Les propriétaires des librairies Gibert vendent leurs murs
Au détour d’un CSE, la direction des librairies Gibert Joseph a lancé une petite bombe. Un sujet qui ne figurait pas à l’ordre du jour, mais dans les points divers : les murs des librairies parisiennes sont vendus. L’information pourrait ne concerner qu’indirectement le devenir des librairies : les actifs immobiliers n’appartiennent pas à l’entreprise qui pilote l’activité. Mais l’imbrication des deux est telle que de multiples questions se posent.
Le 24/06/2022 à 13:25 par Nicolas Gary
18 Réactions | 2291 Partages
Publié le :
24/06/2022 à 13:25
18
Commentaires
2291
Partages
L’acheteur n’a pas été dévoilé — interrogée durant le CSE, la direction a assuré, peut-être avec un trait d’humour, qu’il ne s’agissait pas des Qataris. Ouf ? Probablement pas. Des indiscrétions avaient affirmé qu’une banque serait derrière la reprise – et deux noms avaient alors circulé, l’une originaire de Lyon, l’autre ayant eu maille à partir avec un trader voilà une petite quinzaine d’années. Mais aucune confirmation depuis.
Dernièrement, un cabinet comptable était intervenu à différents niveaux, pour passer l’entreprise Gibert au crible. Or, la question immobilière n’avait pas été évoquée : elle s'avère toutefois fondamentale.
La quadrature du cercle
De fait, les murs qui abritent les librairies Gibert appartiennent à une kyrielle de SCI familiales, et à ce titre, leur cession ne changerait rien. Une simple transaction financière, en somme, puisque le patrimoine immobilier est distinct de l’activité commerciale. Cependant, dans un quartier qui souffre d’une perte de fréquentation, les murs qui changent de mains posent de multiples questions.
« Les deux structures sont étroitement liées : la SCI permet aux librairies de bénéficier de loyers spécifiques, et de la sorte, profite d’une rentrée d’argent. Une sorte de cercle vertueux », analyse un observateur. « Mais dans le quartier Saint-Michel, ce modèle ne fonctionne qu’à condition que la dynamique soit préservée. »
Selon nos informations, le nouveau bailleur et propriétaire est engagé à préserver les conditions locatives jusqu’à la fin du bail. Mais qu’adviendra-t-il à son échéance ? Et quand interviendra-t-elle ? « Le système Gibert sur Paris garantit une continuité économique, parce que la principale charge — le loyer — est maîtrisée. Les conditions seront-elles reconduites par la suite afin d’assurer la pérennité de l’activité commerciale », s’interroge-t-on ?
Autre questionnement : le périmètre de la vente, qui n’a pas été présenté. « Le risque évident est celui de voir l’activité des librairies étranglée par une révision à la hausse des loyers. En ce cas, le pire serait à craindre : toute la stabilité repose sur une équation entre les deux entités, celle qui gère le locatif et celle responsable du commercial. »
À LIRE: Les burgers de Five Guys à la place de la librairie Gibert Jeune
« Une telle annonce est de nature à soulever un grand nombre de problématiques : l’engagement en matière de maintien du loyer est la principale, mais loin d’être la seule », nous assure-t-on. De quoi demander quelques explications sur le devenir et la stratégie de l’entreprise.
Ô Capital, mon capital !
« Voilà quelques mois, les présidents du directoire avaient indiqué dans la presse qu’ils ne s’interdisaient pas d’ouvrir le capital de l’entreprise », se souvient un salarié. Et en effet, dans Le Monde (septembre 2021), Marc Bittoré et Olivier Pounit-Gibert soulignaient que ledit capital était « aujourd’hui uniquement familial » et que l’ouvrir à d’autres investisseurs faisait partie des réflexions. « Le sujet est sur la table, mais nous n’avons pas mandaté de pool bancaire. »
À LIRE: une étude mesure le poids du livre d'occasion en France
Si l’entreprise avait profité de 10 millions € de PGE, durant la période Covid, les deux présidents insistaient sur le « besoin de financement pour nous développer et faire face à la concurrence ». Et ce, principalement en matière de vente en ligne.
À cette heure, toutes les suppositions sont permises : la plus redoutée demeure la cession de l’activité commerciale à terme. Est-ce à dire que la direction anticiperait un tassement des loyers ? « Vendre maintenant tant que les conditions sont encore acceptables et bonnes pour eux est la meilleure option. Mais il n’aurait aucun sens de garder les sociétés commerciales dans ces conditions », relève un observateur. De quoi justifier la démarche du point de vue des propriétaires, mais avec quelles conséquences en termes de casse sociale qu'une telle perspective implique pour les salariés ?
Tous ensemble ?
