LeLivreaMetz23 — Le Fou d’Elsa, Les Yeux et la Mémoire, Le Paysan de Paris, Aurélien, Les Beaux Quartiers... L’œuvre poétique et romanesque de Louis Aragon et l’une des plus importantes du XXe siècle, tant par la forme que le fond. Le directeur de l’édition des Œuvres poétiques complètes d’Aragon dans la Pléiade, Olivier Barbarant, présente à Metz un Aragon moins connu : le journaliste engagé.
Le 16/04/2023 à 08:30 par Hocine Bouhadjera
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Publié le :
16/04/2023 à 08:30
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Le travail journalistique d’Aragon a constitué une part essentielle de son activité, participant à élaborer sa vision du monde non sans radicalité. De juillet 1932 à mars 1933, il réalise un séjour en Union soviétique, dans un contexte où il rompt avec ses amis surréalistes et son éditeur Gallimard. Il y devient correspondant pour une revue de littérature internationale, à Moscou. Il est adhérent du Parti communiste français depuis 1927.
De cette expérience, il tire le recueil Hourra l’Oural, rencontre de ses choses vues et d’enthousiasme naïf face aux réalisations de l’Empire stalinien. Un poème s’appelle, Vive le Guépéou... Il y raconte en réalité ces moments de tourisme encadré, comme on peut les connaître aujourd’hui en Corée du Nord. Il devait puiser dans ce voyage la matière à un long reportage pour l’organe du parti en France, l’Humanité, qui ne verra jamais le jour.
Le journalisme qu’il embrasse dès son retour en France lui donne un format et un rattachement au réel. Il commence dans l’Humanité à la rubrique des chiens écrasés, mais Aragon restant Aragon, certains titres de ces articles de faits divers sont : « Boucher, il découpe sa femme en morceaux », ou « Il avait tué son beau-père et sa fille, une mort bien chrétienne »... Il réalise notamment son apprentissage sur l’affaire Violette Nozière qui défraya la chronique.
Dans son roman, Les cloches de Bâle, il raconte, au sujet de sa première véritable expérience journalistique :
Je dois tout à ce stage aux travaux forcés, à la pauvreté d’alors, à l’absence de toute complaisance des gens, à leur cruauté même. Merci.
Pour son œuvre romanesque, le journalisme l’aidera à se cadrer : « Le passage de Lautréamont à Balzac », résume Olivier Barbarant devant le public de l’Espace Bernard-Marie Koltès de Metz. À partir de 1936, Maurice Thorez lui confie la direction d’un nouveau quotidien, Ce soir, où il stigmatise les accords de Munich, prend la défense des républicains espagnols, ou glorifie les soviets et chante les mérites de Staline. En août 1939, la presse communiste est interdite suite au pacte germano-soviétique.
Olivier Barbarant rappelle également que son combat anticolonialiste avait décidé de l'entrée du poète au PCF en 1927. Selon ce dernier, il est à bon droit de considérer cet engagement comme le fil directeur de sa vie, de la lutte contre la guerre du Rif, jusqu'au Fou d'Elsa. Louis Aragon consacra dès 1933 un article à une nouvelle répression dans le Djebel.
Passé dans la résistance après l’attaque surprise par l’Allemagne nazie de l’Union soviétique, Louis Aragon participe au mensuel Les Lettres françaises, lancé en 1941 par Jean Paulhan. L'ambition de la publication clandestine, au départ, est de réunir les intellectuels face à Pétain et l’occupant.
Le quotidien Ce soir renaît à la libération, jusqu’en 1953. Suite à l’arrêt du journal, l'auteur d'Il n'y a pas d'amour heureux prend la tête des Lettres françaises. La même année, il salue la mort de Staline par un portrait de Pablo Picasso qui soulève de nombreuses critiques dans son camp. « Le ton est donné », commente Olivier Barbarant, avant un arbitrage de Maurice Thorez en faveur de Picasso et Aragon.
L'auteur de Séculaires développe : « Les Lettres françaises seraient, envers et contre tout, le journal culturel communiste de l'ouverture esthétique, du refus du dogmatisme esthétique qui fut la ligne d'ouverture humaniste d'Aragon et son apport à son parti politique, malgré bien des difficultés. » Une opposition intérieure que souhaite mettre en évidence Olivier Barbarant, face à une image par trop réduite de « Louis Aragon le stalinien ».
