pourraient permettre la floraison des bibliothèques, et leur modernisation sur le long terme. Parmi ces derniers, les bibliothèques mobiles ont été particulièrement utilisées ainsi que le système de click-and-collect, qui selon le SLIC, devrait devenir un « service de base ».
La ministre de la Culture, Jenny Gilruth, a déclaré qu’il s’agissait d’une « vision nationale pour les bibliothèques ». Celle-ci permettrait d’examiner leur rôle pour assurer « un avenir post-pandémie plus fort, tout en plaçant les communautés au centre de son attention ». De même, Pamela Tulloch, directrice générale du SLIC a souligné que cette initiative rendait compte du rôle joué par les bibliothèques dans le soutien aux personnes pour leur bien-être et les besoins de la communauté. En outre, elle a déclaré qu’ils pourraient encourager les gens à être « plus actifs sur le plan numérique », que cela améliorerait la santé mentale et comblerait l’écart de réussite.
« Nous savons également qu’ils contribuent dans une certaine mesure à aider les gens à lutter contre l’isolement social et nous les voyons également réduire les inégalités et je pense que c’est vraiment important pour que nous commencions à aller de l’avant en tant que société », a-t-elle ajouté.
Les nouveaux chiffres ont souligné la difficulté des bibliothèques écossaises à retrouver leur activité. En effet, une bibliothèque publique sur huit n’a toujours pas rouvert ses portes. Certaines données manquent. Malgré l’assouplissement du confinement en avril dernier, 61 des 481 bibliothèques publiques écossaises n’ont pas fourni d’informations concernant leur réouverture. Plusieurs autorités locales accusent le manque de subventions nécessaire pour rouvrir leurs sites.
Lisa Haddow, directrice du service de Live Borders, gérant des bibliothèques pour le Scottish Borders Council (SBC), a affirmé qu’il était pour l’instant impossible de rouvrir complètement le groupe, car il a subi « une perte de revenus assez importante ». De même, le chef des communautés et des bibliothèques de Glasgow Life, Andrew Olney, a indiqué que plusieurs efforts étaient menés pour rouvrir davantage de sites. Il explique : « Nous reconnaissons pleinement que les gens ont des inquiétudes quant à l’avenir, mais nous travaillons dur avec le conseil sur la façon dont nous pouvons continuer à développer les services. » Il a ajouté que « la réouverture était un “défi” car cela nécessiterait un financement supplémentaire, mais qu’il cherchait des moyens d’obtenir ce soutien. »
En outre de ces difficultés à rouvrir, bon nombre de bibliothèques n’ont toujours pas retrouvé des horaires d’activité normaux. La BBC est revenue sur ces difficultés rencontrées. Par exemple, la bibliothèque Galashiels n’a rouvert que ce mois-ci, mais seulement à un tiers des horaires qu’elle connaissait auparavant.
Pourtant, Sean McNamara, directeur du Chartered Institute of Library and Information Specialists in Scotland (CILIP), insiste sur l’importance de ces bibliothèques publiques : « Les bibliothèques reçoivent plus de 40 millions de visites par an et les bibliothèques publiques d’Écosse sont le service le plus populaire fourni par le gouvernement local et ce serait un acte de folie d’oublier cela. » D’où l’importance de revenir rapidement à un rythme pré-Covid. Selon le SLIC, revaloriser l’importance de ces structures culturelles permettrait au NHS Scotland, l’agence nationale écossaise d’éducation et de promotion de la santé, d’économiser 3,2 millions de livres sterling, chaque année.
Sean McNamara pointe du doigt la contradiction du discours tenu par les conseils : « D’une part, nous avançons dans une direction positive. Les bibliothèques ici sont massivement utilisées. En 2019, il y a eu 40 millions de visites et 20 millions de livres empruntés. Le Premier ministre et le SNP sont très solidaires. Nous avons une stratégie nationale et beaucoup de projets innovants. D’un autre côté, nous avons un accord de financement du gouvernement local qui n’aide pas les bibliothèques dans ce qu’elles veulent faire. D’année en année, cela devient de plus en plus un combat. Bien que peu d’entre eux aient fermé (beaucoup moins qu’en Angleterre), il y a eu une réduction des heures d’ouverture et des problèmes de personnel, et l’inquiétude est que la pandémie aggrave le problème au moment même où nous avons le plus besoin de bibliothèques. »
D’après lui, « Il est désormais essentiel que les gouvernements nationaux et locaux travaillent ensemble afin que le financement approprié soit mis en place pour garantir que les bibliothèques puissent fournir un accès à la lecture et à l’informatique, réduire les inégalités et l’exclusion numérique, et aider les communautés à se reconnecter et à se rétablir économiquement après la pandémie. […]Cependant, plusieurs bibliothèques clés doivent encore rouvrir et beaucoup d’autres sont confrontées à de nouvelles réductions de budget, de personnel ou d’heures d’ouverture, aggravant les dommages importants causés pendant l’austérité. Il est désormais essentiel que les bibliothèques et leur personnel qualifié soient reconnus pour leur place unique dans les communautés et leurs avantages en termes d’économies à long terme afin que cette nouvelle stratégie puisse avoir l’impact qu’elle devrait avoir. »
Parmi les mesures pensées par cette nouvelle stratégie pour préserver les bibliothèques, les frais imposés aux retardateurs sont remis en question. Beaucoup de critiques estiment qu’imposer des frais de retard dégagerait un « message punitif victorien » qui ne s’accorde pas à l’objectif de moderniser les bibliothèques et de les rendre plus accessibles. En Écosse, environ un tiers des services des bibliothèques publiques en Écosse ne facturent pas ces frais… et heureusement pour l’anonyme ayant rendu son livre de recettes avec 50 ans de retard.
