Il y a dix ans, le musée du Quai Branly ouvrait ses portes. Cet espace consacré aux arts et civilisations d'Afrique, d'Asie, d'Océanie et des Amériques situé dans le 7ème arrondissement de Paris a vu le jour grâce à Jacques Chirac qui porta longtemps ce projet. Conçu par Jean Nouvel, ce musée fut inauguré le 20 juin 2016.
Le 03/03/2016 à 02:21 par Max Voirent
Publié le :
03/03/2016 à 02:21
En 2013, cet établissement a franchi le cap des 10 millions de visiteurs depuis son ouverture. En 2014, la fréquentation s’est élevée à 1 5 00 000 visiteurs.
Pour fêter ces dix années d’existence, le musée du Quai Branly a concocté une programmation spéciale sur 2016. Rencontre avec son actuel président, Stéphane Martin.
« Le musée du quai Branly fêtera ses 10 ans en 2016. Quelles sont les raisons de son succès ?
Cette réussite est liée, me semble-t-il, à son ambition première : légitimer des arts et civilisations trop longtemps méprisés et instaurer ainsi un véritable dialogue entre les cultures. Le musée du quai Branly est venu combler un manque, répondre à une attente du public. Sa collection, qui témoigne du génie des civilisations non occidentales, intrigue autant qu’elle fascine. Et pour toucher tous les visiteurs, quels que soient leurs centres d’intérêts et leurs connaissances, nous proposons une large gamme d’expositions, spectacles, événements, sans oublier les conférences, colloques, université populaire… En 10 ans le musée a réussi à imposer un modèle singulier : celui d’un musée universel, d’une « cité culturelle» dédiée aux arts et civilisations d’Afrique, d’Asie, d’Océanie et des Amériques.
Les expositions temporaires sont toujours variées et parfois surprenantes. Comment effectuez-vous votre programmation ?
Nous privilégions la diversité des approches et des domaines d’exploration : histoire des grandes civilisations, des arts non occidentaux, des imaginaires, mais aussi mise en valeur de la création contemporaine et des collections du musée, en complément du plateau des collections permanentes. L’objectif est de susciter de nouvelles dé- couvertes et émotions grâce à une programmation éclectique, portée par des personnalités d’horizons et de formations diverses. En 10 ans, nous avons présenté 97 expositions temporaires, conçues par 134 commissaires différents. Plus de la moitié des visiteurs qui passent les portes du musée viennent voir une exposition temporaire. Il est donc indispensable de renouveler nos propositions, de privilégier la multiplicité des regards. Les points de vue et thématiques autour d’une même région du monde peuvent être très divers. Il est à mon sens très important de conserver cette diversité, en proposant des sujets qui relèvent de la culture populaire, tels que Tiki Pop et Tarzan !, ou qui abordent des sujets plus pointus, tels que la céramique Lapita, le chamanisme précolombien ou encore l’art néo-tantrique.
L’architecture de Jean Nouvel contribue au rayonnement du musée. Comment évolue-t-elle ?
Son projet architectural repose sur des vocabulaires non occidentaux, qui renouvellent les codes traditionnels des musées. Il conserve aujourd’hui encore toute son originalité et sa modernité. J’aime qualifier cette architecture d’ «heureuse» tant elle correspond aux attentes et aux usages des équipes et des visiteurs du musée. Dix ans après les débats liés à l’ouverture, il est important de rappeler que les études de public menées depuis l’ouverture du musée démontrent que Jean Nouvel a fait le bon choix muséographique. Aujourd’hui, la plupart des gens ne visitent plus un musée sans avoir en tête des images d’autres cultures, sans avoir vu un documentaire sur des Indiens d’Amazonie, sur les Aborigènes d’Australie ou sur l’histoire de grandes civilisations. Afin de mieux répondre à ces exigences croissantes, nous avons fait un choix muséographique différent, qui permet d’appréhender autrement la diversité des cultures. Et notre public adhère pleinement à cette proposition.
Depuis son ouverture, quels sont les grands changements au musée du quai Branly ?