Autre urgence, pour la direction, une audience prévue ce 27 juin. Elle concerne une demande de reconnaissance de l’Unité économique et sociale de l’entreprise (UES). Autrement dit, que l’ensemble des librairies Gibert soit appréhendé comme une structure globale et non comme des îlots distincts. « Cela permettra de disposer d’un CSE commun, pour la totalité des librairies. Et apportera un regard bien plus large, de même qu’une capacité syndicale plus efficace que celle actuellement limitée au strict périmètre des librairies parisiennes. »
La holding Palidis, qui détient les différentes entités Gibert, entretient un véritable flou — d’aucuns parlent même d’opacité — sur le fonctionnement global. Or, on se souviendra que, fin mai 2020, trois librairies du groupe avaient été placées en liquidation. Chaque établissement représentant une entité propre, les salariés ne peuvent pas bénéficier d’une représentation du personnel commune.
La CGT, qui porte la démarche juridique de l'UES depuis novembre 2020, le précisait : « La centralisation extrême des décisions par la direction du “groupe” impose de permettre l’expression des salariés et la négociation collective à la même échelle. […] La mise en place d’une unité économique et sociale aurait pour effet la constitution d’un CSE central tout en conservant des CSE d’établissements là où le seuil d’effectif le permet. »
Marc Bittoré s'en expliquait auprès de ActuaLitté : « Nous avons des librairies avec une unité juridique propre à chaque établissement. Nous ne fonctionnons pas comme le Furet : certes, nous sommes une enseigne, mais avec un réseau de magasins indépendants, présentant des disparités d’un site à l’autre. C’est une autre spécificité… et une complexité. »
La culture du secret chez Gibert, proverbiale, ne permet pour le moment pas d’en savoir plus quant aux projets dans les cartons. Depuis quelques mois, l’entreprise développe un modèle de franchise, financièrement plus attractif et intéressant. Présenté comme un concept store, le modèle Quinze.bis fut inauguré en septembre 2021. Lieu hybride, plutôt bien brandé à gros renfort de communication, il représente un avenir plus reposant pour la direction.
Avec l’éclosion des concept stores, la direction précisait également qu’elle repenserait la taille de ses espaces, de même que leur emplacement. En 2021, le groupe comptait quelque 700 salariés et 25 boutiques. Nous avons pris contact avec la direction de Gibert Joseph et mettrons à jour cet article suivant leurs réponses.
mise à jour 15h41:
Marc Bittoré nous a apporté des précisions sur le projet de vente. « En effet, il y a un projet de changement de propriétaire pour une partie des locaux concernant les sites occupés par GIBERT JOSEPH SAS sur le boulevard St Michel. Cette opération, totalement indépendante de la société commerciale ne change en rien l’existant puisqu’il est prévu une reconduction du bail sur les mêmes conditions que le précédent. »
crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Plus d'articles sur le même thème
Autres articles de la rubrique Métiers
18 Commentaires
Duberthé Emile
24/06/2022 à 15:26
pour mémoire ce commentaire ,d'une grande clairvoyance toute macronienne , suite à votre article sur leur concept Qinze .bis - by Gibert
__________________________________________________________________
08/09/2021 à 22:16
Je crois que Gibert est beaucoup plus robuste qu'on ne l'imagine, surtout quand il s'agit de ne pas sombrer et sauver sa peau.
Il perd, il reprend courage, en boucle, mais ne renonce pas et recommence avec les ingrédients qu'offrent ces temps difficiles: une bouée protéiforme de sauvetage - pour attirer le plus possible de clients et survivre. Qu'importe alors l'opinion des perpétuels mécontents, médisants et autres tristes figures!
Pour beaucoup de personnes, le déclin momentané des librairies Gibert a été senti quasi comme un deuil - on aimait tant y être - et ces mêmes amis, aujourd'hui, se réjouissent d'assister à leur réaction si positive et courageuse.
En avant, nous retournerons chez vous, c'est promis!
____________________________________________________________________
Librairisante
24/06/2022 à 16:13
D'accord, mais quand est-ce que s'achève le bail que le nouveau propriétaire à acheté ?
Au passage
24/06/2022 à 16:19
C’est la fin. La famille valorise son patrimoine mais n’acceptera jamais de perdre de l’argent dans les boutiques.
Dans un an, deux max, pounit fermera les magasins.
Et zou !
Jean Pauldoeuf
25/06/2022 à 11:24
Bonjour,
Votre commentaire est inquiétant.
Avez vous quelques arguments pour éclairer votre avis?
Merci.
JP
Micheline Degraves
25/06/2022 à 14:10
ahurissant !
vous voulez peut-être un mot de la famille Gibert , de leurs banquiers , de leurs conseils juridiques , des services secrets Albanais , du général de La Mouette Rieuse patron de la BRDCI Suisse pour vous rassurez ?
c'est grave
je n'ose pas vous informer de peur de vous faire tomber de votre chaise !
Patron : salarié=coût=pertes et profits
Jean Pauldoeuf
25/06/2022 à 22:26
Merci pour votre réponse Micheline, elle viens en effet de me faire l'effet de la pilule rouge de Matrix 1.
Mais alors pourquoi M. Pounit attendrait un an ou deux pour fermer les magasins?
Pour les beaux yeux des salariés ?
