États-Unis : la censure frappe Batman et les Watchmen d'Alan Moore
BookBanUSA — Pour le plus grand malheur des auteurs, des lecteurs et des bibliothécaires, la vague de censure américaine ne faiblit pas. Depuis plus d'un an, attisé par des politiciens et des groupes de pression conservateurs, le feu obscurantiste fait des dégâts dans les bibliothèques scolaires et publiques. Le district scolaire de Rockwood annonce ainsi l'interdiction d'une vingtaine de titres, dont les chefs-d’œuvre Batman : White Knight et Watchmen.
Le 12/09/2022 à 11:53 par Antoine Oury
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Publié le :
12/09/2022 à 11:53
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Au sein des États américains qui s'érigent contre des ouvrages jugés « problématiques », car « obscènes », voire « pornographiques », selon des critères particulièrement subjectifs, le Missouri ne figure pas parmi les moins actifs. Dès la fin d'année dernière, plusieurs livres se trouvaient visés, dans différents établissements scolaires, et retirés des étagères, dont All Boys Aren’t Blue de George M. Johnson (Le bleu ne va pas à tous les garçons, traduit par Noémie Saint-Gal, De Saxus), Fun Home : A Family Tragicomic de Alison Bechdel (traduit par Corinne Julve, Lili Sztajn, Denoël) ou encore L'œil le plus bleu de Toni Morrison (traduit par Jean Guiloineau).
Certains ont fait leur retour depuis, notamment après l'action en justice de deux élèves, qui avaient contesté ces retraits d'ouvrages des bibliothèques. Néanmoins, les censeurs ont de la suite dans les idées, et surtout l'appui de représentants politiques républicains et conservateurs comme de groupes de pression.
Pour se conformer à la Senate Bill 775, entrée en vigueur dans l'État du Missouri le 28 août dernier, le district scolaire de Rockwood a classé 22 ouvrages hors-la-loi, car présentant « des éléments sexuels explicites ». Parmi ces titres, qui seront retirés des bibliothèques scolaires dans les plus brefs délais, Batman: White Knight, de Sean Murphy et Matt Hollingsworth (traduit par Benjamin Rivière, Urban Comics), et Watchmen, d'Alan Moore et Dave Gibbons (traduit par Jean-Patrick Manchette, Urban Comics).
Deux chefs-d’œuvre du genre, pas moins, qui ont le point commun de questionner la figure super-héroïque et ses implications, notamment en matière de vigilantisme et de justice populaire... Bien entendu, le district scolaire ne précise pas quels éléments en particulier justifient les retraits — inutile de souligner que les deux bandes dessinées ne sont aucunement pornographiques, même pas érotiques...
Parmi les autres titres visés, des habitués de la néo-censure américaine, comme Gender Queer de Maia Kobabe (Genre Queer, traduit en France par Anne-Charlotte Husson), sans doute le titre le plus visé, mais aussi l'adaptation en BD de La Servante écarlate par Renee Nault, d'après Margaret Atwood, Le soleil et ses fleurs de Rupi Kaur (traduit par Sabine Rolland, chez Nil) ou encore The Sacrifice of Darkness de Roxane Gay.
Comité de la censure
Dans la foulée de l'entrée en vigueur de la Senate Bill 775, un véritable comité de la censure s'est constitué, avec les actions particulièrement organisées de l'Association des parents d'élèves de St. Charles County (SCCPA), un comté de l'État du Missouri. Ce groupe de parents, « trahis » par les écoles qui devaient protéger leurs enfants, selon leur site web, propose tous les outils des bons censeurs des livres des bibliothèques.
Mode d'emploi détaillé pour effectuer un signalement, conseils pour porter plainte auprès de la police locale en cas de non-retrait d'un livre, grille de lecture pour repérer des « éléments sexuels » susceptibles d'être pointés du doigt... Un nouveau « Code Hays », ce manuel de censure qui a dicté les thèmes et images du cinéma hollywoodien entre les années 1930 et 1960, se lit entre les lignes.
