ENTRETIEN – Pika Édition a été fondée en 2000 par Alain Kahn, auparavant directeur de la maison Média Système Édition (MSE), à l'origine du magazine Player One, consacré aux jeux vidéo, et de Manga Player, premier magazine de prépublication de manga en France. Courant 2000, MSE disparaît et Alain Kahn décide alors de se concentrer sur Pika Édition. Virginie Daudin-Clavaud, aujourd'hui directrice de la maison, revient avec nous sur l'histoire de Pika.
Virginie Daudin-Clavaud, Directrice générale déléguée chez Pika Éditions (ActuaLitté, CC BY 2.0)
Aujourd’hui Pika occupe la 2e place sur le marché du manga, avec environ 1800 titres et plus d’une centaine de séries à son catalogue. La maison collabore avec les cinq gros éditeurs du marché japonais, à savoir Kodansha, Kadokawa, Shogakukan, Hakusensha et Shueisha. Alors qu’elle se trouve en troisième position sur le marché du manga en France, Pika Édition est acquise par le groupe Hachette Livre, en 2007.
« À mon arrivée en 2008, la maison Pika sortait 150 titres par an. Aujourd’hui, nous sommes passés à 230 nouveautés par an » explique Virginie Daudin-Clavaud. « Une fois que nous lançons une nouvelle série, nous publions les volumes suivants dans un rythme de parution rapide et régulier, ce qui nous assure de la croissance du catalogue » poursuit-elle.
« L’apport de Hachette fut une sécurité supplémentaire puisque Pika était déjà diffusée et distribuée par Hachette Livre.Il y a une continuité qui s’est faite naturellement, avec une volonté plus marquée de devenir un des leaders du marché » poursuit-elle. Pika passe effectivement de la troisième à la deuxième place sur le marché du manga.
Pour choisir ses titres, la maison observe les meilleures ventes au Japon et opère de manière très sélective. Mais cette approche se heurte parfois aux spécificités du marché : certains ouvrages fonctionnent très bien au Japon, mais pas en France, et inversement. « Les éditeurs japonais attendent de nous que l’on ait une bonne connaissance du marché et du goût français pour les mangas », indique-t-elle.
FairyTail, la série de shōnen qui marche le mieux chez Pika Édition et Cardcaptor Sakura, un shojo aussi célèbre en France qu'au Japon.
En 2016, Pika Édition rachète le label Nobi Nobi, qui développe le manga pour une cible jeunesse (3-12 ans), mais qui publie aussi des albums destinés aux enfants. Aujourd’hui, ce label propose une cinquantaine de nouveautés par an, dont une trentaine de mangas et une vingtaine d’albums. « Le manga jeunesse était peu présent dans le catalogue de Pika jusqu’à l’arrivée de Nobi Nobi, nous avons voulu inclure une nouvelle ligne dans notre offre éditoriale ».
La collection Pika Graphic fut également relancée. Elle propose un nouveau regard sur les artistes venus d’Asie (Japon, Chine, Corée) ainsi qu’un nouveau format que le lecteur adulte pourra apprécier. Les thématiques sont d’ailleurs variées : SF, histoire, thrillers, polar, fantastique, etc.. « Nous voulons proposer des auteurs aux univers graphiques aussi différents que représentatifs de la richesse de la création de la bande dessinée asiatique. »
À gauche le roman Another, paru chez Pika Roman en 2016. À droite, Urashima Taro, un conte de fée japonais, publié par Nobi Nobi en 2014.
En France, le marché du manga repose principalement sur le shōnen, qui s’adresse à une cible essentiellement jeune et masculine. Il s’agit du genre dominant, qui a fait découvrir le mode d'expression en France. Chez Pika, la série Fairy Tail, créée en 2006 au Japon par Hiro Mashima et publiée en France depuis septembre 2008, en est le meilleur symbole.
Le seinen est un autre genre qui se développe beaucoup, surtout depuis que les premiers lecteurs de shōnen sont devenus adultes. « Ils recherchent des lectures aux scénarios plus fouillés, parfois plus violents », analyse Virginie Daudin-Clavaud.