Inside Gibert
24/06/2022 à 16:19
Le sujet était effectivement « pending » chez Gibert. Le plus surprenant est qu’ils privilégient du coup le business plutôt que la rente, dans un modèle économique du business qui n’est pas en grande forme.
Ils se privent de loyers futurs (pas forcément des librairies) pour refinancer un modèle qui ne crée plus beaucoup de valeur…
LM
25/06/2022 à 07:01
Et vous, si vous utilisiez des termes français plutôt qu'anglais.
DADAT Alain
25/06/2022 à 13:35
Gibert jeune ferme ,la Fnac Italie 2 fermée,on est en droit de s'inquieter
Cecilfa
25/06/2022 à 16:09
Quelle tristesse où dorénavant allons nous acheter, découvrir, feuilleter des livres.!!!
Gibert est une référence
Ancienne et enseignante je ne peux que déplorer cette perspective de disparition (date de la fin du bail ?)
dans ce boulevard St Michel sinistré il n y aura plus que des enseignes fermées ...
Très inquiétant... La culture livresque n existe plus...
TonyTroll
27/06/2022 à 09:41
Puisque vous êtes enseignante, chère Madame, vous devriez savoir que l'éducnat n'a pas d'autre but, depuis une quarantaine d'années, et à part quelques bastions qui peu à peu disparaissent, de produire des semi-abrutis qui passent leur temps à regarder leur téléphone, qui avalent la propagande vacciniste, macroniste, réchauffiste ou autre assénée par la presse, et pour qui le livre représente un objet mystérieux qui fait mal à la tête…
Yuppie Zombie
27/06/2022 à 11:39
D'accord avec votre constat sur la faillite de l'éducNat, à ceci près que les fameux semi débiles que vous évoquez sont voraces de bien autre chose : de théories conspi débiles (antisémites et autres) ; de climato scepticisme (bonjour chez vous! C'est vrai que rien n'indique du tout du tout que ça va être la m. dans peu de temps, tout va pour le mieux, n'est-ce pas???) et de suspicion systématique pour tout ce qui dérange leur confort "intellectuel" (j'ose le mot), la vérité devenant une question de point de vue, d'où inutilité d'argumenter, de réfléchir et de débattre de quoi que ce soit. Juste intimider, parler le plus fort et couvrir la parole de l'autre d'un rire outrancier et moqueur. Peu à peu la loi du nombre, du plus fort, du plus con.
Bronson
26/06/2022 à 12:09
100% des commerces paient un loyer ou un remboursement lorsqu’ils ont acheté un local. Dans le cas présent - il semblerait que le commerce paie un loyer et que le propriétaire change. Donc??? Cela vaut-il une info?
Si les propriétaires avaient souhaité capitaliser sur le bien, n’auraient-ils pas mieux fait d’augmenter les loyers? Ou de changer de locataire? Si le commerce va si mal - comme le dit la personne précédente - 2 ans auraient suffit pour toucher le jackpot….
Donc? Ici pas d’info… je laisse le soin aux mauvaises langues de faire plus de suppositions qui n’ont pas de valeurs.
Team ActuaLitté
26/06/2022 à 15:33
Cher lecteur
Peut-être pourriez-vous relire (ou lire ?) l'article, avant d'apporter une telle charge.
Car, quand le propriétaire du commerce est également celui des murs, et que les murs changent de mains, alors, non seulement il y a une information, mais plus encore, des questions qui se posent pour les salariés.
Surtout quand l'équilibre du commerce repose sur le montant du loyer.
Mais peut-être que cette donnée humaine ne méritent pas d'être prise en considération ?
Bien à vous
Christine Bayle
26/06/2022 à 20:45
Il serait préjudiciable que Gibert passe sous le contrôle de propriétaires inconnus, cachés, si le statut actuel n'est pas reconduit. C'est une maison indispensable à Paris! On a déjà assisté à une restriction des maisons. Il faudrait arrêter d'attaquer une entreprise si utile pour la culture!!
Antigone
29/06/2022 à 18:53
Il serait bon de savoir combien de temps va durer le nouveau bail, même si un loyer certainement modéré a été négocié , restera t il au même montant à la fin du bail . Il aurait été plus rassurant que le nouveau propriétaire des murs soit la mairie de Paris ou le Ministère de la Culture justement pour maintenir cette grande librairie . Gibert Jeune ,place st Michel a disparu, La Hune, bd st Germain aussi et une quantité de petites librairies au fil du temps qui faisaient que le quartier St Michel et St Germain était un quartier estudiantin, culturel et touristique. Il est important que demeurent les librairies qui proposent de l'occasion comme Gibert, Boulinier,et les quais. Il faut vraiment que l'activité commerciale soit maintenue sur le très long terme et il est à espérer que les clients reviennent nombreux dans cette grande librairie parisienne.
Aleph
04/07/2022 à 15:25
Et il y a tant de libraires qui rêvent de repousser les murs..
LM
04/07/2022 à 18:56
????? Les librairies disparaissent de Paris, et surtout du centre.