À LIRE: Poétesse star censurée aux États-Unis, Rupi Kaur de passage en France
Dès l'entrée en vigueur de la loi, le 28 août, plusieurs districts scolaires de l'État se sont empressés de suivre les réclamations des membres de la SCCPA, par crainte de dépôts de plainte, d'une part, mais aussi pour se conformer de manière consensuelle aux objectifs politiques du gouverneur républicain de l'État, Mike Parson. Sachant que l'État peut tout à fait s'impliquer dans une contre-publicité à l'égard des établissements scolaires qui tiendraient tête à la législation.
Par ailleurs, notons que la législation évoquée a été introduite par un amendement du sénateur Rick Brattin, aux idées particulièrement droitistes : par le passé, il a distingué les personnes homosexuelles des êtres humains, a prôné l'enseignement de théories alternatives à celle de l'évolution ou encore le recours à l'intervention armée contre des « manifestations illégales ».
Dans les faits, comme l'analyse cet article du Riverfront Times, les exceptions ajoutées à la Senate Bill 775 font qu'elle ne représenterait même pas une menace pour de véritables images pornographiques. Toutefois, ces effets sur la diversité des ouvrages proposés aux élèves et étudiants par des bibliothécaires qualifiés sont bien réels...
Dossier : Aux États-Unis, une inquiétante vague de censure de livres
DOSSIER - Aux États-Unis, une inquiétante vague de censure de livres
Batman - White knight
Paru le 26/10/2018
240 pages
Urban Comics Editions
24,00 €
Watchmen
Paru le 20/01/2012
460 pages
Urban Comics Editions
35,00 €
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12 Commentaires
Kayl
12/09/2022 à 15:22
On ne peut pas parler de "censure" lorsqu'il s'agit, comme ici, d'interdire certains livres dans les écoles. Il y a des lectures adaptées à chaque âge et on ne peut pas laisser nos enfants lire n'importe quoi.
J'ai lu Watchmen et c'est une excellente BD. C'est l'un de mes comics préfères mais je ne le conseillerai en aucun cas à mon fils de 8 ans. J'estime que cette BD est pour un public averti (violence gratuite, suicide, viol). Par contre, je ne vais pas parler de Batman que je n'ai pas lu.
Pour les autres livres, ce sont principalement des livres qui font de la propagande LGBT et qui sont la cause de la confusion du genre qui règne en occident. Les parents américains sont inquiets pour leurs enfants et sont en droit de les protéger contre ce lavage de cerveaux .
GallusAmicus
12/09/2022 à 16:38
Il va sans dire que lorsqu'on utilise de manière non-ironique l'expression d'extrême-droite traditionaliste "propagande LGBT", et qu'on l'associe à un "lavage de cerveaux", l'on a aucun problème à soutenir ces lois de censure.
Votre logiciel d'analyse ne vous ayant évidemment pas préparer à envisager que ces mêmes ouvrages - au delà de fournir un divertissement pour les enfants et lycéens concernés par cette censure - pouvaient aussi permettre aux élèves de s'instruire, s'assumer, et apprendre à faire société.
Une preuve de plus que garantir à tous et toutes des sélections d'ouvrages pluralistes et inclusives est une lutte quotidienne.
Et merci à la rédaction d'actuallité de nous tenir informé quant à l'évolution inquiétante de ce mouvement de censure.
Aleph
13/09/2022 à 10:15
Gallicus Amicus lave plus rouge.
NAUWELAERS
14/09/2022 à 00:55
Gallus Amicus,
Non toutes les réserves contre les théories du genre ne sont absolument pas nécessairement d'extrême droite.
Cela étant posé sans approuver la censure.
Quand se (re)mettra-t-on à penser et débattre sérieusement enfin plutôt que de patauger dans cette stupide binarité anti-intellectuelle typique du web et de son équarrissage intellectuel si répandu...cette même binarité qui sur le plan du sexe ou du genre est, elle, contestée à l'envi ?
Certains commentaires ressemblent à des discours automatiques répétés en boucle par des voix de synthèse.
Tout sauf le réel.
Et que personne ne me casse les pieds en croyant connaître mon vote (qui est variable d'ailleurs).
Je vote contre le simplisme voire une certaine bêtise toxique.
CHRISTIAN NAUWELAERS
Aleph
13/09/2022 à 10:14
Exactement ! Merci !
