Le plus convoité et discuté des prix littéraires italiens... Selon les plus récentes rumeurs, l’année 2021 sera l’année des femmes pour le Prix Strega, le principal prix littéraire italien. Un prix qui d’ailleurs a été souvent critiqué pour la place minoritaire des femmes parmi les titres sélectionnés et les gagnants. Des critiques qui se sont transformées en constats suite à une récente enquête.
Selon les rumeurs recueillies par ilLibraio.it ces dernières semaines, 2021 devrait être l’année des femmes écrivaines à concourir pour le prix Strega, le plus connu parmi les prix littéraires italiens. Créé à Rome en 1947 et promu par la Fondation Bellonci (dirigée par Stefano Petrocchi), l’année dernière il a été de nouveau remporté par Sandro Veronesi avec Colibrì, publié par La Nave di Teseo, qui avait déjà gagné en 2006 avec Caos Calmo (publié par Bompiani).
Comme le prix Goncourt, le Premio Strega est un prix auquel beaucoup aspirent, pour des raisons de prestige, mais aussi de marketing. Au fil des ans, le prix a modifié sa gestion, son règlement et ses jurés, et a encouragé de plus en plus la participation d’éditeurs indépendants. De nombreuses controverses l’ont accompagné pendant son histoire, surtout concernant le pouvoir excessif de certains éditeurs. Mais il y a aussi une critique constante, plus profonde et plus enracinée : celle concernant la présence des femmes et leurs chances d’être sélectionnées et donc de gagner le prix.
Rarement dans son histoire — comme d’ailleurs dans celle des plus prestigieux prix littéraires internationaux — les femmes ont été protagonistes. La dernière victoire d’une femme au Prix Strega date de 2018, avec le succès de La ragazza con la Leica (Guanda) d’Helena Janeczek, publié en France par Actes Sud, traduction de Marguerite Pozzoli. Il faut ensuite remonter à 2003, avec la victoire de Melania Gaia Mazzucco avec Vita (Rizzoli, publié en France par Flammarion, traduction de Philippe Giraudon), pour voir une autre écrivaine gagner.
En ce qui concerne la prochaine édition, la donne devrait changer, avec bon nombre d’écrivaines sélectionnées : l’un des noms les plus populaires est celui de Teresa Ciabatti, qui sera publiée en janvier par Mondadori avec Sembrava bellezza. Elle devrait faire partie de la fameuse « cinquina » (les cinq auteurs finalistes, parfois étendus à 6 par nécessité d’inclure un éditeur de taille petite ou moyenne).
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D’autres candidates à la victoire sont Silvia Avallone, autrice de Un'amicizia pour Rizzoli et, toujours au sein du groupe Mondadori, chez Einaudi, Donatella Di Pietrantonio. Après avoir remporté le Campiello (un autre prix important de fiction italienne fondé en 1962) en 2017 avec L’Arminuta, elle pourrait viser le prix Strega avec sa suite, Borgo sud (également publié par Einaudi). Il y a enfin Antonella Lattanzi, écrivaine et scénariste qui sortira à la mi-janvier le livre Questo giorno che incombe, publié par HarperCollins Italie. Voici donc quatre noms qui pourraient se retrouver dans la « cinquina » 2021.
Une majorité de femmes dans la sélection finale du Prix Strega représenterait une bonne nouvelle, mais aussi une bonne réponse aux préjugés du monde littéraire à l’égard des autrices, de leur représentation par les médias, ainsi que du faible nombre de victoires féminines aux prix les plus importants.
À cet égard, le quotidien Domani a récemment proposé une analyse des données relatives aux nominations, aux gagnants et aux jurés (les « Amici della Domenica »), intitulée « Perché anche al premio Strega sono quasi sempre tutti maschi » (« Pourquoi même au Prix Strega, il s’agit presque toujours d’hommes »).
Comme souligné par les autrices de l’enquête, Giorgia Tolfo et Giulia Caminito, « le dossier n’a pas l’intention polémique de quantifier trivialement l’absence des femmes, ni de montrer du doigt le prix, mais de le considérer dans sa fonction historique ». Elles se sont en effet appuyées sur des données concernant la présence des femmes dans le prix depuis sa création jusqu’en 2020. Données particulièrement importantes puisqu’elles « représentent l’histoire de notre littérature ».
En ce qui concerne la méthodologie, les données recueillies ont été utilisées de façon rigoureuse et créative. Les informations sur les nominations, les finalistes et les lauréats du Premio Strega ont été d’abord collectées sur le portail en ligne de la Fondation Bellonci et la page dédiée sur Wikipédia. Elles ont été ensuite traitées et intégrées dans le but de créer un ensemble comprenant tous les noms, les genres, les éditeurs, les parcours des livres (candidat, finaliste, gagnant).
