La FEVAD vient donc de se fendre d'un communiqué, réclamant que les pouvoirs publics prennent conscience des risques qu'entraînerait « la création d'un nouvel impôt sur la consommation des ménages en ligne ». Cette idée, avancée par le sénateur Marini, déjà auteur de plusieurs propositions similaires, note la FEVAD, pourrait tout aussi bien être rejetées que les précédentes.
Le 30/06/2012 à 20:19 par Clément Solym
Publié le :
30/06/2012 à 20:19
La Fédération du e-commerce et de la vente à distance souhaite en effet rappeler quelques éléments qui infléchiraient probablement les pouvoirs publics, invitant « le gouvernement et les parlementaires à rejeter la création de cette taxe, fondée sur une analyse erronée de la situation des entreprises françaises et qui ralentira très sérieusement le développement du e-commerce, là où il convient au contraire d'accompagner son développement afin de lui permettre de contribuer au redressement productif». On croirait du Montebourg...
De ces bonnes volontés...
Le sénateur Philippe Marini a en effet assuré le 28 mai son intention de présenter pour le collectif budgétaire de juillet une modification de la fiscalité, qui n'est finalement qu'une remise au goût du jour de la ‘taxe Google'. Et il s'agit bien de s'aligner sur le projet américain en mettant en place une taxation des surfaces commerciales, ou Tascom. « Les phénomènes de distorsion de concurrence et les stratégies d'optimisation fiscale des grands groupes de l'Internet sont de plus en plus dénoncés parmi les acteurs et professionnels de l'économie numérique », note avec justesse le sénateur. Peu après l'installation annoncée en grande pompe d'Amazon en Bourgogne, voilà qui sonnerait assez juste.
Crédit photo TaxCredits.net
Or, le monde du livre le sait : la vente en ligne d'ouvrages grandit. Internet représentait en effet 10,5 % des ventes de livres neufs sur l'année 2011, rapportait Ipsos, dans on étude de février dernier. Et justement, voilà que l'idée de créer une taxe sur les ventes en ligne avait fleuri durant la campagne de François Hollande, avancée par l'actuelle ministre de la Culture, Aurélie Filippetti. La suggestion est probablement inspirée de ce que les États-Unis mettaient en place une taxation du e-commerce en février dernier, arguant qu'il ne s'agissait pas là d'une nouvelle taxe, mais bien de la perception d'une taxe qui n'était jusqu'à lors pas collectée, du fait de jeux d'optimisations fiscales diverses. (voir notre actualitté)
Voici le déroulé des arguments :
Un nouvel impôt sur la consommation des ménages et contre le pouvoir d'achat
Cette nouvelle taxe va peser directement sur les 31 millions de français qui achètent en ligne. Les marges étant particulièrement faibles sur Internet, les sites n'auront d'autre choix que de répercuter cette taxe supplémentaire sur les prix. Alors que le gouvernement cherche à redonner du pouvoir d'achat aux Français, cette taxe va frapper de plein fouet des millions de ménages notamment parmi les plus modestes d'entre eux qui utilisent internet pour trouver les prix les plus attractifs. Cette nouvelle taxe va donc impacter directement le pouvoir d'achat de certains ménages et freiner leur consommation.
Un frein au développement de l'emploi et des investissements en France
La France est aujourd'hui un des pays d'Europe à la pointe en matière de e- commerce. Les entreprises françaises et étrangères investissent des moyens importants afin de répondre aux attentes des consommateurs en matière d'achat sur internet. Entre 2006 et 2009, la moitié des emplois dans le commerce en France l'ontété dans le e-commerce. Le secteur des ventes sur internet est l'un des rares secteurs dans lequel l'emploi ait fortement progressé en 2011.
La création de cette taxe, unique en Europe, aura pour effet de décourager les investissements et de ralentir la création d'emplois dans le secteur. Par ailleurs, cette taxe risque, une fois de plus, de peser sur les seules entreprises implantées en France.
