Depuis le 24 février et la guerre qu’a déclenchée la Russie, les mouvements de soutien à l’Ukraine se démultiplient. Pour autant, l’inquiétude dans les foyers grandit à mesure que les hausses de prix de l’énergie se dévoilent. Au point que le ministre de l’Économie a demandé aux Français de réduire leur consommation. Message reçu… jusque dans les librairies ?
Le 12/03/2022 à 09:20 par Nicolas Gary
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12/03/2022 à 09:20
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Alerté par plusieurs libraires, ActuaLitté a plongé dans les chiffres de vente de ces dernières semaines. Si les années 2020 et 2021 ont représenté des hausses de chiffre d’affaires significatives, le mois de mars débute sur un début de catastrophe. Certains évoquent près 25 % de recul, d’autres avancent quasiment 35 % de pertes... quand d'autres annoncent des progressions continues depuis le début de l'année. Le secteur est-il devenu plus imprévisible encore ?
Selon les données observées sur Edistat, le marché global accuse un recul des ventes pour les semaines 7 et 8 — autrement dit, 14-20 février et 21-27 février. En chiffre d’affaires, on bascule en effet de 66 millions € à 59,8 millions €. Et sur la semaine 9 (28 février-6 mars), ce volume diminue encore, avec 59,4 millions €.
Depuis le début de l’année, le marché a connu de sérieuses variations : 70,2 millions € durant la première semaine de 2022, et des mouvements assez fluctuants, comme l’indique le graphique ci-dessous (données : Edistat).
Certains des mouvements s’expliquent, pour partie, par les sorties du dernier Houellebecq, Anéantir, ou encore du roman de Pierre Lemaître, Le Grand monde. Deux gros ouvrages, qui à partir de la semaine 3 vont faire remonter les ventes. Mais le décrochage constaté entre la semaine 7 et la 8 intervient dans un contexte bien spécifique : celui de l'invastion de l'Ukraine par les forces militaires russes. Est-ce que le nouveau livre de Joël Dicker, L'Affaire Alaska Sanders inversera la tendance en semaine 10 ? Réponse dans 8 jours.
Sur le marché global, GfK annonce lui aussi des tendances à la baisse, avec 0,8 % de recul en chiffre d’affaires et 1,3 % en volume, mais en regard de l'année 2021. Sur les premières semaines de 2022, le marché resterait toutefois positif, avec 0,7 % de mieux en CA et 0,6 % en volume.
Enfin, Datalib indique de son côté un recul de 10 % observés sur son panel, pour les deux dernières semaines. Pour l’heure, difficile de tirer des conclusions immédiates, les variations dans un sens ou dans l’autre semblent assez communes. Pour autant, un comparatif avec 2021, année au demeurant exceptionnelle, pointe que les fluctuations ne sont pas tout à fait identiques. (données : Edistat)
D’aucuns rappellent la forte progression l’an dernier pendant les vacances scolaires : si cette année, on assiste à une ruée dans les stations de ski, 2021 n'affichait pas sur la même tendance. Les départs en vacances pourraient donc apporter une autre explication sur les baisses de ventes de livres – relative cependant. Médiapart indiquait récemment que seuls 10 % de la population française part en vacances d’hiver et que cette activité reste le propre des classes aisées. Celles-là mêmes qui fréquentent les points de vente de livres ? Possiblement…
Notre partenaire Edistat insiste d'ailleurs : les ventes peuvent varier fortement d’une semaine sur l’autre, sous l’effet de multiples facteurs, et la prudence reste de mise sur les interprétations possibles.
Si le décrochage constaté coïncide avec l’invasion de l’Ukraine, s’y ajoute également le phénomène souvent évoqué d’année présidentielle — souvent mauvaise durant ses six premiers mois. « Mais en ce moment entre covid, guerre, et élections sans campagne, je ne sais que comprendre », nous confie un libraire. Une élection présidentielle qui n'agite effectivement pas le débat public, éclipsée par les informations venues d'Ukraine, notera-t-on.
L'autre point est que le temps consacré aux médias, pour suivre l'évolution du conflit, conduit à un report de cette économie de l'attention. Aux médias, autant qu'aux réseaux sociaux par ailleurs, pour en savoir le plus possible, immédiatement. Pour Régine Hatchondo, présidente du CNL, cette attention « portée aux informations, à la radio, à la presse, et aux réseaux, pour disposer de nouvelles permanentes » expliquerait en partie la situation qu’observent de nombreux professionnels.
