Depuis le 15 mars, les aides à la relance des bibliothèques ont été entérinées par le Centre national du Livre. Elles visent les établissements des collectivités territoriales, avec 10 millions € répartis sur 2021 et 2022. Les dossiers, disponibles sur le site du CNL sont ouverts du 2 au 30 avril. Avec une petite question persistante : pourquoi avoir, au ministère, imposé le dossier à cet organisme, dont le rôle dans le monde du prêt de livres est assez conscrit ?
Le 31/03/2021 à 11:39 par Nicolas Gary
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31/03/2021 à 11:39
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La petite musique de nuit a commencé : le Centre national du livre porte les aides destinées aux librairies, par l’intermédiaire des bibliothèques. Dès lors que ces dernières ont alloué au moins 5000 € d’acquisition de documents, sans avoir diminué leur budget en 2020, les établissements sont éligibles. Ils bénéficieront ainsi d’un montant entre 1500 et 30.000 €, le CNL concourant dans une fourchette de 15 à 30 % des dépenses.
Selon les chiffres officiels, la France compte 16.000 établissements publics de prêts — soit une moyenne idiote de 625 € pour chacun, sur ces 10 millions €. Idiote, mais tout de même. « La question de ce seuil interroge, parce qu'il exclut de fait un certain nombre d'établissements – et que l'on ignore combien », relève Alice Bernard, présidente de l’Association des Bibliothécaires de France. Le montant de 5000 € laisse de côté les points lecture et les petites bibliothèques — sauf à imaginer qu’ils soient regroupés. Ou qu’ils aient pensé à le faire avant.
« Il est difficile d’estimer le nombre d’établissements éligibles à cette aide avant même qu’elle ne soit lancée. Cependant, le ministère de la Culture avait évalué à 1000 collectivités les potentiels demandeurs », répond le CNL.
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Selon les estimations, le seuil exclut effectivement les points lecture, et a priori les petites bibliothèques de villes de moins de 2500 habitants — si l’on considère le seuil à 5000 €, rapporté aux « normes » d’acquisition de 2 € par habitant, on arrive à cerner la taille des villes concernées. « On peut estimer qu'il y a là une forme d’inégalité territoriale de traitement », relève Alice Bernard.
Le Rapport Orsenna apporte d'autres précisions :
Sur les 16.500 équipements de lecture publique, 7700 sont des bibliothèques, ce qui implique qu’elles répondent à 3 critères :
- Elles possèdent des collections et disposent d’un budget d’acquisition annuel.
- Elles disposent de personnel qualifié.
- Elles disposent d’une surface d’au moins 25 m².
Les 8800 équipements restants sont soit des points d’accès au livre, soit des dépôts de livres. Il s’agit de structures qui ne disposent ni de collections ni, la plupart du temps, de personnels qualifiés.
– Rapport d'Érik Orsenna et Noël Corbin
« De même, on ne peut pas savoir combien de bibliothèques seraient concernées par le dispositif d’aide : les seuls éléments d’information passeraient par l'analyse des éléments fournis dans les rapports statistiques annuels. Ceux pour 2020 sont en cours, donc les données de 2021, notamment les budgets, remonteront en 2022. », pointe Alice Bernard.
Autre élément, si l’établissement a diminué son budget d’acquisition, il est hors jeu. Et là, surgit un autre point susceptible de sanctionner de nouvelles bibliothèques du dispositif (mais combien, ça…). Il concerne l’éligibilité du projet. Sur le site du CNL, est mentionné qu’il faut « démontrer que les crédits d’acquisition de livres imprimés inscrits au budget de la bibliothèque sont a minima de 5000 € dans le dernier exercice comptable clos ».
Il faudra encore explorer le détail du dossier, mais le noeud se profile : certaines bibliothèques ont pu bénéficier d'un soutien financier de leur DRAC fin 2020 pour maintenir les acquisitions et soutenir les libraires. Ce qui a permis de compenser d’éventuelles réductions budgétaires de fin d’année, voire d’augmenter les crédits d’acquisition à titre exceptionnel.
Concrètement, si un établissement dispose d'ordinaire de 50.000 € de budget, qu’il a reçu un soutien de fin d’année de 3000 €, l’exercice comptable clos est à 53.000 €. Mais si la ville maintient le budget habituel de 50.000 €, cela pourra finalement être interprété comme une baisse de 3000 €. Oups.
