Martin Scorsese, le réalisateur octogénaire aux innombrables succès, s’est encore attaqué à la franchise Marvel. Alors qu’en 2019, il avait fait polémique en comparant ces blockbusters à des « parcs d’attractions », il a de nouveau déploré la surabondance d’adaptations de comics. Selon lui, cette surproduction appauvrit le paysage cinématographique en proposant une offre uniforme et sans prises de risques. Cette collision entre deux géants du cinéma américain est avant tout symptomatique d’une rupture entre les générations, révélatrice d’une industrie en mutation.
Le 26/09/2023 à 16:28 par Zoé Picard
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26/09/2023 à 16:28
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Le réalisateur italo-américain qui a grandi à Little Italy (New York) est l’une des figures les plus influentes de l’histoire du cinéma. Né le 17 novembre 1942 à New York, il ne semble pas vouloir raccrocher les gants comme l’atteste l’entretien qu’il a accordé au GQ le 25 septembre dernier.
La carrière de Scorsese s’étale sur plusieurs décennies, avec un catalogue de films acclamés tels que Taxi Driver (1976), Raging Bull (1980) et The Departed (Les Infiltrés, 2006), pour lequel il a remporté l’Oscar du meilleur réalisateur. Le père de Shutter Island (2010) explore la complexité de la nature humaine, en particulier quand celle-ci est lacérée par la criminalité et la violence.
Sa prochaine œuvre, Killers of the Flower Moon, sort en salle en octobre. À cette occasion, Leonardo DiCaprio, qui collabore pour la septième fois avec le cinéaste, retrouve Robert de Niro avec qui il n’a pas joué depuis Blessures secrètes en 1993. Ce film très attendu se déroule dans l’Oklahoma des années 1920, alors que la tribu amérindienne des Osage est frappée par une série d’assassinats.
Scorsese s’inspire du livre de non-fiction Killers of the Flower Moon : The Osage Murders and the Birth of the FBI écrit par David Grann et paru en 2017 chez Doubleday. En 2018, Cyril Gay le traduit en français, pour les éditions Globe, sous le titre La note américaine.
Celui qui n’a rien perdu de sa ferveur adapte actuellement le roman lauréat du Prix Pulitzer : Chez nous, de Marilynne Robinson (trad. Simon Baril, Babel).
Ce loup du 7e art œuvre pour la postérité, non sans chérir le passé : en 2007, il fonde la World Cinema Foundation, une organisation dédiée à la restauration et la préservation des films du patrimoine mondial du cinéma. C’est donc à partir de sa longue expérience que ce passionné de Dostoïevski déclare : « l’industrie [ndlr : du cinéma] est terminée ».
Selon lui, si la qualité des productions se délite, c’est en partie à cause de la franchise Marvel qui propose une armada d’œuvres à gros budget sans aucune originalité. Il précise : « Le danger, c’est ce que cela fait à notre culture. » Le réalisateur précise que certaines générations ne connaîtront plus que les productions Marvel qui font un nombre considérable d’entrées. Et, le public qui ne s’intéresse pas aux tribulations de Spiderman ou de Thor, rejettera le cinéma.
Quelques années plus tôt, il expliquait au Los Angeles Time : « Alors, vous pourriez vous demander quel est mon problème ? Pourquoi ne pas simplement laisser les films de superhéros et autres films de franchise exister ? La raison est simple. Dans de nombreux endroits du pays et du monde, les films en franchise sont désormais votre premier choix si vous souhaitez voir quelque chose sur grand écran. C’est une période périlleuse pour l’industrie cinématographique »
Comme le rapporte Variety, il en appelle à « sauver le cinéma », en « ripostant ». Et de préciser : « Je pense que le contenu fabriqué n’est pas vraiment du cinéma [...]C’est presque comme si l’IA faisait un film. Et cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de réalisateurs et d’effets spéciaux incroyables qui réalisent de belles œuvres d’art. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? Que font ces films, qu’est-ce que ça va vous apporte ? Mis à part une sorte de consommation, puis son élimination de votre esprit, de votre corps tout entier, vous savez ? Alors qu’est-ce que ça apporte ? »
Cela fait déjà plusieurs années que Scorsese mène une vendetta contre les productions Marvel. En 2019 il confiait au magazine Empire que ces films se rapprochent plus des « parcs à thèmes » que du « cinéma d’êtres humains essayant de transmettre des expériences émotionnelles et psychologiques à un autre être humain ».
