Frais de port minimum sur les livres : la loi Darcos favorisera Amazon
La Loi Darcos, qu’aura tant vantée Emmanuel Macron, a pris un camouflet. Dans son avis circonstancié, la Commission européenne considère le tarif minimal pour les frais de port comme « une restriction de la libre circulation des services ».
Le 28/02/2023 à 11:44 par Nicolas Gary
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28/02/2023 à 11:44
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Il fallait lutter contre Amazon, une fois n’est pas coutume : après l’efficacité douteuse de la législation de 2014, le Syndicat de la librairie revenait à la charge. Et toujours sur la diabolique question des frais de port. La loi adoptée en décembre 2021 imposerait aux vendeurs de livres à distance un montant minimal pour les envois. Cette solution rééquilibrerait la concurrence, mettant un terme au célèbre 0,01 centime d’euro qu’a imposé Amazon depuis bientôt 10 ans.
Un minimum bien minimaliste
Le principe avait du bon, bien que soulevant de nombreuses interrogations, au sein même de la profession. Si chacun s’accorde sur l’enfer économique que représente le coût de 1 centime, la tarification minimum n’emballait que modérément. Dès mai 2022, certains pointaient que la France serait « le premier pays à ne plus vendre de livres en ligne ».
On t'avait prévenu...
Côté Hexagone, tout était en ordre de marche : l’ARCEP avait ainsi fixé le montant de 3 € pour ce fameux minimum d’expédition, après consultation. Et si l’entrée en vigueur n’était pas prévue avant la fin du premier trimestre 2023, encore fallait-il passer sous les fourches caudines de la Commission européenne.
Ce qui était à redouter vient alors d’arriver. Bruxelles avait déjà averti charitablement : dans un courrier du 10 février, elle pointait du doigt plusieurs problématiques intrinsèques, affectant les libraires mêmes.
La CE dénonçait « une discrimination de fait », qui affecterait « les détaillants en ligne qui ne sont pas présents en France de manière disproportionnée ». Mais plus encore, la loi Darcos aurait « pour effet de porter atteinte à l’objectif d’égalité d’accès aux livres ». En somme, au lieu de corriger une distorsion de concurrence, elle en créerait une autre.
Un sérieux manque de preuves
Selon L’Informé, l’avis circonstancié remis ce 27 février abonde et va plus loin encore. La Commission avait déjà souligné le risque d’une « restriction de la libre circulation des services », ainsi qu’une contradiction avec la directive sur le commerce électronique. Désormais, elle enfonce le clou, reprenant ses précédents arguments.
« La mise en place de frais minimaux de livraison de 3 EUR, à ajouter au prix moyen des livres vendus en France, devrait entraîner une augmentation significative du prix final que les détaillants, y compris ceux qui constituent des prestataires de services de la société de l’information, seront en mesure d’offrir aux consommateurs potentiels. »
– Avis circonstancié de la Commission européenne
Et si le projet français visait à maintenir « un réseau dense et diversifié de détaillants de livres, permettant de garantir l’accès du public le plus large à la diversité et la qualité de l’offre éditoriale », la CE n’est guère convaincue.
De fait, aucune évaluation n’appuie les propos, condition impérative pour obtenir une dérogation à la directive sur le commerce électronique. De la sorte, la CE ne dispose pas des éléments pour juger si un tarif minimal des frais de port préserverait bien le réseau de librairie.
À LIRE: Macron sacre Amazon : Jeff Bezos, chevalier de la Légion d'honneur
Plus encore, « [l]es livres publiés dans d’autres États membres et dans des langues autres que le français seraient particulièrement touchés ». À ce titre, les vendeurs établis dans d’autres États se verraient désavantagés, au profit de ceux installés dans l’Hexagone.
Non, rien de rien...
Puis, Bruxelles s’interroge : en quoi facturer un montant minimal sur les frais d’envoi garantit un accès large aux lecteurs ?
« […] les autorités françaises devraient encore démontrer que ces mesures sont propres à atteindre l’objectif fixé et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. En l’espèce, les autorités françaises n’ont pas fourni un tel raisonnement pour justifier une dérogation à l’article 34 TFUE. »
– Avis circonstancié de la Commission européenne
D’ailleurs, réprimande la CE, la France a foncé tête baissée dans ce projet de montant minimal, sans présenter d’alternatives. Il s’en trouvait pourtant, énumère l’avis, comme la « réduction des tarifs postaux pour les librairies ou [le] soutien à la numérisation des librairies ».
Au profit d'Amazon ?
Mais la conclusion porte le coup fatal :
« [L]a grande majorité des plus gros vendeurs de livres en ligne bénéficierait de tarifs forfaitaires pour les envois par correspondance qui ne dépendent pas du service universel, et bénéficierait de tarifs forfaitaires pour les envois par correspondance qui ne dépendent pas du service universel, et qui seraient inférieurs aux tarifs du service universel.
Les plus petits libraires en ligne ne peuvent se soumettre qu’aux tarifs du service universel, et les tarifs qu’ils pratiquent peuvent encore être supérieurs au tarif minimum imposé.
En conséquence, alors que la mesure notifiée réduirait la différence entre les tarifs pratiqués par les petits et par les gros vendeurs en ligne, étant donné que ces derniers ne peuvent facturer moins de 3 EUR, les tarifs des petits opérateurs sont susceptibles de rester plus élevés et de ne pas être concurrentiels face à ceux des opérateurs plus importants.