Enfin, un certain nombre de documents sont exclus du budget d’acquisition, à savoir :
• manuels scolaires ;
• universitaire (actes de colloques, thèses, ouvrages collectifs, manuels, publications de type « Mélanges », rapports et synthèses non adaptés en vue d’une publication destinée à un public de non-spécialistes) ;
• livres de jeux, jeux de rôle ;
• entretiens de type journalistique ;
• catalogues, répertoires, bibliographies, chronologies non raisonnées, almanachs, annuaires, brochures et dépliants divers ;
• recueils de sources et documents non commentés ;
• livrets d’opéra et partitions de musique ;
• publications à caractère apologétique ;
• ouvrages ésotériques.
Une discrimination intéressante, somme toute. « Sans compter que le livre numérique, et plus encore le livre audio, si populaire actuellement, de par leurs formats même, sont écartés, puisque les crédits d’acquisition de livres portent uniquement sur les ouvrages imprimés », conclut la présidente de l’ABF. Les critères et les informations sont à cette adresse.
Enfin, et fallait-il du bon sens pour y songer, personne ne peut assurer que le montant de l’aide (5 millions €/an) ni le seuil de prise en charge de 15 à 30 % ni le nombre de bibliothèques concernées, entrent en adéquation avec les besoins réels. Évidemment, on y verra probablement plus clair au terme de cette première session.
« L’idée, sans vouloir les brusquer, serait de demander aux services du ministère de procéder à un sondage express pour prendre le pouls des budgets d’acquisitions des bibliothèques », sourit une professionnelle. En effet, quid sur 2020 avec le contexte sanitaire ? Certaines bibliothèques ont dû rogner sur leurs acquisitions pour contribuer à « l’effort de guerre » des collectivités qui ont dû faire face à des imprévisibles sanitaires. Et quid sur 2021 ? « Cela permettrait peut-être également d’adapter davantage l’aide », conclut-elle.
D’ailleurs, le ministère avait su mener un modèle d’enquête expresse « pour connaître l’impact de la crise sanitaire Covid-19 sur les ressources numériques des bibliothèques des collectivités territoriales ».
Avec une conclusion qui semble joyeusement aller à l’encontre du principe même de l’aide décidée, puisque « l’enquête a permis de montrer que les usages des ressources numériques ont nettement augmenté depuis le début du confinement. Face à cette situation exceptionnelle, les bibliothèques ont su s’adapter et mettre en place de nouvelles modalités d’accès à leurs ressources numériques pour accompagner au mieux leurs usagers à distance ».
Pour autant, le numérique reste exclu du périmètre des aides définies… probablement parce qu'il ne rapporte pas assez aux librairies ?
Pour assurer sa mission, le Centre nous indique avoir recruté deux agents occasionnels qui géreront « ce dispositif exceptionnel, et ce pendant plusieurs mois. Ces effectifs seront suffisants et ne sont pas susceptibles d’augmenter ». Ce qui représente une personne et demie en équivalent temps plein. À titre de comparaison, pour les aides à la librairie, six personnes s'en chargeaient au Centre – trois recrutements et trois personnes titulaires déjà au CNL. « Clairement, ce n’est pas assez pour les bibliothèques », observe-t-on.
De là cette question : parmi les missions du CNL, l’engagement dans les bibliothèques tourne autour de 750.000 €, principalement à destination d’aides d’acquisition, pour des publics empêchés. « Et cela, quand Roselyne Bachelot a indiqué une aide de 40 millions €, pilotée par ses services — 30 pour les rénovations et extensions d’horaires et 10 pour le renouvellement des fonds ».
Est-ce à dire que 5 millions € supplémentaires sur 2021 et 2022 représentaient une charge de travail trop importante ? Surtout que le Service du Livre et de la Lecture, au ministère, connaît bien mieux l’environnement et les métiers. « On peut déplorer que le Centre ne soit pas plus investi dans le monde des bibliothèques, mais c’est ainsi. En l’état, on se demande pourquoi déshabiller les conseillers livre et lecture et dépouiller les DRAC de leurs compétences, en lui attribuant la gestion du fonds, si chichement… », déplore une observatrice.
Au CNL, on reconnaît que la décision vient de la tutelle, que de lui confier la gestion de l’aide : un choix opéré « par le ministère de la Culture. Il convient de se rapprocher du Service du livre et de la lecture afin d’avoir d’éventuels éclaircissements à ce sujet ».
Chose faite : le ministère n’a pas encore répondu à nos demandes de précisions… Certainement occupé à un effeuillage en bib ?
Côté bibliothèques, on redoute surtout « le temps nécessaire pour que l’information circule, que les dossiers soient remis ». Et que les sommes ne soient pas allouées. Réponse du Centre : « La question n’est pas encore tranchée, mais il est probable que, si d’aventure les crédits 2021 n’étaient pas consommés dans leur intégralité, ceux-ci pourraient être réutilisés pour ce même dispositif en 2022 ».
