Le projet de réforme du système de retraite, en France, fait face à une forte mobilisation, doublé d'un rejet conséquent, de la part des actifs des secteurs privés et publics. Les appels à la mobilisation se multiplient pour le 7 mars prochain, notamment dans le secteur de la librairie, où les travailleurs expriment depuis plusieurs mois un certain malaise.
Le 27/02/2023 à 16:08 par Antoine Oury
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27/02/2023 à 16:08
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Le 16 février dernier marquait la cinquième journée de mobilisation contre le projet de réforme du système de retraite, examiné par le Sénat à partir de ce mardi 28 février. Une participation en baisse, d'après tous les comptages, qui s'expliquerait par le rendez-vous donné le 7 mars prochain, pour une « mise à l'arrêt » de la France, selon l'expression de l'intersyndicale.
Rappelons que cette réforme comprend notamment le report de l'âge légal de départ à la retraite, porté à 64 ans à partir de 2030, contre 62 ans aujourd'hui. Dès le 1er septembre 2023, un trimestre supplémentaire au travail serait ajouté chaque année, jusqu'en 2030. Cet âge légal de départ ne garantit pas pour autant une retraite complète.
L’échéance des 67 ans, pour sa part, donne droit à une retraite à taux plein, ce qui ne signifie pas non plus que la retraite sera complète : si tous les trimestres de cotisation ne sont pas acquis, ce taux « plein » sera modifié.
Le secteur du livre est bien sûr concerné par cette réforme du régime général des retraites. La mobilisation est particulièrement visible du côté des bibliothèques, où les syndicats de la fonction publique ont largement appelé à la grève. Selon les collectivités, les établissements ont fermé leurs portes plus ou moins longtemps.
Dans les cortèges parisiens, le « Book Bloc » a fait sa réapparition : en décembre 2019, contre le précédent projet de réforme du système de retraite, ce collectif de bibliothécaires brandit des livres, symboles d'émancipation et de désir de justice sociale. En 2023, il défile accompagné par des libraires et des membres de Carton Plein, un « collectif d’autodéfense des employé·es de librairie ».
Des membres du Book Bloc en manifestation
Le 19 janvier, des apprentis de l'École de la Librairie, inquiets pour leur avenir professionnel, se sont joints à la troupe, qui compte s'élargir à d'autres métiers du livre, des auteurs aux distributeurs, en passant par les éditeurs — quelques travailleurs de la maison Gallimard ont déjà participé. « Pour moi, la retraite ne serait sans doute pas avant 69 ans, si je souhaite un taux plein. Les conditions de travail difficiles, en termes de port de charge et de manutention notamment, ne sont pas reconnues pour la profession », nous explique Sana, de la CGT Librairies, premier syndicat du secteur.
« Ce cortège de libraires représente une initiative assez historique, car il me semble que c’est la première fois que la profession s’organise en dehors de revendications propres à une seule entreprise », ajoute-t-elle. Les libraires non encartés ont fait leur apparition dans les défilés, avec l'envie, parfois, de se syndiquer, suivant un mouvement plus général des travailleurs.
Faire naitre une mobilisation plus structurée devient l'objectif : « L’idée est de construire dans la durée, de rester organisés, de se mettre en lien avec les nombreux travailleurs mal payés de la chaine du livre, les auteurs et autrices, traductrices et traducteurs, scénaristes, des collègues libraires de grandes chaines. »
La création du collectif Carton Plein s’inscrit dans cette tendance, tout comme l'organisation d'une réunion publique, le 28 février prochain, au Lieu-Dit (Paris XXe), à 19 heures, ouverte aux soutiens de la mobilisation. Un appel à la participation pour la caisse de grève du mouvement sera aussi lancé.
Le 7 mars prochain, répondant à l'appel de l'intersyndicale, des librairies baisseront leur rideau. Ce sera par exemple le cas du Tracteur Savant, librairie à Saint-Antonin-Noble-Val, dans le Tarn-et-Garonne. Le 7 février, l'enseigne avait communiqué auprès de ses clients sur sa participation à la mobilisation nationale. « Certains d'entre eux nous ont appelés pour savoir si l'on pouvait faire voiture commune », nous assure l'une des trois libraires, Aurèle Letricot, Valérie Poughon et Sandie Bouissière, entrepreneuses salariées d'une Scop.
« Cette réforme est inquiétante : en tant que libraires, nous sommes bien placées pour savoir qu'il faut du temps pour faire autre chose que travailler. Prolonger la durée légale du travail de deux ans, cela va être compliqué pour beaucoup de personnes. Et, même en tant que libraire, il est nécessaire d'avoir du temps pour soi ! »
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Dans la librairie comme pour d'autres métiers du livre, quantifier la mobilisation reste complexe : les enseignes indépendantes, notamment, ne ferment pas systématiquement en cas de salariés en grève. De la même manière, suspendre l'activité d'une maison d'édition n'est pas aussi visible qu'arrêter une raffinerie.
