Relevé comme référence bibliographique lors d’une précédente lecture, j’avais décidé de me plonger dans la lecture de Printemps Silencieux, l’ouvrage-phare de Rachel Carson, une autrice que je ne connaissais pas. Demandé à ma libraire, celle-ci me l’a, bien sûr, trouvé sur une de ses étagères (chose que je n’avais pas su faire avec succès tout seul). Mais elle s’est empressée de me faire part d’une récente ré-édition de grande qualité de divers textes (incluant des discours) dont cette avant-gardiste de la protection de notre environnement avait essaimé son parcours de scientifique reconnue, de lanceuse d’alerte et d’admiratrice inconditionnelle des merveilles de notre Planète Bleue.
Je suis donc reparti avec deux livres et, alléché par ces éloges, j’ai commencé mes lectures par Le sens de la Merveille : aucun doute, les éloges sont mérités.
Ce recueil présente quatorze textes extrêmement divers tant en termes de longueur (depuis la courte lettre jusqu’à plusieurs dizaines de pages) qu’en ce qui concerne les sujets évoqués et dont l’écriture s’échelonne sur une période très large entre 1920 et 1963, ce qui couvre la plus grande partie de la vie de l’autrice (1907-1964).
Cette variété rend impossible une présentation, même sommaire, de chacun de ces textes, mais montre d’une part, la précocité de Rachel Carson dans son éveil aux problématiques qui seront le fil rouge de sa vie, d’autre part, une sorte d’universalité dans les préoccupations qui seront les siennes jusqu’à son décès (l’eau, les sols, les espèces animales, les produits chimiques délétères…), enfin, des convictions profondes, une perception aiguë et anticipatrice d’effets à long terme ainsi qu’une opiniâtreté inlassable à labourer les esprits, semer des informations, lancer des débats, alerter sur les conséquences…
Et ce, dans un contexte où sa « féminitude » n’était certes pas un atout comme en témoigne l’illustration qu’elle en a faite lors d’un discours prononcé, en 1951, au cours d’une manifestation officielle où elle rapporta qu’un de ses correspondants la « gratifia d’un Cher Monsieur en [lui] expliquant que, même s’il savait pertinemment [qu’elle était] une femme, il n’était simplement pas parvenu à admettre ce fait. » !!!…
Quant à la valeur de ses analyses et de ses discours, il n’a pas fallu attendre longtemps pour que s’affirme l’envergure du personnage puisqu’elle avait moins de 20 ans quand elle écrivait déjà : « que le déclin de la faune soit lié, de manière inéluctable, aux destinées humaines est désormais un fait acquis chez nous, la préservation est donc primordiale. […] L’habitat des animaux sauvages est aussi le nôtre » !
C’est dans le texte qui a donné son nom au recueil qu’elle énonce, avec l’ingénuité de qui maîtrise totalement son sujet, mais avec modestie et avec une force de persuasion tranquille, cette conviction profonde quant à la nécessité de partager avec les enfants les beautés qui sont à notre disposition en associant jeu, découverte, simplicité et patience. Car, même si, techniquement, elle ne remet pas en cause la nécessité de savoir nommer et identifier la faune et la flore, cela ne saurait, pour elle, devenir une fin en soi, sans intérêt comparée à la prise de « conscience […] du mystère qui préside à l’arrivée sur la plage d’un bécasseau en migration par un matin du mois d’août.
Et si la poésie n’est jamais très loin dans ses propos, même quand elle évoque certains de ses travaux, jamais elle ne se départit de cette humilité du chercheur devant l’immensité des questions que ne manquent pas de faire apparaître ses investigations poussées sur des comportements de certains organismes vivants, comme les limules atlantiques évoquées dans Notre rivage toujours changeant : on ne peut qu’être ébahi devant l’insondable mystère de l’adaptation multimillénaire de ces organismes au régime des marées pour optimiser le cycle de leur reproduction.
La scientifique constate des faits, en admire l’adaptation invraisemblable au manège des éléments, est prise de vertige quand elle prend conscience que ces “créatures primitives et pataudes” repèrent immanquablement depuis des temps immémoriaux le coefficient de marée qui assurera le meilleur accès aux plages sableuses pour y “creuser leurs nids et […] y déposer leurs œufs dans les meilleures conditions de sécurité” pour leur développement.
Et elle s’insurge avec virulence quand elle se trouve contrainte de constater tous les dérèglements et autres agressions dont notre espèce est responsable dans un aveuglement coupable, mégalomaniaque et prométhéen.
Notamment après avoir constaté tous les dégâts dont, partout autour du monde, sont coupables les insecticides, herbicides et, en général, tous les biocides que l’industrie chimique a inventés, que le productivisme et l’économie libérale ont rendus incontournables, que la politique, pourtant alertée de tous côtés, par des observateurs, des constats récurrents, s’avère incapable de réguler, de juguler.
Ses mots ne sont jamais assez froids, assez durs pour stigmatiser l’incurie, pour dénoncer les apprentis sorciers, pour fustiger le dévoiement de la science par des intérêts économiques et industriels ! « Si vous vous intéressez à la polémique actuelle eu sujet des pesticides, je vous suggère de vous poser à chaque fois ces questions : - Qui parle ? - Et pourquoi ? », soulignait-elle en terminant son intervention au Garden Club of America le 8 janvier 1963 !
Il y a presque 60 ans…
Et ses mots, remplis de sens, portent encore aujourd’hui le même poids, la même indignation, la même révolte, le même cri d’alarme.
Un livre plein d’actualité qui donne sens à l’adage bien connu : « Nous sommes au bord du gouffre, nous devons faire un grand bond en avant... »
Paru le 11/03/2021
176 pages
José Corti Editions
19,00 €
Paru le 25/06/2020
350 pages
Wildproject Editions
12,00 €
Paru le 17/05/2019
288 pages
Wildproject Editions
21,00 €
Paru le 04/11/2021
80 pages
Editions Samsa
8,00 €
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