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« Au niveau des DRAC, il était déjà compliqué d’instruire tous les dossiers administratifs. Gérer les bibliothèques représentait une surcharge. Et cela change, suivant les régions », ose timidement un employé. « Mais il est certain que notre interlocuteur sur ces questions est plutôt côté SLL que CNL, qui connaît moins bien les sujets ».
Pour d’autres, l’arbre cache — difficilement — la forêt : « Se pose en effet une question idéologique : qu’est-ce qui justifie, quand les communes ont bénéficié d’aides complémentaires, de fonds pour les entreprises, que l’État intervienne pour les bibliothèques ? » En son temps, Édouard Philippe avait présenté une enveloppe de 1,75 milliard pour les communes et intercommunalités, en mai 2020. Et l’État avait abondé à la hauteur de 4,5 milliards €.
La Covid a coûté cher, et les estimations oscillent entre 3,8 et 6 milliards €, suivant les critères employés.
Pourtant, deux points ressortent de toutes ces observations : d’un côté, confier la gestion au CNL est contraire « à la logique du guichet unique que l’État ne cesse de prôner et cela va à l’encontre de la simplification administrative que voulait Macron », commente un observateur. « D’autre part, la vérité c’est qu’ils n’ont pas eu le courage de le confier aux DRAC dont c’est le travail parce que les conseillers livre et lecture ont râlé. »
Enfin, les moins timides y voient une perspective plus politicienne : les bibliothèques, et les aides allouées, serviraient tout bonnement de cheval de Troie, « pour faire plaisir aux maires, et alors que les Régionales approchent ».
Comprendre : « Les maires, c'est essentiel dans la course aux régionales, les avoir avec soi est capital », décrypte un connaisseur. « Les maires voteront aussi en 2022 et l'enjeu sera tout autre : la présidentielle... Or Macron n'est pas très bien vu par les élus locaux qu'il a maltraités durant tout son mandat. »
Les régionales étant prévues en juin prochain, avec des conseillers élus pour 6 ans et 9 mois.
Amplement assez pour couvrir un nouveau quinquennat.
crédits photo : ActuaLitté, CC BY SA 2.0
6 Commentaires
Ed
31/03/2021 à 14:19
Fort intéressante perspective, l'idée que l'on donne de l'argent aux libraires, par l'intermédiaire des bibliothèques.
J'ignore si le rapprochement avec les Régionales a un véritable fondement, mais c'est en effet amusant de coïncidence.
En revanche, que le SLL lance une aide sans avoir pris le temps ni de vérifier sa pertinence ni d'en mesurer la nécessité, voilà qui rassurera tout un chacun sur les compétences des ressources mises en tension...
Mi
31/03/2021 à 15:52
Encore une mesure discriminatoire...
Seules les bibliothèques importantes peuvent donc prétendre à cette aide ? Pourquoi ?
Les petites structures qui animent les territoires ruraux sont donc considérées comme insignifiantes...
Pourtant, ce sont elles qui ont le plus de besoins dans l'absolu, car beaucoup peinent à disposer d'un budget décent parce que les communes jonglent avec des priorités autres.
Au minimum, cette aide devrait être équitablement répartie sur l'ensemble des établissements, au nombre d'habitants par exemple.
Aïe
01/04/2021 à 08:10
N'avez-vous pas encore compris que vous êtes les sans-dents et comme tels, vous êtes insignifiants ?
Vous n'avez qu'à traverser la rue pour trouver des subventions...
Bibliotaquet
31/03/2021 à 16:00
Et comment se fait-il que le ministère de la Culture se drape dans un vilain silence ? Les questions sont-elles si gênantes qu'il faille impérativement tout mettre sous le tapis ?
Notre tutelle, vaillante dans les rencontres professionnelles, a-t-elle perdu de sa superbe ?
Sam
31/03/2021 à 22:21
Bonjour Actualitté,
Un article sans erreur lexicale et sans faute grammaticale, c'est possible, ou est-ce trop demander ? Chacun devrait balayer devant sa porte...
Un conseil de lecture pour débuter la soirée : Bescherelle. La Grammaire pour tous. Editions Hatier. 9,35€ dans toute les bonnes librairies. Et même en bibliothèque...
Stéphanie
02/04/2021 à 15:25
Il me semble possible de savoir combien de bibliothèques peuvent en bénéficier ou au contraire sont exclues du dispositif grâce à l'enquête statistique annuelle du Ministère dans laquelle les dépenses sont collectées (Néoscrib)sur le site de l'observatoire de lecture publique https://olp.culture.fr// ?