Celui qu'El Pais définit comme « le plus grand cervantiste français de son temps », Jean Canavaggio, est décédé à l’âge de 87 ans, le 20 août dernier à Paris. Il a été emporté par un cancer foudroyant, révèle son ami, l’historien Benoît Pellistrandi. Entre autres faits d’armes, celui qui a consacré une vie à l’approfondissement du chef-d’œuvre universel, Don Quichotte, a dirigé l’édition de la Pléiade dédiée à son auteur, Miguel de Cervantes.
Le 24/08/2023 à 17:14 par Hocine Bouhadjera
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24/08/2023 à 17:14
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Il aura fallu que France Inter voue son émission littéraire de la belle saison, Un été avec.. , à Don Quichotte, pour que son plus important spécialiste français disparaisse au même moment… Jean Canavaggio s’inscrit dans la riche tradition des hispanistes français du XXe siècle, de Marcel Bataillon à l’historien Joseph Pérez, disparu en 2020.
L’ancien élève de la rue d’Ulm, comme un auteur qui nous a quittés récemment, est à la tête de l’institut du dialogue franco-espagnol de Madrid, la Casa de Velázquez, entre 1996 et 2001. Il était par ailleurs professeur émérite à l’Université de Nanterre, membre honoraire de l’Hispanic Society of America à New York, de la Real Academia de la Lengua et de la Real Academia de la Historia à Madrid.
Il a eu avec son épouse Perrine, première archiviste de la Présidence de la République française, entre 1974 et 1994, quatre enfants : « De quoi papa va parler ? Don Quichotte, comme toujours », révélait-il avec un sourire, de son intimité, dans un entretien auprès d’El Pais en mars dernier.
C’est à sept ans qu’il découvre Don Quichotte par l’entremise d’une version bande dessinée du Grand Oeuvre de Miguel de Cervantes. À l’âge de 12 ans, il commence à étudier l’espagnol, puis une vie à lire et relire le chef d’œuvre, en bon représentant des obsessionnels de toutes les contrées. Il fut avant tout séduit par la personnalité de l’ingénieux Hidalgo : « Ce n’est pas un héros, et ce n’est pas non plus un clown. Ceux qui le croisent ne savent pas s’il est fou ou sage. » Il affirmait en revanche s’identifier plus à Cervantes qu’à Don Quichotte, qui parle au lecteur, « comme à un ami ».
Un travail sur le long cours qui offrit une érudition alliée à une rigueur « de la meilleure tradition académique française », décrit encore El Pais. Mais en réalité, ce n’est qu’à l’université qu’il lit les milliers de pages de Don Quichotte dans leur intégralité, alors qu’il se consacrait à la relation entre la philosophie poétique de l’humaniste Alonso López Pinciano et Miguel de Cervantes.
Il édite notamment chez Fayard une biographie de référence de Cervantes en 1998, lui permettant de recevoir le Goncourt de la biographie, puis en 2005, Don Quichotte, du livre au mythe — Quatre siècles d’errance, toujours chez Fayard. Précédemment, c’est une Histoire de la littérature espagnole qu’il proposait en deux volumes, édités en 1993 et 1994.
Pour l’éditeur aux éditions Bartillat, Charles Ficat, qui publia son Dictionnaire Cervantes en 2021, où Jean Canavaggio s’est attelé à recenser toutes les références à l’œuvre du maître espagnol pour montrer en quoi elle est universelle, « c’était un universitaire très rigoureux, très brillant, solide, qui connaissait presque mieux que les Espagnols Cervantes pourrait-on dire ».
Au sujet de sa traduction de Don Quichotte, il y décèle sa « connaissance intime de l’époque du contexte, entre précision dans la langue, avec cette volonté de rendre cette atmosphère de début du XVIIe siècle ».
L'éditeur rappelle en outre la reconnaissance internationale de son travail pour l’édition de la Pléiade de Cervantes paru en 2001 — après une première édition de 1934 dirigée par Jean Cassou —, dont beaucoup se sont ensuite inspirés. Outre Don Quichotte, cette nouvelle édition en 2001 intégrait Les romans exemplaires, La Galatea et Los trabajos de Persiles y Sigismunda : « Canavaggio a réussi à donner une image globale de Cervantes, sans se limiter à Don Quichotte », résume le spécialiste de l'Histoire de l’Espagne, Benoît Pellistrandi.