Une taxe fondée sur une analyse approximative du secteur du e-commerce
La création de cette nouvelle taxe repose sur l'idée que les sites internet bénéficient d'une forte croissance de leur activité qui leur permettrait de supporter cette nouvelle charge fiscale. Or, selon une récente étude, près d'un site e-commerce sur cinq n'a pas encore atteint le seuil de rentabilité. Cette situation s'explique notamment par les investissements importants auxquels doivent faire face les sites e-commerce afin de répondre aux attentes de la clientèle et à une concurrence de plus en plus importante sur internet.
La création de cette taxe aurait donc pour effet de fragiliser la situation financière de nombreuses entreprises françaises, notamment parmi les PME que les pouvoirs publics souhaitent développer, et d'hypothéquer ainsi leur formidable potentiel sur le plan de l'emploi et de l'activité économique.
Une taxe supposée rétablir l'équité fiscale entre le commerce et le e-commerce et pourtant rejetée par l'ensemble du commerce
Selon le Sénateur Marini, cette taxe permettrait de rétablir l'équité fiscale entre le commerce physique et le commerce en ligne. Or, le Conseil du Commerce de France qui regroupe l'ensemble des acteurs du commerce, a pris ouvertement position contre cette taxe, à différentes reprises. Dans son livre blanc sur la fiscalité, le Conseil du Commerce de France rappelait à propos de la TASCOE : « La récente volonté du législateur de taxer le commerce électronique suscite de nombreuses inquiétudes. Le commerce en ligne est une évolution naturelle du commerce et de nombreuses entreprises se lancent sur ce nouveau canal de distribution pour accroître leur activité ».
On le comprend, les professionnels de la vente en ligne lèvent donc les boucliers, pour dénoncer des effets contre-productifs qu'une taxation engendrerait immanquablement sur les services de commerce électronique « TASCOE ».
... dont on a pavé depuis longtemps l'enfer
A l'occasion du Salon du livre de Paris, était revenue l'idée de cette taxe. « Nous réfléchissons à la possibilité de mettre à contribution les sociétés comme Amazon qui ne vendent qu'en ligne. Elles ne peuvent avoir le même traitement que des libraires ou des disquaires qui ont un fonds de commerce et supportent des charges beaucoup plus lourdes », avait déjà avancé Aurélie Filippetti... en décembre 2011. La chose était alléchante, mais pas nécessairement convaincante. Renny Aupetit, libraire parisien et membre du collectif de librairies Librest rétorquait : « Il faudrait leur demander, à ceux qui souhaitent instaurer une taxe sur les vendeurs en ligne, pourquoi ils ne pratiquent pas une politique commerciale différenciée, entre les vendeurs en ligne et les librairies indépendantes. En opérant un traitement différent sur les remises accordées aux uns et aux autres, on aurait déjà une initiative intéressante. » (voir notre actualitté)
Or, puisque l'on parle de taxe sur le e-commerce, l'idée de la taxe Amazon - encore un processus malheureux de diabolisation, la "taxe Googl" en était un autre, tout aussi regrettable - revient nécessairement à l'esprit. À l'occasion d'un entretien exclusif accordé à ActuaLitté, la ministre garantissait que le projet était toujours sur le plan de travail, et que l'on verrait bien selon les résultats de la mission Lescure, ce qu'il adviendrait. « Il y a trois piliers dans cette mission, d'abord, le développement de l'offre légale, ensuite la lutte contre la contrefaçon commerciale, et puis, la recherche de nouvelles sources de financements. Et donc, la taxe Amazon entre dans le cadre de cette mission Lescure. Cela va prendre un petit peu de temps, quelques mois, et les préconisations seront présentées au début de l'année prochaine. » (voir notre actualitté)
Évidemment, Amazon ne compte pas parmi les membres de la FEVAD, mais ne doit pour autant pas rejoindre l'appel que lance la Fédération.
Quand j'entends le mot culture, je sors mon... taxateur !
