Malgré la fronde conduite par de nombreux syndicats enseignants durant ces dernières semaines (voir notre article), la réforme du collège unique a été adoptée à une large majorité (51 pour, 25 contre, 1 abstention) par le Conseil supérieur de l’éducation (CSE) qui siégeait vendredi 10 avril 2015.
Le 13/04/2015 à 00:03 par Victor De Sepausy
Publié le :
13/04/2015 à 00:03
La ministre de l’Education nationale a pris la parole devant la presse dès cette annonce pour exprimer sa satisfaction mais aussi son assurance d’avoir œuvré, en menant à bien ce texte, à une meilleure réussite des élèves. Avec cette réforme, trois objectifs seront atteints, selon Najat Vallaud-Belkacem :
« - Nous renforçons l’acquisition des savoirs fondamentaux en combinant des apprentissages théoriques et pratiques, à travers un nouveau socle et des programmes pensés pour garantir la maîtrise du français, des mathématiques, de l’histoire ; une grille horaire qui ne pénalise aucune matière ; et enfin des nouvelles pratiques pédagogiques, à travers les enseignements pratiques interdisciplinaires, pour que les élèves s’approprient mieux les connaissances.
- Nous tenons compte des spécificités de chaque élève pour permettre à chacun de réussir, à travers un accompagnement personnalisé de 3 heures en 6e, et d’au moins une heure en 5e, 4e, 3e. Des heures pour le travail en groupes à effectifs réduits et des interventions conjointes de plusieurs enseignants sont garanties : ainsi pour un établissement de 500 élèves, ce sont 60 heures qui y sont dédiées. La réforme s'accompagne à cet effet de 4 000 équivalents temps plein.
- Nous donnons aux collégiens de nouvelles compétences adaptées au monde actuel : l’apprentissage des langues vivantes est renforcé avec l’enseignement de la LV1 dès le CP et de la LV2 dès la 5e. Au total, ce sont 54 heures supplémentaires qui sont consacrées à l’ensemble de la LV2 sur l’ensemble de la scolarité au collège. »
Si les syndicats enseignants réformistes que sont les SGEN-CFDT et le SE-Unsa ont salué la nouvelle, les autres forces représentatives des personnels sont vent debout contre un texte qu’ils jugent bien dérisoire, voire aberrant par rapport à la situation du collège unique.
Pour le SE-Unsa, le CSE « a adhéré aux principes qui sous-tendent la réforme : plus de moyens pour TOUS les élèves plutôt que de les réserver à quelques uns, plus de liberté pédagogique et d'espaces d'initiative pour TOUTES les équipes, plus de diversité des modalités d'enseignement pour accrocher davantage d'élèves. »
De son côté, Roland Hubert, cosecrétaire général du SNES-FSU, a tenu à préciser qu’ « en quittant les discussions sur le projet ministériel de réforme du collège, le SNES-FSU entendait marquer le refus exprimé par la grande majorité des personnels d’enseignement, d’éducation et d’orientation des axes de ce projet. Il a demandé, avec l’intersyndicale du second degré qui représente 80% des personnels, la reprise des discussions sur d’autres bases. »
Et de s’interroger sur la suite : « Le silence de la Ministre au Conseil supérieur de l’éducation sur les questions que nous avons posées et son absence de réponse à notre demande de permettre l’expression des personnels sur un projet qui touche au cœur de leurs métiers indiquent-ils le choix de l’affrontement ? »
Au SNALC-FGAF, syndicat qui propose un tout autre projet de réforme, le « collège modulaire », c’est une lettre adressée à la ministre qui a été rédigée après le vote du CSE, avec un appel à la grève lancé pour ce lundi 13 mai :
« Votre ‘entourage’ a présenté notre organisation comme n'ayant qu'un souhait : « que le collège reste tel qu'il est aujourd'hui, pour sauvegarder le tri des élèves à l'ancienne ».
