Sans grande surprise, la Commission européenne déclenche donc une enquête approfondie sur le projet d’acquisition de Lagardère par Vivendi. Deux groupes français, engagés dans le multimédia, l’édition de presse et de livres plus spécifiquement : or, Vivendi possède aussi Editis, depuis 2018, numéro deux de l'édition française. La présence de Hachette Livre, premier éditeur en France, au sein de Lagardère, dont Vivendi détient 57 %, pose bel et bien problème.
Le 30/11/2022 à 22:56 par Nicolas Gary
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Publié le :
30/11/2022 à 22:56
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« La concurrence du marché dans l’édition de livres favorise la diversité des idées. Cela conduit à l’épanouissement de chaque maillon dans la chaîne de valeur, depuis la création d’œuvres jusqu’à leur distribution », souligne la commissaire à la Concurrence, la Danoise Margrethe Vestager, dans un communiqué de la CE, officialisant la suite de la procédure.
« Le rachat de Lagardère par Vivendi réunit deux grands éditeurs de livres dans la francophonie, ainsi que de magazines populaires. Dans ces conditions, cette transaction doit être soigneusement examinée : elle est susceptible de réduire le choix [des œuvres publiées] et conduire à une hausse du prix de vente », poursuit-elle.
Mais la Commissaire pointe également des risques concernant l’accessibilité aux œuvres, ainsi que la perspective que soient commercialisés des livres « de moindre qualité pour les lecteurs de livres de langue française, ainsi que de magazines ».
Ce 30 novembre marque donc le début de l'enquête approfondie, à laquelle Vivendi n’allait de toute évidence pas échapper. Le groupe de Vincent Bolloré, que dirigent aujourd’hui son fils Yannick et Arnaud de Puyfontaine (président du directoire), n'avait cependant pas commenté les informations déjà diffusées la veille de la communication européenne.
À LIRE: Qu'adviendrait-il si Bernard Arnault rachetait Editis ?
En soulignant que Hachette Livre autant qu’Editis interviennent à tout niveau de l’industrie du livre, Bruxelles oublie toutefois que Lagardère dispose en plus d’espaces de vente, à travers l’enseigne Relay (Lagardère Travel Retail). Soit, dans l'Hexagone, 1056 boutiques à travers une trentaine d’aéroports, près de 300 gares ainsi que plus de 110 hôpitaux. Un certain atout, par lequel Lagardère intervient à un niveau supplémentaire : celui de la vente directe au détail.
« Ce mégagroupe, tel qu’il se dessine aujourd’hui, romprait totalement l’équilibre du marché et mettrait en péril toute l’édition indépendante, car les répercussions d’une concentration jamais atteinte à ce jour, par sa taille et son ampleur, se feraient sentir sur l’ensemble de la chaîne du livre », affirmaient en juin dernier quatre fondatrices de maisons indépendantes – toutes prises en charge par la diffusion-distribution de Madrigall.
« C'est peut-être un détail pour vous », racontait la chanteuse, mais pour certains, cela voulait dire beaucoup du lobbying que menait Antoine Gallimard.
De son côté, lors d’une audition au Sénat, Vincent Bolloré rappelait que « le géant Vivendi, c’est un petit nain », en regard des mega-corporations américaines du divertissement – ou coréennes et chinoises. « Vivendi est un groupe qui, peut-être, est capable d’aller faire rayonner la culture française dans le monde, ou pas. L’aide aux créateurs est compatible avec la réussite économique », ajoutait-il.
Et face à des Disney, Amazon et consorts, la réalité du terrain imposait une analyse indiscutable : « À part quelques auteurs qui gagnent beaucoup d’argent, beaucoup crèvent la faim. » Pour autant, la perspective d'instaurer Vivendi en bastion de résistance aux GAFAM n'avaient pas convaincu – ou du moins, confier ce rôle à Vincent Bolloré ne séduisait pas.
La Commission énumère plusieurs préoccupations autour de ce dossier, à savoir une réduction sensible de la concurrence :
• sur l’achat d’œuvres d’auteurs publiant des livres en langue française — comprendre : les avances versées aux auteurs seraient moindres si Editis et Hachette Livre coexistaient au sein d’une même structure. L’argument n’étonnera personne : le ministère de la Justice américain avait soulevé les mêmes appréhensions dans le cadre du rachat de Simon & Schuster par Penguin Random House (retrouver notre dossier). Cependant, pour le DoJ, cela impactait surtout les auteurs de best-sellers, point que Bruxelles ne relève pas spécifiquement.
• sur la distribution et la commercialisation de livres en langue française : sur cet élément, nul besoin d’exégèse. Editis et Hachette Livre sont amplement leaders sur ces segments, travaillant avec des dizaines de maisons d’édition, partenaires tiers, en plus de leurs structures propres.
