Dans sa nouvelle chronique, Monsieur Morris, un brin taquin, célèbre le succès des BD de son enfance comme Astérix ou Gaston Lagaffe. Il défend la continuation des séries populaires par de nouveaux talents, suggérant plus d'audace et encourage l’industrie de la BD à s’adapter au XXIe siècle, en prenant exemple sur Netflix pour captiver un nouveau public.
Le 25/01/2024 à 18:09 par Nicolas Gary
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25/01/2024 à 18:09
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L'Humeur de Morris est une chronique satirique, proposée par ActuaLitté. Car en chaque grand homme, y'a un Monsieur Morris qui commente les statistiques de ventes GfK. Avec un regard parfois polisson...
ActuaLitté : Monsieur Morris, vous… vous souriez ? Pardonnez-moi : c’est pas courant de vous voir d’humeur aussi guillerette.
Monsieur Morris : Ah, gamin, je suis extatique ! J’ai consulté les chiffres de vente de l’année écoulée : Astérix, Gaston, Lucky Luke, Blake et Mortimer,... C’est pas beau ? Que de vieux copains que je lisais quand j’étais minot. De quoi rabattre le caquet des grincheux qui râlent passqu'on touche à leurs idoles.
À LIRE - Astérix, Gaston Lagaffe et Mortelle Adèle, star des ventes BD 2023
Passque les premiers à bougonner, ce sont les héritiers ! Avant, ils ne pipaient pas un mot quand ils empochaient le pactole des droits sur la énième réédition de l’intégrale des œuvres de l’aïeul qui avait passé l’arme à gauche. Maintenant, quand il faut partager avec un dessinateur ou un scénariste ou les deux : ça coince velu.
ActuaLitté : Oui, m’enfin, Monsieur Morris, on ne peut pas tout laisser faire non plus…
Monsieur Morris : Là, tu vois, je suis bien d’accord : y’a même des limites à pas franchir que, de leur vivant, les auteurs transgressaient joyeusement. Souviens-toi d’Astérix, sabordé par Uderzo, quand il s’est cru les épaules assez solides pour remplacer Goscinny au scénario. Bim ! À le laisser faire, des robots et des fusées étaient prêts à envahir la Gaule !
Et Les Tuniques bleues, on en parle du naufrage des auteurs vieillissants ? Et d’un autre côté, imagine : si Hergé avait vécu assez longtemps, il aurait peut-être transporté son reporter dans le Métavers de Facebook, ou dans les vignes de la Silicon Valley.
ActuaLitté : Donc, même de leur vivant, les auteurs devraient plier boutique ?
Monsieur Morris : Pffff ! J’avais oublié que t’étais pas bien futé. Non ! Tant que ça vend et que le public en redemande, pourquoi interdire aux auteurs de poursuivre ! Ça me navrerait qu’on arrête de faire de la soupe au prétexte que la marmite est trop vieille. Une bonne série, ça dure éternellement, nondidju ! En BD, les héros n’ont ni rides ni cheveux gris. Sauf Les Vieux fourneaux, mais c’est comme ça depuis le début et ils écoulent des palettes, les seniors.
Passque c’est magnifique, ces héros qui survivent à leurs créateurs ! C’est du transhumanisme : prolonger l’existence de créatures que la mort aurait dû faucher depuis un bail. Pour autant, gare à ce que la soupe ait pas un goût de cramé au fond du vieux pot...
ActuaLitté : Pour une fois, Monsieur Morris, vous ne nous dites pas que tout était mieux avant...
Monsieur Morris : Non, c’est vrai, c’est la beauté du monde moderne, ces séries qui cartonnent en recyclant la recette de départ.
Tu sais, la formule ressemble d’ailleurs à celle que l’I.A. propose à grande échelle : un scénariste bien programmé et un dessinateur bien entraîné produiront à l’infini des aventures des héros de notre enfance.
Aux États-Unis et au Japon, ça les gêne pas. Les héros passent d’un dessinateur à l’autre ou au scénariste suivant, sans problème. C’est en France qu’on a des arrière-pensées, au nom du respect de l’œuvre et du droit moral. Lequel, Monsieur de Mesmaeker le sait bien, ne vaut pas tripette face à la liberté commerciale d’exploiter un contrat signé en bonne et due forme.
Au final, faut pas oublier que ce sont les éditeurs qui vendent les livres. Et les auteurs, comme les ayants droit, sont ravis que les volumes se portent bien.
ActuaLitté : Et ça vous plaît, ça ? Je croyais que vous aviez un peu plus que ça de respect pour les auteurs…
Monsieur Morris : Les auteurs, oui. Les héritiers, faut pas charrier. Dans la BD, ce sont des gestionnaires financiers incapables de poursuivre l’œuvre dont ils ont la gérance : ils bloquent la liberté de créer des autres. Dès qu’ils montent au créneau, c’est au nom de la fidélité, de la pureté, du respect… Et mon Cu-bitus, c’est du poulet ?
Si on avait pensé comme ça, Franquin n’aurait jamais dessiné les albums majeurs de Spirou et Fantasio, dont il n’était pas le créateur ! Mais avec quel talent il te me les as fait vivre ! Sans compter le clin d’œil admirable et certainement fortuit quand il imagine ce nouveau personnage : le Marsupilami, dans Spirou… et les héritiers !!!