Nous tenons à vous rappeler, Madame la Ministre, que voilà deux ans que le SNALC-FGAF a conçu un projet alternatif, le Collège Modulaire, dont nous vous avons d'ailleurs remis un exemplaire en mains propres il y a quelques mois. Ce projet modifie en profondeur l'architecture du collège, et permet d'apporter plus à ceux qui ont moins, afin justement de donner au maximum les mêmes chances à des élèves dont on sait parfaitement qu'ils n'ont pas pris le départ de la course sur la même ligne. Les établissements qui expérimentent actuellement des fonctionnements inspirés de ce projet nous font des retours positifs. Il est dommage que votre ministère n'ait pas prêté davantage d'intérêt à la voie que nous vous proposions, et ait préféré poursuivre dans celle qui est immanquablement la sienne : autonomie des établissements, attaques contre les disciplines, pédagogie de projet imposée et tutti quanti.
Madame la Ministre, cette réforme, nous la connaissons, car c'est toujours la même. La façon de la présenter varie certes, mais les ingrédients ne changent pas. Notre institution est bloquée depuis de trop longues années sur le même prisme idéologique, sur les mêmes recettes miracles, sur les mêmes formules toutes faites et surtout sur la même forme de communication : le miracle de l'innovation face au vilain corporatisme, le superbe projet d'ensemble qui ne fonctionne pas car les personnels ne l'ont pas compris ou ne l'appliquent pas comme il aurait fallu, le « si ça n'a pas marché, c'est parce qu'on n'est pas allé assez loin », etc.
Cette réforme, on nous l'a déjà imposée dans les lycées, on cherche à nous l'imposer en collège, on compte bien nous l'imposer dans les programmes de primaire et de collège, dans les SEGPA, partout.
Cette réforme, Madame la Ministre, les personnels n'en veulent pas. Non pas parce qu'ils seraient corporatistes, réactionnaires et fossilisés et que leur unique but dans la vie serait d'ennuyer leurs élèves, mais bien parce qu'ils en connaissent les effets, et que ces effets sont néfastes pour les élèves comme pour les collègues. Cette réforme accroît les inégalités qu'elle prétend résorber. Sous prétexte d'autonomie, elle met à mort la liberté pédagogique.
Le SNALC-FGAF vous invite donc, Madame la Ministre, à changer d'avis (il en est encore temps). Osez une réforme vraiment innovante et qui permettra enfin une meilleure maîtrise des connaissances fondamentales par tous les élèves. Ne laissez pas faire les réactionnaires corporatistes fossilisés de votre ministère. »
Ménager la chèvre et le chou
Il n’en demeure pas moins que, face à cette énième réforme, il ne faut pas se bercer d’illusions. Le texte présenté aux syndicats enseignants avant adoption n’avait rien à voir avec un projet ambitieux remettant véritablement à plat le fonctionnement du collège unique afin de créer un système véritablement efficace.
On peut le regretter mais ce n’était certainement pas l’ordre de mission qu’avait reçu Najat Vallaud-Belkacem en arrivant au sein du ministère de l’Education nationale. A l’image de ce qui s’est joué autour du calendrier scolaire des trois prochaines années (voir notre article), la ministre est d’abord là pour ménager la chèvre et le chou.
C’est d’ailleurs ce que tente de faire le projet de réforme du collège en mettant un peu plus de transdisciplinarité et de travaux en équipe sur la base de projet, tout en gardant à peu près la même place aux différents disciplines. Une équation presque impossible à résoudre normalement.
Le collège unique : le maillon faible du système scolaire français
L’idée était certainement de tenter de concilier tout le monde en proposant un projet fourre-tout. Mais les échanges ont rapidement dégénéré car le collège unique échoue gravement dans ses missions et tous les enseignants le reconnaissent comme, de façon logique, tous leurs syndicats.
Et tous les acteurs du monde de l’éducation souhaitaient un projet ambitieux qui apporte vraiment une réponse au problème de l’hétérogénéité du collège qui n’a d’unique que le nom. Dire que l’on va continuer de proposer à chaque élève ce dont il a besoin dans un cadre qui reste celui du groupe classe, ce n’est pas faire autre chose que mentir.
Ce n’est donc pas demain que l’ascenseur social va se remettre à fonctionner. Et l’école n’est pas près de retrouver du crédit auprès des couches populaires qui ne croient plus du tout à l’intérêt d’investir dans la réussite scolaire.
(Crédits photos : CC BY SA 2.0 - jubarrier)
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