• la vente de livres de langue française aux détaillants : cette approche complète la précédente mention. De fait, le Syndicat de la librairie française n’a pas cessé de brandir les menaces d’une perte de bibliodiversité et le risque de conditions commerciales désavantageuses. On sait que ces arguments sont pour partie légers — principalement ceux ayant trait à la bibliodiversité, mais ce dernier a été retenu par Bruxelles dans son argumentaire.
Enfin, la Commission identifie des problématiques liées à la commercialisation de magazines.
« En s’appropriant Lagardère, Vivendi deviendrait le premier acteur du secteur de l’édition de livres francophones, ainsi que le principal groupe intégré sur ce marché », note la Commission. « D’autres concurrents, comme Madrigall [Gallimard, Flammarion, Casterman, NdR] ou Média Participations [Dargaud, Dupuis, Lombard, Seuil, etc, NdR] ont une présence plus conscrite sur le marché. La Commission craint que la transaction ne diminue la diversité, l’accessibilité et le coût des livres de langue française. »
Les deux groupes cités furent d'ailleurs parmi les plus fervents opposants au rachat de Lagardère, avant de se voir refuser toute possibilité de grappiller quelques éléments d'Editis en cas de démantèlement. « La consigne a toujours été : ne pas céder quoi que ce soit, à qui que ce soit », assure un proche du dossier. Il est vrai que tant Vincent Montagne, PDG de Média Participations, qu'Antoine Gallimard, patron de Madrigall, n'ont jamais trop mâché leurs mots.
« Il faut que le repreneur soit un acteur industriel de long terme et qui ne bouscule pas l'équilibre concurrentiel du marché. Ce qui exclut donc les acteurs de l'édition en France », précisait Arnaud de Puyfontaine, en dévoilant le projet de vendre Editis en juillet dernier. Un coup de bambou final sur le sujet.
crédits photo Skitterphoto CC 0
En outre, la position consolidée de Vivendi aurait des conséquences sur les éditeurs, susceptibles de perdre des ressources pour soutenir leurs activités éditoriales. De même, la réduction des canaux de commercialisation et distribution exercera des pressions économiques sur les éditeurs tiers, aujourd’hui partenaires des sociétés Interforum (diffusion-distribution d’Editis), Hachette Diffusion et Hachette Distribution.
Enfin, d’un côté les libraires pourraient voir leurs marges d’achats réduites et de l’autre, les lecteurs assisteraient à une hausse du prix des livres.
La notification de Vivendi, intervenue le 24 octobre, avait été précédée par un projet de cession d’Editis — des actions reversées aux actionnaires de Vivendi, et en parallèle la vente des 29,5 % d’actions d’Editis que détient le Groupe Bolloré. Le tout s’accompagnerait d’une cotation chez EuroNext.
À LIRE : Vivendi : comment vendre Editis pour garder Hachette
Par ailleurs, Vivendi n’a pas communiqué les remèdes — ces différentes propositions destinées à apaiser les craintes de Bruxelles en matière de respect des règles de la concurrence. Ces éléments « seront communiqués à la Commission en temps utiles », nous indique un proche du dossier chez Vivendi.
La Commission dispose de 90 jours pour mener son enquête approfondie, et devra donc prendre une décision d’ici au 19 avril 2023 — attendu que l’ouverture de l’enquête ne préjuge pas de son issue. La phase 2 est donc officialisée : reste à voir comment les repreneurs intéressés réagiront…
Crédits photo : Towfiqu barbhuiya/Unsplash
3 Commentaires
Rieg Davan
01/12/2022 à 01:58
Pour l'augmentation c'est fait : https://www.manga-news.com/index.php/actus/2022/11/30/Des-changements-de-prix-chez-Mangetsu
christophe aubert
01/12/2022 à 05:09
Il y a là deux aspects, la puissance que cela confère, et à qui cela la confère. Bolloré n'est pas vraiment quelqu'un de sage qui rend la justice sous un chêne. Il en est plus le fruit, d'un activisme politique dangereux car très partisan. On se raconte beaucoup dans l'éditions comment à peine nommé chez Hachette, dans un renvoi d'ascenseur certainement, Sarkozy à fait fuir des éditrices et des auteurs, par son excès habituel de tentations d'influencer le cours de la vie des autres de ses propres intérêts (cf l'article du Monde du 24 mars 2022).
Cgt Editis
02/12/2022 à 19:00
Les vautours s'active...
https://siecledigital.fr/2022/11/30/xavier-niel-entre-dans-la-course-au-rachat-deditis/