Note : les récits de la bestiole ont été prolongés bien après la mort dudit Franquin, sans que personne ne moufte. Alors que pour Gaston, ils sont vent debout. Comme quoi, tout n’est pas noir ou blanc, c’est parfois jaune tacheté de noir, avec une très très longue queue...
ActuaLitté : Merci, merci, Monsieur Morris, on a bien compris. Vous voilà donc chantre de la libre circulation des biens et des idées, défenseur des creative commons, en d’autres mots.
Monsieur Morris : Nan gamin, tu n’y es pas du tout : ce que je te dis et que je te répète, c’est que tant qu’il y a des lecteurs enthousiastes et des éditeurs prêts à financer les albums, c’est idiot de les priver de personnages devenus mythiques – sous réserve de confier le projet à des gens brillants, créatifs et aussi, peut être, évitant de faire perdre leur âme à ces héros....
Faut-il rappeler que ce n’est pas Lambil qui a imaginé les Tuniques Bleues ? Il a repris les personnages à la demande de l’éditeur, lui aussi. Et je te parie 7 boules de cristal que Milou et Tintin n’ont pas dit leur dernier mot.
ActuaLitté : Ah, là, vous jouez Nostradamus et Madame Soleil, Monsieur Morris !
Monsieur Morris : Mais, moi, je l’attends impatiemment, ce récit de Tintin trouvant Milou à la SPA, ou la première cuite d’Haddock lors d’une partie de pêche à l’aiglefin. Et les péripéties de Tryphon Tournesol balançant son pendule sur Tinder pour dénicher des étudiantes de fac...
À quand Blake et Mortimer au hammam, qui sortent du placard ? Ces deux-là n’attendent que ça depuis tant de planches ! Et nous aussi...
De manière générale, moi, tout ce que je dis, c’est qu’il faut donner au public ce dont il rêve. Astérix qui avoue être asexuel, Titeuf qui vieillit, fugue et tombe dans le crack avec Lou, croisée dans un squat de la place Stalingrad, Corto Maltese octogénaire, vieux pirate prêt à tout pour se faire un peu de blé...
ActuaLitté : Il y a des auteurs qui vont se retourner dans leur tombe…
Monsieur Morris : C’est parfait, ça aère et accélère la décomposition : Pierre Tombal te le confirmera : faut remuer les dépouilles, pour éviter que les Walking Déadeu…
ActuaLitté : Pardon, les quoi ? Ah, Walking Dead ?
Monsieur Morris : Rho, tu m’agaces ! Pour éviter que les Morts qui marchent ne sortent en piètre état du Père-Lachaise.
Crois-moi : il est temps que la BD entre de plain-pied dans le XXIe siècle. Les ficelles du succès aujourd’hui, on les connaît, Netflix les exploite à toutes les sauces. Du cul, de la violence, de la défonce et des images choquantes dès le tout début de l’histoire.
Du coup, si on regarde de près le dernier Astérix, le nouvel album de Gaston, les reprises de XIII, de Spirou et toutes les autres, c’est très gentillet : il y a encore du chemin à parcourir pour décupler les ventes et rendre les lecteurs accros.
Les reprises actuelles des héros de notre enfance, je ne dirais pas que c’est un échec : ça n’a pas marché. Au boulot les gars, on veut que ça saigne !
ActuaLitté : Que ça saigne et que ça grince, on l’aura bien compris. Un grand merci, Monsieur Morris ! et joyeuse année à vous !
Crédits photo : Mollie Sivaram / Unsplash
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Lemanovitch
26/01/2024 à 09:20
J’adore ces chroniques décalées qui sous couvert de l’humour font des remarques très justes sur nos pratiques de société. L’humour et l’ironie la décriptent et à la fois sont nos derniers refuges pour la supporter.
Team ActuaLitté
26/01/2024 à 12:40
Merci beaucoup !
C'est un rendez-vous auquel nous tenons énormément, en dépit du temps qu'il demande pour sa conception.
Heureux de savoir qu'il plait !
Abbé Auvé
08/03/2024 à 09:49
Vous oubliez le cinquième ingrédient: un casting aberrant, dans certains cas tellement aberrant qu'il détruit les personnages et affecte la cohérence de la narration. C'est quelque chose qui ne concerne pas seulement Netflix, mais tout le cinéma américain.
Exemples:
Death Note (casting racialisé mais raciste: aucun acteur japonais ou asiatique à l'affiche),
Aeon Flux (acteurs au physique trop mou, alors que les deux personnages principaux de la série d'animation sont construits autour de leur physique particulier),
Valérian (un film français, mais je crois que ce sont les investisseurs américains qui ont imposé les premiers rôles: deux acteurs à la tronche de gosses de riches méprisants et perpétuellement irrités, aux antipodes des personnages sympathiques de la BD française).
Soit on adapte, soit on écrit autre chose. C'est vrai que pour créer une histoire il faut du talent, alors que dénaturer une histoire déjà écrite est à la portée de tout le monde.