Watchmen est excellent mais aussi très violent.
jujube
13/09/2022 à 05:24
A force de tripatouiller leurs neurones comme des dingues, les amères loques vont finir par ne plus lire que leurs PQ domestique.
christophe aubert
13/09/2022 à 06:40
L'extrême-droite et les conservateurs traditionalistes sont de fait ceux qui sont le plus présents dans ces tentatives permanentes pour essayer de censurer du monde les évolutions culturelles qui ne leurs plaisent pas. Interdire fait partie de leur façon de penser l'autre et le monde. C'est à la fois leur psychologie et leur combat.
Aleph
13/09/2022 à 10:12
Ne pensez-vous pas qu'il s'agit d'une réaction à la façon de faire socialiste qui ne pose aucune limite à l'action de l'Etat et utilise ses moyens à des fins partisanes en violation avec toute neutralité des services publics ? Autrement dit, vous chérissez les causes...
NAUWELAERS
14/09/2022 à 00:47
Dommage que les wokes fassent exactement pareil...
CHRISTIAN NAUWELAERS
Rafael
13/09/2022 à 09:58
Ils ont raison de les interdire. Pas sur le contenu, mais parce que des bandes dessinées de fiction n'ont rien à faire dans une bibliothèque scolaire, sauf si elles relatent des faits historiques. Dans une bibliothèque scolaire américaine, il doit y avoir des livres d'Histoire, de sciences, des manuels et des classiques de la littérature genre Tom Sawyer ou Des Souris et des Hommes. Pas des comics issus de l'industrie du divertissement.
Lett
13/09/2022 à 17:09
Pardon ?
Vous êtes donc en train de dire que les enfants n'ont pas droit des divertissement dans le cadre scolaire ? Et pourquoi donc ? Ce serait d'un triste... Le contact avec la fiction est tout aussi important que le contact avec des manuels ou des livres documentaires, que ce soit pour forger son esprit, ses idées, ou juste pour souffler un peu. Une bibliothèque scolaire, c'est une bibliothèque dans une école, qui certes doit fournir de la documentation adaptée aux élèves, mais peut autant leur fournir de la fiction contemporaine sous toutes ses formes (parce que le goût de lire ne viendra, voyons les choses en face, pas avec des "classiques" comme vous dites, du moins, pas pour la grande majorité des élèves ET parce que, ne vous en déplaise, on apprend beaucoup avec la fiction).
Pour ce qui est d'interdire certains livres, leurs raisons sont stupides.
Mais, en effet, les livres sont supposés être adaptés à l'âge des élèves (ce n'est pas la même chose de vouloir empêcher de lire Watchmen dans une école primaire que dans un lycée. Qu'en est-il réellement ? Je ne vois rien dans l'article qui permette de savoir... ): mais ça, c'est censé être le travail des bibliothécaires, et il est clair que dans beaucoup de cas cités, ce n'est même plus une question d'être adapté à l'âge, mais juste des parents qui ne veulent pas voir des choses qui les dérangent, eux, dans les lectures de leurs enfants. Et ça, c'est un problème.
Sans compter, bien sûr, que la question de l'adaptation d'un medium (livre, film ou autre) à une certaine tranche d'âge est une question délicate, car elle a de nombreux aspects qui sont extrêmement variables, mais aussi parce que les enfants et les jeunes sont eux aussi très différents les uns des autres. Des choses peuvent nous choquer nous en tant qu'adultes, et nous ne penserions même pas à les laisser nos enfants, alors qu'en fait lesdits enfants n'en ont rien à faire/ne le lisaient pas de cette façon, etc et seront en revanche choqués par des choses auxquelles nous n'aurions pas pensé.
En bref, la censure n'est pas la solution.
jujube
13/09/2022 à 19:19
Bravo, Lett, pour ce commentaire sensé, paisible, intelligent et, de plus, très bien écrit. Il laisse respirer à l'aise, ne râle ni n'insulte et surtout ne nous emberlificote pas les idées avec des melis-mélos pseudo politiques, psychologiques, drastiques, pharmaceutiques, tous désespérément ennuyeux,
passablement faux et admirablement vains.
Une brise légère sur un thème sinueux! Merci.