Au sein de l’espace Savoir & Connaissances du Salon du Livre de Paris, dont nous sommes partenaires, se déroulait, samedi 21 mars une conférence sur la problématique suivante : « Vers une science ouverte : quels impacts sur la publication scientifique ? »
Le 21/03/2015 à 18:06 par Victor De Sepausy
Publié le :
21/03/2015 à 18:06
Ce fut l’occasion de réunir autour de la table Alain Abécassis (du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche), Yves Ducq (professeur à l’Université de Bordeaux), Renaud Fabre (CNRS), Claude Kirchner (INRIA), Jacques Lafait (Université Pierre-et-Marie-Curie), Marc Minon (fondateur de Cairn info) et Jean-Marc Quilbé (EDP Sciences). Le tout animé par Michel Vajou.
Avec l’émergence progressive d’Internet, le système même de publication et de validation de la recherche scientifique via des revues privées dédiées est profondément remis en cause. L’open access commence à se faire une place, bouleversant au passage l’économie et le fonctionnement particulier de ce microcosme.
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Savoirs & Connaissances)
Le système de la publication scientifique remis en cause
Mais ce renouvellement impose des interrogations encore plus vastes, allant jusqu’à proposer de nouveaux modèles de publication et de certification des résultats de la recherche scientifique. La question de l’évaluation des travaux des chercheurs est aussi posée différemment. Le fait de publier le plus grand nombre d’articles possible pour se faire une place parmi ses confrères commencent à être remis en cause.
Cette dictature de la quantité au mépris de la qualité perd un peu de son sens. Et l’open access pourrait avoir finalement beaucoup d’effets vertueux sur la recherche scientifique en poussant l’ensemble des institutions à gagner en efficience.
Pour Alain Abécassis, avec le développement de la science ouverte et du numérique, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche doit faire face à deux problématiques :
- Retrouver la maîtrise de la communauté scientifique sur la diffusion de la connaissance ;
- Garantir un équilibre et une biodiversité entre les différents modèles de diffusion de la connaissance.
La publication des informations scientifiques doit rester maîtrisée par les chercheurs qui actuellement voient leur système de validation déstabilisé. C’est le même problème pour les éditeurs scientifiques privés. Un rééquilibrage doit aussi se faire dans le dialogue entre les chercheurs et les éditeurs, au bénéfice des chercheurs pour Alain Abécassis.
Préserver une biodiversité est une nécessité. Un accès ouvert aux avancées de la recherche, pour rendre accessible à tous les données, constitue une révolution tout à fait souhaitable, surtout quand on garde à l’esprit qu’une grande partie de la recherche en France reste financée par l’Etat. Mais, en même temps, les éditeurs ont fait des efforts considérables pour adapter leur modèle afin de rendre beaucoup plus accessible les travaux des chercheurs.
Alors, dans ce contexte, comment préserver cette biodiversité éditoriale ? Offrir des infrastructures communes, avec des archives ouvertes par exemple constitue une solution. Créer une bibliothèque scientifique numérique en est une autre. Mais, tout cela reste encore de l'ordre de l'expérimentation. Cependant, pour ce qui est de la diffusion de la connaissance, le dernier mot est toujours à laisser aux chercheurs.
Le processus classique de publication d’un article scientifique
Jacques Lafait, directeur de recherche au CNRS, a tenu à rappeler le processus suivi par un article, de sa rédaction par un chercheur jusqu’à sa publication dans une revue scientifique. Un chercheur cherche et a ensuite pour mission de publier les résultats de ses recherches.
Le processus d’édition d’un article scientifique suit toujours le même cours. Le chercheur envoie son article à un éditeur scientifique qui doit faire évaluer la portée scientifique de l’article par d’autres experts. S’installe un échange entre ces différentes personnes pour améliorer l’article ou pour arriver à un refus de publication.
Une fois que l’article est accepté, l’auteur cède ses droits d’auteur à l’éditeur scientifique qui publie l’article dans une revue accessible sur abonnement. Toutes les personnes intéressées pourront accéder à cet article, notamment via les bibliothèques qui sont abonnées à cette revue. Cependant, la diffusion reste dans ce cadre assez mesurée.