Dans le même ordre d'idée, on se souviendra que le président du Centre National du Livre, Jean-François Colosimo, avait avancé qu'une taxation des Fournisseurs d'Accès à Internet pourrait tout à fait être envisagée, pour financer le CNL. « La première de ces pistes serait la création d'une taxe globale sur le chiffre d'affaires des industries et services d'impression et de gestion de documents, sous forme de taxe compensatoire, et de l'étendre à la totalité de la filière, services compris ; la deuxième consisterait à intégrer le domaine du livre dans tous les mécanismes à venir impliquant les fournisseurs d'accès à Internet, lesquels emploient massivement des contenus écrits et de livres ; la troisième piste serait de taxer les nouveaux appareils et supports numériques qui utilisent des contenus écrits, comme les ordinateurs portables, les smartphones et les liseuses – dont le parc devrait connaître un essor important en France », expliquait-il. (voir notre actualitté)
Il faudrait alors mettre dos à dos cette proposition avec la réaction des Français, qui dans une étude de BVA pour Orange et la SACD, 85 % d'entre eux seraient opposés à ce que l'on taxe les FAI, pour financer le domaine culturel.
Pour soutenir ce secteur, le panel du sondage est d'abord en faveur des financements privés de mécènes, de personnalités ou de grandes entreprises (29 % pour), de l'autofinancement grâce au succès rencontré auprès d'un public (24 %) et des financements publics de l'État (18 %). Les financements publics des collectivités locales ne sont soutenus en revanche que par 11 % des sondés. (voir Numerama)
Pourtant, le projet de licence global, refusé tout de go par la Dame Culture du candidat Hollande, en janvier dernier, aurait toujours de quoi séduire. Cependant, la taxation était toujours au coeur du projet :
Les créateurs doivent être rémunérés pour chacune de leurs oeuvres. Mais le prix de l'offre légale devra baisser. Et de nouvelles ressources trouvées en taxant les fournisseurs d'accès Internet, les fabricants de matériels, et les sites comme Google ou Amazon. Taxer ces derniers n'est pas impossible, mais cela passe par une négociation européenne. Il est aussi possible de rechercher des accords avec ces sites, comme l'ont fait les bibliothèques avec Google. Toutefois, je suis favorable à un dispositif réservé aux étudiants, qui leur permette d'accéder aux oeuvres, légalement mais à moindre coût. Cela se fera bien sûr en accord avec les créateurs. (voir La Tribune)
Situation douloureuse, donc, et plus encore sur les... vendeurs de biens culturels dématérialisés. Dans l'idée de taxation que prône le sénateur Marini, il faudra se demander comment les ebookstores, pour exemple, s'en sortiront. Ainsi qu'elle l'avait déclaré, à l'occasion de l'Assemblée générale du Syndicat national de l'édition :
Je redis à cet égard mon attachement à la loi sur le prix du livre numérique, en dépit des agissements contraires d'Amazon. Sa défense sera l'axe principal de notre position vis-à-vis de la Commission européenne dans le dossier des enquêtes antitrust menées contre certains d'entre vous, aux États-Unis et sur le territoire de l'Union.
Certes, la France ne pourra pas intervenir directement dans ce contentieux, mais soyez assurés qu'elle agira politiquement et fera entendre sa voix à Bruxelles, pour prévenir une grave atteinte à l'exception culturelle. Je rencontrerai le Commissaire Almunia le 9 juillet et je compte mobiliser ceux de nos partenaires qui disposent, comme nous, de systèmes de prix fixe du livre ; je reçois mon homologue allemand, M. Neumann, le 6 juillet rue de Valois. (voir le discours)
Avec un prix unique du livre, aussi bien que du livre numérique, dont la ministre s'est félicitée, difficile de jouer sur les marges... À moins d'être en mesure de vendre à perte sur le produit livre, parce que l'on dispose de bien d'autres produits sur lesquels les marges épongent les pertes...
Commenter cet article