Sans évoquer l'activité des auteurs, qui sont par ailleurs particulièrement fragilisés par cette réforme. Un de leurs syndicats représentatifs, la Ligue des auteurs professionnels, les appelle cependant « à rejoindre les cortèges et étudie les possibilités d'actions spécifiques et communes selon les secteurs ».
La participation des libraires sera sans aucun doute la plus visible, en raison de ces fermetures de rideaux. La CGT Librairies invite en tout cas les salariés à la mobilisation et des efforts d'organisation sont réalisés pour relier la présence parisienne des libraires — où la concentration d'enseignes est très importante — et celles des autres villes, comme à Marseille, ou Albi, notamment.
L'opposition à la réforme du système de retraite voulue par le gouvernement d'Élisabeth Borne n'explique pas à elle seule le fort engagement des libraires. Le métier connait en effet une crise qui s'est aggravée récemment, autour de la rémunération des travailleurs et de la reconnaissance accordée aux qualifications.
« Nous sommes face à des grilles de salaires qui ne correspondent à rien, qui n’évoluent pas. On tire sur la corde des salariés en faisant valoir le métier-passion, la survie de l’entreprise. Les situations de harcèlement, de burn-out, sont fréquentes, tout comme l’exploitation des apprentis », détaille Sana, de la CGT Librairies. Un constat qui concerne à la fois les chaines et les plus petites enseignes.
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Les informations concernant les retraites sont parcellaires dans le secteur de la librairie, mais ce n'est pas le cas des salaires. D'après le site Talent.com, le salaire médian s'établit à 1763 € brut par mois, pour un salaire médian de 21.158 € annuels. Le dernier rapport de branche pour la librairie fait état de montants inférieurs, pour l'année 2020, toutefois.
La question des minimums conventionnels, qui restent assez bas pour la profession, est au coeur d'échanges entre le syndicat patronal de la librairie, le Syndicat de la Librairie française, et les syndicats représentatifs des salariés. Ces derniers estiment que les salaires ne sont pas assez élevés, quand le SLF s'inquiète des hausses successives du SMIC et d'une marge des libraires qui se réduit petit à petit.
Le dernier rapport de branche de la profession annonçait aussi une hausse de la proportion de libraires faisant état de moins de 5 ans d’ancienneté (51 %), ce qui peut se lire à la fois comme une preuve de l'attractivité d'un métier mais aussi, possiblement, de la désillusion après quelques années de pratique.
« La question des retraites est super inquiétante », remarque Alexandre*, salarié d'une librairie marseillaise, « mais la mobilisation répond à une logique plus large, à un questionnement de la répartition de la valeur au sein de la chaine du livre. En bout de chaine, les libraires n'ont que les miettes, quand certains grands groupes s'enrichissent beaucoup. »
Évoquer les niveaux de salaires s'avère parfois complexe au sein des librairies où le nombre de salariés est peu élevé, sans représentant du personnel. « Dans les mobilisations, des gérants et patrons de librairies ont défilé, il est possible de se retrouver au sein des cortèges pour les retraites », note Sana. « Mais, entre salariés, nous allons aussi aborder le sujet des salaires, ce qui peut être plus malsain avec un patron à côté. La CGT Librairies reste un syndicat de salariés et non de patrons », précise-t-elle.
Dans un secteur où la mobilisation n'est pas toujours très visible, la réunion publique du 28 février prochain doit permettre de structurer les actions, tandis que les assemblées générales en visio, elles, offrent une première opportunité de se connaitre et d'échanger.
*Le prénom a été changé.
Photographie : manifestation, le 31 janvier 2023 à Paris, contre le projet de réforme du système de retraite (illustration, Force Ouvrière, CC BY-NC 2.0)
2 Commentaires
Aurelien Terrassier
27/02/2023 à 23:49
C'est très bien que des salarié.es du privé tel que les libraires se mettent en grève face à une réforme injuste qui va générer encore plus d'inégalités sociales et de burn-out aussi. Après c'est bie aussi que certaines librairies ferment aussi ne serait-ce qu'un jour pour dire non à cette réforme. Tous les professionnels du livre ne peuvent pas faire grève non plus mais beaucoup de ceux-là je pense sont de tout cœur avec la Cgt.
KUJAWSKI
28/02/2023 à 09:39
On sait que le malaise en librairies est général, et que la réforme des retraites sert de mèche pour une situation explosive : entre les remises d'éditeurs-diffuseurs-distributeurs insuffisantes, les employé(e)s mal rémunéré(e)s et contraint(e)s d'habiter loin de leur lieu de travail - et d'être dépendant(e)s de transports souvent défaillants, les patrons de petites librairies sans employé(e)s ou avec effectifs minimums, qui se payent difficilement ou pas du tout pendant des périodes longues, et des charges économiques croissantes, c'est tout le commerce du livre qui souffre gravement.
Dans ces conditions, que des libraires, employé(e)s et patron(ne)s, se soulèvent contre cette horrible réforme, est un signe de vitalité qu'il faut saluer.
Mais tout restera à faire, que la réforme soit adoptée ou non.