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Savoirs & Connaissances)
Une édition scientifique trop gourmande en profits
Jusque dans les années 90, c’est ce processus qui est en œuvre. Mais, progressivement, l’édition scientifique a connu une crise, avec, en parallèle, l’émergence d’Internet. Les gros éditeurs scientifiques ont perdu l’angle qualitatif pour gagner toujours davantage de rentabilité. Les revues se sont progressivement constituées en grands groupes qui cumulent des dizaines de titres scientifiques.
Cela a conduit à modifier la politique éditoriale, avec une obligation de rentabilité. Ces groupes connaissent d’importantes marges avec des tarifs d’abonnement qui, dans le même temps, ont considérablement augmenté. En bout de chaîne, les bibliothèques ont du mal à continuer à s’abonner.
La naissance de l’open access
Donc un besoin de solutions alternatives existe. Des bases de données ont progressivement vu le jour. En 1991, les premières archives ouvertes se mettent en place aux Etats-Unis. De même en France avec les Archive ouverte HAL. L’open access naît ainsi petit à petit. La possibilité donnée à un lecteur lambda d’accéder aux publications scientifiques et ce gratuitement constitue une révolution plus que souhaitable.
Ce mouvement est né de l’idée aussi que le savoir scientifique est un bien qui, si on le donne, on le divulgue, va favoriser l’essor de l’innovation. Les entreprises s’en servent notamment pour développer de nouveaux produits. Plus le savoir se diffuse et plus mécaniquement le savoir se développe
Deux possibilités existent aujourd’hui : le partage direct de l’article dans sa version première, avec une accessibilité à tous (version appelée « green »). Ou, l’ouverture gratuite de l’article dans sa version retravaillée par l’éditeur scientifique (version « gold »).
Les éditeurs scientifiques reconfigurent leurs offres
Mais cette dernière solution a un coût non négligeable par article, le tout financé par l'Etat. C’est aussi une façon pour les grands groupes de l’édition scientifique de se réapproprier l’open access. Mais d’autres modèles existent avec un achat des articles par la puissance publique pour les rendre accessibles au coût réel pour le travail d’édition réalisé par les revues.
Aujourd’hui, de nombreuses bibliothèques n’ont pas les moyens d’assurer un abonnement à toutes les revues scientifiques. Pour Jean-Marc Quilbé, éditeur, l’édition scientifique va profondément devoir se remodeler dans les prochaines années.
Si le texte pourra être donné gratuitement, il y aura une complexification dans l’accès aux données qui ont permis l’écriture de l’article. Le modèle économique sera de moins en moins dépendant des abonnements. Déjà d’ailleurs les institutions se regroupent pour payer moins d’abonnements. Dans ce cadre, il sera nécessaire de soutenir les petits groupes d’édition scientifique, sans quoi ils ne passeront pas ce cap.
Les éditeurs scientifiques vont devoir diversifier leur offre, en développant toute une palette de services proposés aux auteurs pour les aider à assurer de meilleures publications (traduction…)
Avec Internet, tout le monde peut publier sans contrôle scientifique
Pour Claude Kirchner de l’INRIA, aujourd’hui, tout le monde peut publier des articles de qualité…ou pas d’ailleurs. C’est pourquoi la communauté scientifique doit garder la main pour qualifier les publications : est-ce que c’est un article qui apporte quelque chose, qui est étayé ?... Il faut pouvoir certifier chaque publication.
On confond trop souvent publication certifiée (ce que font les revues) et simple publication. Il faut séparer publication et certification. Avec le CNRS, il y a à présent la création d’archives ouvertes (HAL), avec le Centre pour la Communication Scientifique Directe (CCSD). Ces archives ouvertes permettent le dépôt de n’importe quel article. Ensuite, le contenu est validé. Dans le même temps, il faut tenir compte du fait que les publications se complexifient : cela peut être du texte, de la vidéo, des images, des objets…
A partir de ces archives ouvertes, on peut proposer des services, notamment de validation scientifique avec des comités éditoriaux. Deuxième service qui devrait voir le jour : un réseau social scientifique pour échanger autour des publications.
