On comprend bien que Facebook soit à cran en cette période de guerre en Ukraine et monte les curseurs un peu haut dans la tolérance de ses algorithmes. Or, à traquer l’infox dans tous les posts des utilisateurs, difficile de ne pas se prendre les pieds dans le tapis de souris. Post-mortem, Gustave Doré fait les frais d’une situation géopolitique tendue, et d’un ouvrage consacré à la Russie…
Spécialisées dans la réédition d’ouvrages anciens, les éditions Douin doivent se poser quelques questions : pour la énième fois, Facebook censure une tentative de publicité pour l’un des livres de la maison. Depuis 2018, la société fait les frais d’un réseau social aux algorithmes timorés, prompt à refuser des promotions, sans trop d’explications — mais les algorithmes ont leur raison binaire que la raison ne connaît pas.
En 1854, un graveur dont la réputation va croissant, produit les illustrations du livre Histoire pittoresque dramatique et caricaturale de la Sainte Russie. Cet ouvrage, inspiré par la guerre de Crimée, sortira en 1954 et se présente comme une charge contre le pays – la France, royaume de Sardaigne, Empire ottoman et Angleterre sont alors en guerre contre l’Empire russe. Le document est largement politisé, et figure quelque 500 vignettes raillant et surfant sur les clichés d’une Russie barbare.
Mais pour certains experts, le livre compte surtout parmi les précurseurs de la bande dessinée, tant le graveur s’amuse à décaler textes et illustrations. À la parution, l’auteur a 32 ans et encore une trentaine d’années pour exprimer son art. Son nom ? Gustave Doré, rien que cela.
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Alors, oui, le livre est satirique, diablement, exacerbe indirectement un patriotisme français — et inspiré, tout de même, de la littérature en estampes que le Suisse Rodolphe Töpffer développe depuis 1827 dans son approche graphique.
Frédéric Douin, fondateur de la maison, se désespère : « Facebook censure ma publicité du livre de Gustave Doré. […] Il y a quelques années, j’ai réédité ce qui est considéré comme l’une des premières BD publiées. Dessiné et publié en 1854 par le grand Gustave Doré, ce livre mordant et très caricatural de l’histoire de la Russie méritait d’être remis en avant avec la dramatique actualité en Ukraine. »
Tentant alors de faire la promotion de son ouvrage avec quelques centaines d’euros investis dans une publicité, l’éditeur se retrouve bec dans l’eau. Réponse de Facebook : impossible de promouvoir la vidéo.
« Voici donc la censure Facebook qui officie une fois de plus dans le ridicule », conclut l’éditeur. La vidéo en question est la suivante, et l'on se rendra bel et bien compte qu'elle ne comporte ni fake news ni propagande – à moins d'avoir l'esprit aussi tordu qu'un algorithme.
De fait, indique le réseau de Mark Zuckerberg, les publicités « ne doivent pas comprendre de contenu choquant, sensationnaliste ou excessivement violent ». Probablement pas la description la plus adaptée de la vidéo…
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