BIBLIOTHÈQUE: Un livre de recettes rendu... 50 ans plus tard
D’après Pamela Tulloch, cette expérience a souligné que : « Les pénalités financières (amendes de bibliothèque) sont un obstacle pour encourager les gens à utiliser les bibliothèques, en particulier ceux des ménages à faible revenu. » Il existerait même un mouvement d’ampleur nationale cherchant à supprimer totalement ces frais.
Elle ajoute : « Plus récemment, les bibliothèques du comté de Los Angeles ont suivi les bibliothèques de Chicago et ont supprimé les amendes. Il est largement reconnu que le coût de l’administration des amendes des bibliothèques dépasse les revenus perçus, et le processus devrait donc être plus largement adopté — la recherche montre que la suppression des amendes augmente la participation. »
Sean McNamara rejoint à son tour cette vision : « Les bibliothèques publiques sont essentielles pour réduire les inégalités et prennent des mesures actives à cet égard, notamment en soutenant les groupes communautaires locaux, en organisant des clubs d’emploi, en fournissant un accès aux ordinateurs et en supprimant les amendes. […] Les bibliothèques doivent être accessibles et accueillantes pour tout le monde et tout ce qui réduit ou supprime les barrières doit être le bienvenu s’il est durable pour ce service. »
Cette inquiétude concernant l’avenir des bibliothèques publiques en Écosse est renforcée par la menace des réductions des dépenses publiques. En effet, on note qu’en 2016-2017, il existait 558 points de service de bibliothèque contre 530 en 2019-2020.
Ce sujet tient particulièrement à cœur pour la population écossaise. Plusieurs mouvements solidaires ont vu le jour ces dernières semaines pour défendre les intérêts des activités publiques. En mai dernier, les habitants de Pollokshields ont lancé leur campagne #SaveGlasgowLibraries. Face au manque d’information, il y a trois semaines, à Glasgow, le groupe activiste Communities Unite Against Closures a organisé une marche, réunissant des centaines de personnes, afin de réclamer la réouverture des services (bibliothèques, musées, installations sportives…), dont plusieurs d’entre eux étaient menacés d’une fermeture définitive.
Finalement, plusieurs bibliothèques au cœur de cette campagne ont pu rouvrir. Cependant, cinq d’entre elles, dont Whiteinch, Maryhill, Barmulloch, GoMA et le Couper Institute in Cathcart, demeurent fermées. Les portes de la bibliothèque de Whiteinch sont aujourd’hui recouvertes d’affiches et de poèmes, dans l’attente des passionnés de les voir un jour être rouvertes, sans réelle assurance...
En outre, le journal écossais The Scotsman soutient activement ces campagnes à travers sa campagne Soutenez nos bibliothèques. Cette dernière a d’ores et déjà été relayée par l’auteur Damian Barr (Tout ira bien, traduit par Caroline Nicolas, aux éditions Le Cherche-midi). Il a déclaré que les « bibliothèques peuvent nous sauver. [Il sait] qu’elles le peuvent. Il faut juste d’abord les sauver », car les bibliothèques sont bien un « service de première ligne ».
D’autres voix se sont jointes à celle de l’auteur. Parmi elles, celle de Marc Lambert, directeur général du Scottish Book Trust, pour qui « Les bibliothèques construisent une vie meilleure, point final. Ils sont aussi essentiels à la santé et au bien-être de nos collectivités que tout autre service social. Sans bibliothèques, il y a peu d’espoir de créer une société meilleure et plus égalitaire. » Mais aussi celle de la Bibliothèque nationale d’École : « Les bibliothèques sont des lieux de confiance qui peuvent aider à soutenir le rétablissement de l’Écosse face aux inégalités éducatives, culturelles et économiques provoquées par Covid-19. »
Pour en apprendre davantage sur la situation des bibliothèques écossaises, l’article de The Scotsman propose des informations précieuses.
Source : The Herald, The Scotsman, BBC
Crédit : Facebook The Mitchell Library, à Glasgow
Paru le 27/08/2020
370 pages
Le Cherche Midi
22,00 €
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