« Globalement, les éditeurs et les lecteurs sont plus exigeants aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Les lecteurs disposent de plus de titres à leur portée qu’il y a une vingtaine d’années, où chaque sortie, très attendue, provoquait un mini-évènement. Maintenant, les sorties sont plus nombreuses et l’offre manga très vaste. En tant qu’éditeurs nous devons guider les lecteurs dans leurs choix. C’est tout le travail du marketing, qui doit cibler sa communication pour proposer le bon titre au bon lecteur. »
« On s’adresse à des passionnés qui connaissent bien le produit, et qui ont des attentes particulières. On adapte notre discours marketing au cas par cas, pour essayer de répondre au maximum aux attentes de chacun » explique Cathy Fernez, marketing manager chez Pika Édition.
Si le genre du manga est de plus en plus apprécié, ce sont principalement les grosses séries, c’est-à-dire en terme de ventes et de durée de la série, qui tiennent le plus longtemps. Les lecteurs se lassent moins facilement, puisqu’ils sont plus fidélisés. « Une fois que la série est populaire, elle s’implante, se développe et résiste énormément », précise Virginie Daudin-Clavaud.
La série Space Brothers a été un succès au Japon, mais pas en France.
« Nous travaillons avec la même équipe de traducteurs depuis plusieurs années », indique la directrice générale déléguée. La maison veille à proposer les titres aux traducteurs en fonction de leur style et de leurs préférences. « Mais nous ouvrons aussi notre porte aux jeunes traducteurs » précise-t-elle. « Le lecteur d’aujourd’hui est bien plus exigeant qu’à l’époque où le manga apparaissait sur le marché français. Il est en demande de traduction de grande qualité, la plus fidèle possible au texte japonais. »
Mais cette exigence des lecteurs aboutit notamment au phénomène du scantrad, ces traductions réalisées par des équipes de passionnés, qui les réalisent par eux-mêmes à partir des versions japonaises avant une diffusion via les réseaux pirates.
« Nous voyons le scantrad d’un très mauvais œil. Les méthodes utilisées par les équipes de scantrad ne sont pas cautionnables, puisqu’elles se font en dehors du respect du droit d’auteur. Nous nous sommes adressés aux sites hébergeurs des scantrad, pour leur demander d’arrêter leurs pratiques, mais la démarche est complexe. » La lutte contre le piratage et la contrefaçon se retrouve bien là.
Selon Virginie Daudin-Clavaud, cette pratique présente un risque considérable, celui d’appauvrir l’offre et d’abaisser la diversité aujourd’hui présente sur ce marché. Notamment en court-circuitant le libraire, dont le rôle de conseil est indispensable à ce marché de passion. « Le piratage est un sujet complexe sur lequel il est compliqué d’agir. Néanmoins il nous incombe à nous éditeurs la responsabilité d’agir et de développer une offre légale du manga numérique ».
Pour ce faire, Pika Édition diffuse en simultané avec le Japon des chapitres disponibles en format ebook payant, sur tous les stores. « C’est un travail très difficile à mettre en place puisqu’il faut traduire, lettrer et corriger les chapitres en quelques jours » souligne Virginie Daudin-Clavaud. Cependant, cette offre a été lancée il y a un an à peine, et les catalogues sont encore peu fournis. Seuls les chapitres de L'Attaque des Titans — un manga écrit et dessiné par Hajime Isayama, publié en France depuis juin 2013 — et UQ Holder — un manga dessiné par Ken Akamatsu et publié en France depuis octobre 2014 — sont disponibles en version numérique.
Pour autant, les résultats ne sont « pas phénoménaux, mais encourageants parce que des sites proposant des scantrads ont abandonné leurs activités », et certains lecteurs se sont tournés vers l’offre proposée par Pika Édition. « Il ne nous reste plus qu’à enrichir le catalogue numérique » atteste Virginie Daudin-Clavaud.
Commenter cet article