Ses intérêts ne se limitaient en effet pas au seul Cervantes, mais allaient de Prosper Mérimée à Sainte Thérèse d’Avila et Saint Jean de la Croix, dont il proposa une édition en 2012 réunissant les écrits des deux chrétiens pour la Pléiade, en passant par Pedro Calderon de la Barca ou José Ortega y Gasset.
De ce dernier sortira chez Bartillat, le 14 septembre prochain, un inédit, Une méditation sur l’Europe, traduit en français, annoté et préfacé par Jean Canavaggio. Dans sa préface en forme de testament, il met en évidence une pensée espagnole de l’Europe, et la dimension européenne de ces plus grandes plumes.
Jean Canavaggio était considéré comme l’un des meilleurs experts de Cervantès, à commencer en Espagne, tant l’homme et l’époque dans laquelle il a évolué que son œuvre. Auteur d’une biographie de référence de l’écrivain espagnol, il est aussi le maître d’œuvre de l’édition des Œuvres complètes de la Pléiade. Sa traduction de Don Quichotte constitue un subtil équilibre entre le contexte de cette Espagne du début du XVIIe siècle et les exigences modernes de réception d’un texte.
En outre, ses travaux sur Don Quichotte et sa postérité ont montré l’extraordinaire fortune du personnage dans toute la culture européenne dans toutes ses dimensions : littérature, philosophie, musique, peinture, sculpture, cinéma, etc. L’érudition de Jean Canavaggio ne se limitait pas à la seule Espagne du siècle d’or. Il pouvait circuler à travers toutes les époques et toutes les civilisations. Son ultime travail en témoigne : la présentation et la traduction d’une conférence inédite de José Ortega y Gasset, Une méditation sur l’Europe.
C’est un peu le testament de Jean Canavaggio, dont l’exigence, la rigueur et l’immensité du savoir font honneur à la culture française.
- Charles Ficat des éditions Bartillat
Pour la Pléiade toujours, il a enfin contribué à l’édition qui réunit les principales pièces du Théâtre espagnol du XVIe siècle, en offrant une introduction et en participant à la traduction.
S’il fut peu politisé, il signa en octobre 2017 dans le Monde une tribune contre la tentative de sécession en Catalogne. Quelques mois plus tard, une de ses conférences sur Cervantes à l’Université de Barcelone, organisée par l’association anti-indépendantiste Societat Civil Catalana, est perturbée par des étudiants indépendantistes au cri de « Fascistes hors de l’université »...
Il fut enfin élevé au rang de chevalier de la Légion d’honneur et détenait la grande croix de l’ordre d’Alfonso X el Sabio et de l’ordre d’Isabel la Catholique. En juin dernier, il recevait le Prix de la Critique de l’Académie française pour l'ensemble de ses travaux critiques.
Crédits photo : Éditions Bartillat
Paru le 09/09/2021
573 pages
Bartillat
28,00 €
Paru le 14/09/2023
170 pages
Bartillat
20,00 €
Paru le 11/10/2012
1094 pages
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64,50 €
Paru le 17/09/2015
1264 pages
Editions Gallimard
66,00 €
Paru le 06/07/1998
381 pages
Fayard
30,00 €
Paru le 02/03/2005
346 pages
Fayard
29,00 €
1 Commentaire
Charlie
26/08/2023 à 12:12
Bonjour,
Je ne connaissais pas cet auteur, mais la série "un été avec", je vous le confirme, est de très bon niveau, notamment l'opus sur Proust, (Antoine Compagnon)qui pour moi, est le plus accompli.
Je l'ai lu, relu..
Plus globalement, cette série constitue un très bon point d'entrée pour découvrir un auteur et une oeuvre.Ex : Paul Valéry (Régis Debray) , Homère (Sylvain Tesson)...
Personnellement, je lirai l'ouvrage sur Don Quichotte, rédigé par ce spécialiste, malheureusement disparu...