Une analyse de Hootsuite et We Are Social, le Digital 2022 Global Overview Report, pointait fin janvier que 80,3 % de la population française (13 ans et plus) utilise désormais ces outils, avec 1 h 46 de consommation par jour, soit 5 minutes de plus qu’en 2021. Ainsi, en janvier 2022, le pays comptait 52,6 millions d’utilisateurs. Et l'on sait combien les conflits entraînent d'activité sur ces plateformes.
Pour autant, la présidente du CNL voit dans ces chiffres de vente la confirmation « que la lecture doit devenir une priorité pour notre établissement, dans une action qui complète le soutien économique à la filière ». À ce titre, après deux études consacrées aux jeunes Français et la lecture, menées en 2016 et 2018, le CNL présentera une étude ce 23 mars en interrogeant aujourd’hui les 7-25 ans.
Confiée à Ipsos, dans le cadre de la « lecture, grande cause nationale », elle présentera les pratiques actuelles des jeunes en termes de lecture, de comprendre leurs motivations et leurs freins à lire des livres, d’identifier les leviers qui les amènent ou les amèneraient à la lecture.
« Se préoccuper des publics importe tout autant que les aides aux professionnels », ajoute-t-elle. « Se préoccuper des usagers des bibliothèques, des clients de librairies c’est mettre la lecture au centre de tout. Et plus encore, pour les jeunes lecteurs, qui impliquent une action au long cours, structurée autour de la lecture. »
Les statistiques GfK pour la semaine 10, communiquées aux professionnels, après la diffusion de notre article, font état de résultats plus mauvais encore. Un recul 5,1 % en CA et -4,1 % en volume (toujours en regard de 2021). Cependant, précise le panéliste, hors BD/mangas, le marché est plus sinistré encore, avec 8,4 % de perte en CA et -8,5 % en volume (par rapport à 2021). Notons, dans ce contexte, que les librairies de niveau 1 perdent 12,8 % en chiffre d’affaires et 12,2 % en volume, quand les ventes de librairies niveau 2, internet (et autres) chutent de 16,4 % et 15,6 %.
En cumulé, le marché du livre demeure dans le vert depuis le début de 2022 avec une progression de 0,2 % en CA et 0,2 % en volume (vs 2021).
Les données Edistat sur la semaine 10 confirment une tendance à la baisse dans les ventes : en volume, ce sont 4,953 millions d’exemplaires écoulés, en recul de 4 % et 56,509 millions €, avec 5 % de baisse — les comparatifs s’effectuent en regard de 2021.
Mais le décrochage constaté en semaine 9 se prolonge — près de 5,1 % de chute entre les deux semaines en valeur et près de 6,8 % en volume.
Voici qui n’a désormais plus rien d’une plaisanterie : sur la semaine 12, les ventes tant en volume qu’en valeur continuent de décrocher. D’aucuns tenteront d’arguer que les années présidentielles sont toujours accompagnées d’un marché au ralenti, voire en recul. Cependant, sur la période examinée, le recul est de 11 % (en regard de 2021) à 4,506 millions d’exemplaires écoulés, contre 4,896 millions en semaine 11 de 2022. Et de 51,630 millions € soit 10 % de moins (toujours comparativement à 2021) avec 55,829 millions € en semaine 11 de 2022.
Si besoin était, le premier trimestre de 2022 a amplement démontré qu'il n'avait rien de commun avec l'année passée.
Sur les semaines 13 et 14, les données affichent un certain retour au vert. Avec 5,23 millions d’exemplaires en S13 et 5,692 millions en S14, le marché connaît un rebond en volume, et logiquement en valeur. Ainsi, on passe à 57,963 millions € pour la S13 et 62,52 millions € pour la S14. Un mouvement à suivre.
photo d'illustration crédits ActuaLitté, CC BY SA 2 0
conforte dans le fait que lecture doit devenir priorité qui complète le soutien économique à la filière,
pas soutenir filière sans se préoccuper de ses clients
suivre les évolutions de comporement des jeunes lecteurs de demain, action au long cours structurée sur la lecture.
se préoccuper du public, politique dynamique bibliothèques, festivals, jamais lâcher (et partir en livres plus attrac tif)
département des études : Sylvie Octobre
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Observateur
11/03/2022 à 16:49
C’est débile. La situation est celle d’une année présidentielle. C’est classique. Si tout va bien il y aura un rattrapage en septembre. Les réflexions lues dans ce papier, de la part de pros ou supposés tels, sont assez étonnantes. C’est une année d’élection, donc mauvaise. Pour le moment il n’y a pas d’inquiétude à avoir.