De nouveaux espaces ont été créés afin d’enrichir l’offre culturelle et scientifique du musée. Nous avons créé un abri de jardin, en collaboration avec les Ateliers Jean Nouvel, pour améliorer le confort et l’accueil des visiteurs. Deux nouveaux espaces d’expositions ont également été inaugurés au cœur des collections permanentes : l’Atelier Martine Aublet accueille trois fois par an des installations inédites ; la Boîte arts graphiques propose quatre accrochages par an qui permettent de valoriser les collections d’arts graphiques et de photographies conservées au musée, et qui sont parmi les moins connues du public. Afin de faciliter le travail des équipes scientifiques du musée, des chercheurs et des étudiants, nous avons créé une Muséothèque, un espace de consultation des œuvres situé dans les réserves. Le musée s’est également doté de deux nouvelles salles d’anoxie. Cette installation unique au monde nous permet de traiter in situ toutes les œuvres du musée qui sortent ou entrent dans les réserves. Ces nouveaux dispositifs nous permettent de développer notre mission de conservation, d’étude, de mise en valeur et de diffusion des 300000 œuvres et 710000 photographies dont nous avons la garde.
En dix ans, le musée s’est imposé comme un centre de recherche scientifique et d’enseignement reconnu internationalement. Quelle est sa spécificité dans le paysage de la recherche ?
Depuis les années 50, il n’y avait plus de recherche en ethnologie dans les musées français, plus de recherche en lien avec les collections. Le musée a donc souhaité relever un défi d’envergure : rapprocher le monde muséal et celui de la recherche. En seulement 10 ans, les équipes du musée ont réussi à instaurer une véritable dynamique de recherche et d’enseignement, à mettre en place un réseau d’échanges et de partenariats avec de grandes institutions scientifiques et des établissements d’enseignement supérieur, en France et à l’international. Dans les années à venir, nous souhaitons continuer à faciliter les échanges entre chercheurs et nouer des relations durables avec d’autres institutions, notamment en participant à des «Laboratoires d’Excellence» ou en se rapprochant de certains «Groupements d’intérêts scientifiques », entités collaboratives imaginées par le CNRS. En septembre 2016, un colloque international intitulé «La place des musées d’anthropologie dans le monde de la recherche» sera l’occasion de formuler de nouvelles pistes de réflexion.
Qui sont les visiteurs du musée ?
La grande majorité d’entre eux sont français, avec une très forte proportion de visiteurs de régions pendant les vacances scolaires. Ma plus grande fierté est le taux de retour de nos visiteurs : plus de la moitié n’en sont pas à leur première visite et 78% d’entre eux disent avoir l’intention de revenir les prochains mois. Le musée du quai Branly tient désormais une place incontestable dans le paysage culturel et scientifique. L’une de ses forces, à mon avis, est de proposer une approche philosophique et idéologique très ouverte, mais également de diversifier la programmation proposée aux visiteurs. L’indice de satisfaction, stable à 95% depuis 2006, prouve que le musée correspond bien à l’espace d’échanges et de dialogue que le public recherche.
Comment évolue la fréquentation ?
La fréquentation du musée est stable depuis l’ouverture, avec une moyenne de 1,4 million de visiteurs par an. Nous accueillerons notre 14 millionième visiteur au printemps 2016. Nous ne pourrons accroître de façon exponentielle la fréquentation, car les espaces du musée ne peuvent accueillir que 1,7 million de visiteurs par an. Actuellement, nous sommes très proches d’une fréquentation idéale, qui respecte à la fois le confort des visiteurs et ne met pas les œuvres en danger.
Quel est le projet du musée du quai Branly pour les années à venir ?
Depuis son ouverture, une place centrale est accordée aux visiteurs, à leurs besoins, leurs questions, leur imaginaire. Le musée doit rester à l’écoute du public, tout en continuant de le surprendre par la multiplicité des expériences qu’il lui offre. Plus qu’un lieu de visite, il doit être perçu comme un lieu de dialogue et d’apprentissage, un lieu adapté à chacun, que l’on construit et qui nous construit. Nous désirons aussi échanger davantage avec les institutions culturelles et scientifiques françaises et internationales. Ces engagements seront les lignes de force des années à venir. En ces temps troublés, le musée du quai Branly doit rester plus que jamais un lieu de dialogue et d’ouverture aux autres. »
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Timothy Brown)
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