En conséquence, les consommateurs en ligne peuvent être enclins à privilégier l’achat auprès des plus gros vendeurs, et non auprès des petits opérateurs que la mesure notifiée a l’intention de favoriser. »
– Avis circonstancié de la Commission européenne
Comprendre : en l’état, la législation favorisera Amazon, plus qu’elle n’incitera pas les lecteurs à réaliser leurs achats sur les sites de libraires indépendants…
À LIRE: Frais de port minimum : guerre de tranchées entre Amazon et la librairie
L’avis circonstancié entraînera un report de quatre mois pour l’adoption de la loi Darcos, avec la prise en considération des remarques et observations. Dans le cas contraire, une procédure d’infraction interviendrait contre la France, avec mise en demeure et pénalités…
On consultera ci après l'avis que L'Informé a révélé.
Crédits photo : ActuaLitté (CC BY-SA 2.0)
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10 Commentaires
Henri Mojon
28/02/2023 à 13:43
Tous les arguments de la CE sont identiques à ceux contre le Prix unique du livre et c'est normal puisque cette loi revient à instaurer un Prix unique du livre en ligne.
Certes le groupe Leclerc, grand pourfendeur de cette loi à l'époque, s'est retrouvé à gagner plus d'argent grâce au prix unique du livre tout comme Amazon gagnera plus d'argent avec ce frais de port minimum.
Mais si on admet que ces arguments sont valables pour empêcher l'adoption de cette nouvelle loi alors il faut être honnête intellectuellement et remettre en cause celle sur le prix unique du livre.
C'est totalement sous estimer la puissance des éditeurs dans un marché créer par l'offre et donc par eux, de penser que cette loi ne favorisait qu'Amazon, car tout comme le Prix unique du livre il est certain que les frais de port minimum augmenteront aussi les revenus des éditeurs.
De même c'est totalement sous estimer la capacité d'entreprendre des libraires de penser qu'il ne seraient pas capable de prendre des parts de marché à Amazon si la concurrence était plus juste sur les ventes en lignes grâce à la suppression de son avantage concurrentiel déterminant depuis 10 ans que constituent les frais de port gratuits.
Rieg Davan
01/03/2023 à 00:14
le prix unique c'est un prix identique payé par le lecteur peu importe qu'on lui délivre le bouquin ou qu'il se déplace ; 6,95€ c'est 6,95€ point barre (et encore il faudrait remettre les 5% sur Internet).
NInja
28/02/2023 à 14:39
Nous noterons avec intérêt que la loi avait été votée à l'unanimité tant par la chambre que par le sénat.
Et il est quand même effrayant - et inquiétant - de voir qu'il n'y a pas eu un seul élu en France capable d'analyser cette loi de façon pertinente, tant en ce qui concerne son efficacité qu'en ce qui concerne son respect des règles de concurrences.
Ni d'ailleurs aucun élu pour proposer une baisse du prix des envois postaux de livres.
En décembre un ancien haut commissaire à l'énergie atomique parlait, en matière d'énergie, de prises de décision par "des canards sans tête". Cela semble une description assez réaliste...
Ninja
Rieg Davan
01/03/2023 à 00:18
et dire qu'ils s'occupent de sujet plus compliqué comme le nucléaire, la sècheresse, le chômage, les retraites ou le réchauffement climatique ; ça fait froid dans le dos.
Rieg Davan
01/03/2023 à 00:20
j'espère que les "élus" laisseront Amazon et la Fnac tranquille maintenant, il faut abandonner ce projet idiot et liberticide.
Daniel
28/02/2023 à 16:05
L’avis de la CE n’a rien d’étonnant et me semble amplement justifié. Les libraires méritent mieux qu’une loi aussi mal pensée que celle-ci.
XB
01/03/2023 à 11:38
Quelle honte d'imposer des tarifs élevés au frais d'envois ! quid de ceux qui habites en campagne et qui doivent prendre leur voiture ? cela va forcement entrainer un baisse de l 'accès à la culture ! Bref injuste se favoritisme... C'est un marché LIbre je rappelle , donc l état ne dois interférer ! avant on pouvait acheter des livres neufs bien moins chère du fait de la concurrence (jusqu'à -50 % voir plus, je me rappelle !) depuis l adoption du prix unique ! cela forcement à créer une baisse de la demande, c’était idéal pour les cadeaux ! Merci jack Lang !
Richard
07/09/2023 à 17:27
3 euros de frais de livraison pour aider les librairies... Mmmm... Ce n'est pas grave, ça incitera les gens à acheter des copies numérique à lire sur leur Kindle... Ou autre liseuse
archer241
07/09/2023 à 22:19
Si on résume :
Source La FNAC : Les livres neufs représentent un nombre de livraisons à domicile considérable => Vu le prix à payer en frais de port, cela va restreindre l'accès aux livres et à la culture et comme tout augmente sauf notre pouvoir d'achat, ça s'appelle se tirer une balle dans le pied et cela aura un effet inverse à l'impact écologique.
Personnellement, je ne me déplacerais pas en magasin pour acheter un livre (trop loin et je vais consommer de l'essence pour m'y rendre) et ne l'achèterais pas avec des frais de port (on nous a habitué a n'en plus payer depuis des années).
Alors désolé mais la solution va être d'acheter les livres à l'étranger ou les frais de ports resteront gratuit et continuer de faire vivre les gros vendeurs.
Ce qui ont voté cette loi devrait certainement lire un peu plus plutôt que de systématiquement ponctionner les contribuables au nom du soi-disant prétexte "écologique".
XB
08/09/2023 à 18:48
On nous impose tout dans ce pays comme des enfants ... je rappelle la devise : liberté , égalité, etc.
Bref on est loin de cela , comme les vaccins obligatoires (10 pays sur 200...) ou le Consuel (à peine 5 pays sur 200) ...