Une somme d'analogies plus ou moins heureuses fait de la lecture un voyage, une activité capable de vous faire parcourir en trois, quatre mots des milliers de kilomètres. Pour faire l'expérience un peu plus concrète de cette faculté, grimpez à bord de la librairie d'occasion Word on the Water, installée sur une péniche qui sillonne la Tamise pour y pêcher les lecteurs.
Le 09/03/2012 à 17:01 par Clément Solym
Publié le :
09/03/2012 à 17:01
Ceux qui n'y regardent pas à deux fois sont sûrement surpris de constater que le nom Word on the Water n'est pas qu'une référence à Dire Straits. La boutique de livres d'occasion, comme la plupart des librairies, expose ses ouvrages sur de vastes présentoirs qui occupent les quais de la Tamise. À fouiller avec trop d'ardeurs dans les raretés, le passant lambda pourrait ne rien remarquer.
Il suffit pourtant de s'arrêter pour se rendre compte que la librairie oscille lentement, de droite à gauche ou d'avant en arrière... Rectification : la « péniche-librairie néerlandaise » oscille lentement sur les flots. Et les prévisions sont bonnes : vent calme, lecteurs heureux...
Trois marins que l'on ne dira pas « d'eau douce » sont maîtres à bord. Si le Word on the Water flotte, c'est d'abord grâce à Paddy « Le Docteur » Screech, son partenaire John « Le Professeur » Privett et un mystérieux français connu sous le surnom de « Capitaine ». « Tout ce qu'on voulait, c'était de l'art, de la musique et de la culture à bord du bateau, tout le temps. C'est fantastique d'avoir des musiciens en acoustique sur le toit, en été. En plus, ça marche aussi sous la pluie ! » explique Paddy Screech en se roulant une cigarette.
Les trois hommes ont mis leur compétence en commun : le « Capitaine » tient la barre, le « Professeur » les comptes et le « Docteur » la boutique : un trio qui a rendu possible le projet. « Décalé serait le bon mot » précise Paddy Screech à propos de leur boutique flottante, sans perdre le Nord, ni son indépendance : « Nous n'essayons pas de donner aux gens ce qu'ils veulent, mais de leur faire aimer ce que nous leur donnons, et les affaires se portent très bien : nous dépassons souvent nos propres estimations. »
D'après le Telegraph, on trouve dans les entrailles de la péniche aussi bien du Bukowski que le dernier David Nicholls, et les lecteurs peuvent s'installer dans de confortables fauteuils. « On vit à une époque où les jeunes portent la moustache Debussy, et écoutent de la musique des sixties et des seventies. Ils sont attirés par le passé. Je ne me souviens pas d'une culture où le passé était si important... [...] Les jeunes commencent un s'intéresser à ce que les machines n'ont pas : du talent », explique le flibustier en caressant un des deux gros chats qui paressent au soleil.
Pendant neuf mois, l'équipage a voyagé de Camden Lock à Angel, puis de Hackney à Paddington pour faire de la place dans leurs calles pleines de livres d'occasions, dont certains proviennent de donations. Qu'on ne leur parle pas d'une terrible tempête numérique prête à réduire la péniche en meubles Ikea : Word on the Water va bientôt s'associer avec Penguin, et est attendu à Victoria Park pour six semaines, le temps des Jeux Olympiques. Fini de ramer, les capitaines des mots sont partis pour au moins vingt mille lieues sur les mers.
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