La revue cesse sa parution en 1972, en déroute financière. Par la même occasion, Aragon abandonne ses activités journalistiques pour se consacrer à ses ouvrages.
À l’occasion du 40e anniversaire de la disparition de l’auteur de La Semaine sainte, son éditeur historique, Gallimard, a republié en novembre dernier trois recueils du poète : Les chambres, Persécuté persécuteur et Les adieux et autres poèmes.
Le premier a été imprimé en 1969, et invoque les thèmes de prédilection de l’écrivain : Elsa, la mémoire ou la désillusion.
Le deuxième a été édité en 1931 et constitue un « hymne politique où frémit toute la croyance du poète dans le communisme ». Enfin, Les adieux et autres poèmes, dernier recueil paru du vivant du poète, est composé de textes écrits entre 1958 et 1981, date de parution.
Crédits photo : Domaine public
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1 Commentaire
BARBARANT
16/04/2023 à 18:18
Je vous remercie pour cet article.
Je suis cependant un peu réservé devant quelques éléments qu'il me paraît nécessaire de corriger:
"découper sa femme en morceaux" suppose un pluriel. Le "x" me paraît devoir être rétabli.
"De cette expérience, il en tire" est une erreur grammaticale à rectifier. Le pronom adverbial "en" est un pronom de reprise. Lorsque le complément est déjà donné, il est incorrect de passer par une reprise pronominale : "De cette expérience, il tire de cette expérience", chacun comprend que cela bégaye. Il convient donc de corriger : "De cette expérience, il tire"
Aragon n'a pas créé Les Lettres françaises, fondées par Jean Paulhan, j'ai d'ailleurs précisé ce point lors de la conférence, si bien que je suis surpris de retrouver cette inexactitude.
Je suis surpris aussi de la critique dite "légère" de l'Union Soviétique dans Les Lettres françaises : introduire Soljenitsyne en France, préfacer Kundera, défendre le printemps de Prague contre l'entrée des chars et la remise en ordre, avoir pour invité Rostropovitch (au point qu'une chambre du Moulin d'Aragon portait le nom de Chambre Rostropovitch), est-ce faire une critique "légère" ? Dans tous les cas ce n'est pas un adjectif que j'ai employé. Ce n'est pas non plus ce que pensait Rostropovitch, qui joua sur la tombe d'Elsa Triolet comme devant le mur de Berlin et qui a toujours revendiqué son amitié envers Aragon et son combat contre le retour des staliniens après la brève période dite de dégel. Peut-être doit-on se fier davantage aux témoignages de dissidents, premiers concernés, plutôt qu'aux préjugés de la politique française ?
Rien n'est dit dans ce compte rendu du combat anticolonialiste, sujet sur lequel nous avions mis l'accent lors de la conférence, et qui décida de l'entrée d'Aragon au PCF en 1927 et peut être à bon droit considéré comme le fil directeur de sa vie, de la lutte contre la guerre du Rif jusqu'au prodigieux "Fou d'Elsa". Cela évidemment contrarie tout préjugé selon lequel l'obsession des communistes aurait été ce qui se passait à Moscou, mais c'est un fait vérifiable tout au long de l'activité journalistique d'Aragon, y compris dès 1933 où il consacra un article à une nouvelle répression dans le Djebel.
Entre des approximations pourtant corrigées lors de la conférence, des erreurs de reprise de ce qui y fut dit, et un déplacement complet des perspectives au regard de son contenu, je suis contraint de constater que le journaliste n'est pas venu écouter, mais confirmer sa représentation d'Aragon : c'est un horrible stalinien. L'article 'n'informe pas, il reconduit une image toute faite, sans même prendre le temps au moins de la confronter aux faits et sources que cette conférence a tenté de présenter. Pourquoi dans ce cas prendre la peine de tenter de rendre compte de la rencontre ? l'article pouvait être écrit directement, de chez soi, sans ouvrir un livre : Aragon est méchant et l'a toujours été, aveugle et l'a toujours été : nul besoin de se réclamer d'une intervention d'un spécialiste pour colporter ce qui arrange le rédacteur de l'article, ou dont il espère, peut-être, que cela satisfera ses lecteurs sans trop les troubler ?.
Avec ma gratitude pour ce bel effort de dénaturation du propos, et mes considérations distinguées.
OB