Yves Ducq a tenu à rappeler qu’aujourd’hui le chercheur publie pour être évalué (par son établissement, par ses collègues…). Mais à l’avenir, selon Marc Minon le processus de publication se développera : on en saura davantage sur ce qui a précédé cette publication et sur ce qui la suivra. Ce seront aussi des publications dans lesquelles on pourra mener plus facilement des recherches. Elles seront plus accessibles et donc aussi plus facilement évaluables.
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Savoirs & Connaissances)
La difficile place des sciences humaines dans les publications scientifiques
Les sciences humaines restent les sciences pauvres dans les universités et dans les grands programmes de recherche. En sciences humaines, l’article n’est qu’une façon parmi d’autres de donner corps à une recherche. D’autre part, la limite est difficile à établir entre publications scientifiques et publications grand public : les chercheurs en sciences humaines cherchent aussi plus souvent à interroger la société civile.
Dans le domaine des sciences humaines, les revues scientifiques ne font pas partie de grands groupes qui possèdent des centaines de revues. L’équilibre économique est très fragile. Il n’y a pas du tout les mêmes marges.
Selon Jean-Marc Quilbé, l’open access « gold » démarre très lentement en France. Cela fonctionne davantage en Angleterre. Il faut tenir compte du fait qu’une revue en open access n’attirera pas les grands noms de la recherche dans un premier temps. L’éditeur gagne moins avec ce type de revue. Il en résulte que les petits éditeurs auront du mal à passer ce bouleversement.
La révolution de l'open access
Pour Claude Kirchner, il faut garder à l’esprit ce qu’est l’économie de la connaissance. Si un astronome avait besoin avant d’un télescope, aujourd’hui, il a besoin d’un télescope numérique pour pouvoir travailler, afin de savoir qui travaille sur le même sujet par exemple. Il doit aussi avoir connaissance des articles importants qui ont été faits sur la question qu’il traite.
Pour construire de nouvelles connaissances, il faut un accès sûr à toutes ces données. Dans ce cadre, il faut reconnaître la valeur ajoutée apportée par tous les acteurs de l’économie de la connaissance, de la puissance publique aux éditeurs privés en passant par les chercheurs bien sûr. Actuellement, le CNRS travaille à l’élaboration de normes communes à l’échelle internationale en matière de publication scientifique.
Une publication scientifique qui doit encore gagner en efficience
Quant aux investissements nécessaires, pour l’instant, l’argent public n’est pas employé de façon optimale pour Claude Kirchner. La façon de gérer la connaissance doit être repensée afin d’être plus efficace. Le rendement de l’édition scientifique est de l’ordre de 30 %, c’est-à-dire que les éditeurs acceptent 30 % des articles qu’on leur propose, alors qu’il y a tout de même plus de 24 000 revues. Le process global de publication doit donc gagner en qualité car, finalement ce rendement est assez faible. Il faut arriver à augmenter la qualité des publications, quitte à en baisser le nombre.
Plus les connaissances sont partagées, plus elles s’accroissent. Il y a une dynamique vertueuse dans ce système. Les plateformes de publication ont un coût presque nul, donc il y a des gains de possibilité de partage considérables. Un gain d’efficience donc mais, pour cela, pas forcément besoin de plus de crédits publics.
Il faut basculer d’un fonctionnement sur abonnement, à la vente au numéro, à l’open access. Pour la puissance publique, le passage à l’open access va coûter beaucoup aux pays qui publient massivement aujourd’hui et peu aux pays émergents qui ne publient que peu.
Pour gagner en efficience dans la publication scientifique, il faut changer de modèle sur l’évaluation des chercheurs afin que ce ne soit plus simplement le nombre de publications qui fasse la notoriété d’un chercheur. A l'heure de l’open access, c’est par exemple l’interaction que peut produire la publication d’un article qui pourrait servir à son évaluation.
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Mars P.)
Commenter cet article