« De nombreux éléments qui définissent le cinéma tel que je le connais sont présents dans les images Marvel. Ce qui n’existe pas, c’est une révélation, un mystère ou un véritable danger émotionnel. Rien n’est en danger. Les images sont conçues pour satisfaire un ensemble spécifique de demandes et sont conçues comme des variations sur un nombre fini de thèmes.
[...] C’est la nature des franchises cinématographiques modernes : étudiées sur le marché, testées par le public, vérifiées, modifiées, révisées et remodifiées jusqu’à ce qu’elles soient prêtes à être consommées. »
- Martin Scorsese pour The Los Angeles Time (2019)
Des réalisateurs tels que Quentin Tarantino l’avaient rejoint dans sa fronde. Ce dernier avait affirmé au Los Angeles Time en 2022 que si il n’avait jamais travaillé pour Marvel ou DC Comics c’est parce qu' « il faut être un employé pour faire ces choses » . Et de conclure : « Je ne suis pas un employé. Je ne cherche pas de travail. »
Le succès des adaptations des BD Marvel n’a échappé à personne : il est historique. Comme le rappelle la plateforme Statista, née dans les années 1930 en tant qu’éditeur de bandes dessinées, l’entreprise était initialement baptisée Timely Comics. Elle est ensuite devenue Atlas Comics avant de se nommer Marvel en 1973.
Après plusieurs essais de diversification et une déclaration de faillite en 1996, Marvel est racheté par The Walt Disney Company en 2009 pour la somme colossale de quatre milliards $ (soit près de 3,8 milliards €). Selon Les Échos en 2018, depuis 2009, Disney a produit 18 films inspirés de l’univers Marvel et a cumulé des recettes de 16,7 milliards $. L’ensemble représente une moyenne impressionnante de plus de 900 millions $ par film, ce qui en fait la franchise cinématographique la plus rentable du monde, bien devant Star Wars ou Harry Potter.
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Cette course au profit semble implacable : le studio posséderait un catalogue avec plus de 7000 personnages issus des célèbres BD de Stan Lee. De quoi tenir encore longtemps. Pourtant, Scorsese est peut-être trop alarmiste... Même si Marvel/Disney semble tout orchestrer à la perfection, entre des stratégies de diffusion prévues sur plusieurs années et des campagnes promotionnelles titanesques, la franchise n'est pas à l'abri de certains revers commerciaux.
Selon Ecran Large, en 2022, seul Spider-Man : No Way Home a passé le cap du milliard alors que Thor : Love and Thunder et Black Panther : Wakanda Forever ont été de relatifs échecs. Même son de cloche en 2023 avec Ant-Man et la Guêpe : Quantumania. Comme nous le disions, après trois semaines en salle aux États-Unis, la fréquentation du film connaissait déjà une nette dégringolade. Quoi qu'en dise Scorsese, le public se lassera peut-être plus vite que prévu des superhéros...
Crédits photo : neil pato (CC BY-NC 2.0) / Peabody Awards (CC BY 2.0)
2 Commentaires
Necroko
27/09/2023 à 05:50
Les deux genres sont nécessaire, les Blockbusters comme les Films d'auteurs.
Louis
29/09/2023 à 17:50
On a souvent critiqué les blockbusters mais c'est eux qui aident à faire vivre le cinéma. Suite à la crise du COVID, les salles de cinéma avaient compté sur les blockbusters Marvel pour se relancer. Lorsqu'ils ont su que des films Disney et Marvel allaient être diffusés en ligne , ils ont critiqué cela.
Scorsese a beau être un très grand réalisateur, je préfère voir ses films à la TV que me déplacer dans une salle pour les voir.
En même temps, il n'ose pas critiquer Star Wars