Il faut enfin préciser, avec les mots des autrices, que « le travail de collecte a mis en évidence la rareté des ensembles de données intégrales et librement consultables concernant les principaux prix littéraires et l’édition italienne, tant d’un point de vue synchronique que chronologique, comme dans le cas présent ».
À travers la publication des données et des graphiques, « le dossier vise à contribuer au débat public sur le rôle des femmes écrivains dans l’histoire littéraire italienne ». Cette étude particulièrement innovante vise aussi à montrer l’exemple dans l’optique d’« une plus grande transparence dans les choix des éditeurs » et à « encourager la réflexion sur l’importance de l’analyse quantitative appliquée à la littérature et à l’édition ». Il nous montre enfin comment à travers des « outils technologiques avancés » il est possible de revisiter une partie de notre histoire littéraire et de la présenter différemment.
Cette analyse révèle que les femmes sont peu considérées et gagnent radicalement moins que les hommes. Ce qui dépend parfois des choix des éditeurs.
Regardons quelques données. En termes de nominations, la disproportion entre les candidats masculins et féminins est beaucoup plus évidente et marquée jusqu’en 1973 (par exemple en 1948 il y a eu plus de vingt candidats, dont deux seulement étaient des femmes). Depuis 1991 la présence féminine s’est stabilisée et est devenue plus nombreuse. C’est d’ailleurs en 1991 que le nombre de candidats a été stabilisé aux 12 actuels.
Roma, Museo Nazionale Etrusco di Villa Giulia 02 07 2020 LXXIV Premio Strega Vincitore Sandro Veronesi ©Musacchio, Ianniello & Pasqualini
Les victoires remportées par une femme sont au nombre de onze : on y trouve en 1957, Elsa Morante, pour Einaudi, en 1963 Natalia Ginzburg, toujours pour Einaudi, et parmi les plus récentes en 2002 Margaret Mazzantini pour Mondadori, en 2003 Melania G. Mazzucco pour Rizzoli et en 2018 Helena Janeczek pour Guanda. Au cours des dix premières années, aucune femme n’a gagné. Après 2003, il a fallu attendre 15 ans avant qu’une femme ne gagne de nouveau en 2018. Par ailleurs, la victoire d’une femme ne s’accompagne généralement pas d’un plus grand nombre de nominations féminines.
En ce qui concerne le rapport entre les finalistes (cinq ou six) et les gagnants, on peut observer que neuf fois sur onze, sauf en 1995 et 2018, où une femme a remporté le prix, les finalistes n’étaient pas majoritairement des femmes.
La responsabilité de cette disparité incombe aussi aux grands éditeurs : les maisons d’édition qui ont nominé au moins un livre dans toute l’histoire du Premio Strega sont environ 150. Celles qui ont le plus de titres nominés jusqu’en 2020 sont : Mondadori avec 138 nominations, dont 115 hommes et 23 femmes ; Einaudi avec 91 nominations, dont 70 hommes et 21 femmes ; Bompiani avec 71 nominations, dont 59 hommes et 12 femmes ; Rizzoli avec 71 nominations, dont 55 hommes et 16 femmes.
Selon les graphiques réalisés — qui prennent en considération les maisons d’édition ayant reçu plus de 8 nominations — celles qui ont proposé un pourcentage plus élevé de femmes sont : Marsilio, Frassinelli, Giunti, Baldini, Camunia. Neri Pozza et E/o (l’éditeur d’Elena Ferrante) sont les deux seules maisons d’édition qui ont nommé en majorité des femmes.
Ces dernières années plusieurs changements ont concerné le jury : depuis 2010, 40 grands lecteurs et lectrices sélectionnés par les librairies indépendantes ont été ajoutés, tandis que depuis 2018 ont été placés environ 200 (230 en 2020) lecteurs et lectrices à l’étranger sélectionnées par le réseau des Instituts culturels italiens dans le monde. De cette façon la présence des femmes au sein du jury a augmenté.
Après 1980, les Amis du dimanche — comme sont traditionnellement appelés les jurés — se sont stabilisés à environ 400, tandis que le nombre total d’électeurs a augmenté avec l’ajout d’autres catégories de jurés. Dans ce cadre, la proportion de femmes au sein du jury a toujours été d’environ 30 %, avec une augmentation progressive depuis 2010, comme on l’a vu auparavant.
La bonne nouvelle est que depuis 2018, avec l’apport des voix de l’étranger, les femmes et les hommes sont en nombre presque égal dans le jury. Comme le rappellent les autrices de l’enquête, ce n’est donc peut-être pas une coïncidence si 2018, année où il y a eu pour la première fois une quasi-parité entre les électeurs féminins et masculins, a vu le retour à la victoire d’une femme après 15 ans de victoires masculines.
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