En revanche le souci du papier, de son coût, et des autres inflations pose la question réelle de la rentabilité du marché. C’est là qu’est la tendance de fond. Le CA se maintiendra sans doute mais la rentabilité sera écornée si les livres demeurent au même prix.
Nouvel Observateur
11/03/2022 à 21:06
Mais bien entendu, voilà qui est parlé comme il se doit en France.
Un grand malade envahit un pays, le monde est pétrifié, les chars sont aux portes de Kyiv depuis des jours (sans avancer, au demeurant, mais pourquoi donc ?) et des réfugiés quittent le pays par centaines de milliers jusqu'au moment où il envisage de sortir Satan 2...
Mais bien entendu, la campagne présidentielle, totalement inexistante dans le paysage médiatique est l'élément qui explique tout.
Pas du tout les hausses de prix de l'énergie, de l'essence tout particulièrement et la terreur instillée régulièrement de voir le Camarade Poutine mettre le feu à ce pan de l'Europe.
Non, non : contentons-nous de répéter que les années présidentielles sont mauvaises. Surtout ne pas prendre en considération les événements en Ukraine : en quoi cela pèserait-il dans les habitudes de consommation en France ?
Bêlons en choeur...
Forcément
13/03/2022 à 11:18
Wahooooooou , l'analyse de : Nouvel Observateur 11/03/2022 à 21:06
voilà ce qu'il faut penser ! point ! rompez les rangs !
inquiétude : écrire " camarade poutine " et en plus avec majuscule C et P , 20 ou 30 ans de prisons dans un service retour ?
kujawski
11/03/2022 à 19:27
L'analyse du marché du livre est généralement un casse-tête, plus encore en période électorale, encore plus en période de crise majeure. La guerre d'Irak a été une matrice en la matière, puisque les ventes de livres ont chuté dès le début des hostilités. Comme un réflexe de peur entraînant une brusque rétention de dépense culturelle. A cette aune-là, une nouvelle baisse effective des ventes en ce moment ne serait pas une surprise, mais tout à fait d'accord là-dessus : observons la suite des événements.
Livreaddict
11/03/2022 à 22:44
La hausse des prix des carburants, la hausse de la facture énergie, l’inflation diminuent bien entendu le budget des ménages pour les loisirs et les achats de livres s’en ressentent.
Sans parler de l’inquiétude par rapport à la guerre aux portes de l’Europe qui privent les lecteurs de la déconnexion au monde et de la disponibilité d’esprit pour s’isoler dans la lecture …
Mingh
20/03/2022 à 18:46
En accord avec vos remarques. Le buget cullture se rétrécit sérieusement... J'attends le plus souvent la parution en poche si je n'emprunte pas en bibliothèque ...
Libre sans air
12/03/2022 à 10:04
Je tiens commerce dans une ville de taille moyenne. Et je vous confirme que nos chiffres diminuent. Bien entendu, 2020 et 2021 ont été des années hors norme pour nous.
Mais les clients n'hésitent pas à le dire : il y a la guerre, et même les CSP le disent "on commence à faire attention". Le cas d'hier est frappant : cette maman qui vient régulièrement le vendredi pour prendre deux albums pour sa fille. Deux semaines qu'elle n'en prend plus qu'un. Par politesse, pudeur, honte (?) elle prétexte qu'elle en a déjà beaucoup – chose qu'elle n'aurait jamais avancé voilà 3 semaines...
Donc la guerre, oui...
Al
14/03/2022 à 13:15
Le "On commence à faire attention", c'est plus par rapport à l'inflation des prix de l'énergie qu'à la guerre stricto-sensu, à mon avis. Quand un plein vous coute 20 ou 30 euros de plus, vous limitez les dépenses "loisirs" en premier lieu.
kujawski
12/03/2022 à 10:57
Le discours peut paraître entre le naïf, l'angélique, le poétique à la petite semaine, mais il est à assumer tout entier : il faut chaque jour préparer, construire la paix, pour empêcher la guerre de tuer la culture en même temps que l'humanité. Comme elle l'a toujours fait.