Incontestablement, les superhéros représentent un soft power dévastateur – entraînant des retombées économiques puissantes. Marvel, en tête de liste, a accumulé avec Black Panthers et Avengers : Infinity War plus de 3,6 milliards $ de recette. Oui, au cinéma. Parce que du côté comics et édition, c’est la panade...
Avant d’évoquer des pages qui se tournent, des histoires nouvelles qui s’écrivent, et ainsi de suite, quelques données. On recense 2500 magasins spécialisés en comics sur le territoire américain (Canada et États-Unis). Et ce chiffre diminue d’année en année.
Un comic coûte entre 4 et 6 $ aujourd’hui, quand on les trouvait dans les années 60-70 pour le prix d’un muffin. Et les ventes diminuent, comme l’indique Diamond Comics Distributors, basé dans le Maryland, de plus de 9 % dans les librairies. L’image d’un passé adulé et de l’âge d’or s’effiloche gentiment, alors même que Netflix se bat pour produire des séries inspirées de comics. Et que les blockbusters aujourd’hui mettent en scène les super pouvoirs des uns et des autres.
Dans une semaine doit d’ouvrir la Comic Con de San Diego, et l’on y retrouvera, dans ce qui est la plus grande convention dédiée à l’univers pop, de nombreux éditeurs. Mais les annonces les plus attendues semblent d’ores et déjà porter sur les sorties cinéma – et l’anniversaire de Marvel, qui aura 80 ans en 2019...
Dans ces fameuses années 60, quand l’éditeur se fit baptiser The House of Ideas – La Maison des Idées – ses fans étaient surnommés True Believers. Avec des noms comme Stan Lee, Jack Kirby, Steve Ditko et John Buscema, l’éditeur disposait de ressources créatives où mélodrame, humour et mythologies cosmiques s’entremêlaient joyeusement. Le superhéros renaissait comme jamais.
L’énergie qui se dégageait alors du comics est semblable à celle que l’on retrouve dans les films qui sont produits ces dernières années. À la différence que l’on touche un public infiniment plus vaste. Pourtant, en 1965, un sondage réalisé par le mensuel pour hommes Esquire sur des campus universitaires indiquait que Spider-Man et Hulk avaient rejoint Bob Dylan et Che Guevara comme figures de la contre-culture.
Et le temps a passé : du dynamisme des années 60, Marvel a vieilli avec son public, les éditeurs se sont succédé, les conflits juridiques également, et les idées s’émoussent.
Ainsi, en regard de ce qu’il se passait dans le tiroir-caisse de Marvel voilà cinq ans, et aujourd’hui, les ventes sont définitivement en baisse –, et ce, alors que les films réalisent des chiffres vertigineux. Or, plus sérieux encore, Marvel est resté premier des ventes durant cette période : si rien n’est cassé, rien à réparer ? Difficile à avaler.
De fait, les analystes estiment que les séries comme les films ont fait de Marvel une marque de fabrique... qui profite plus aux adaptations qu’aux séries imprimées ou numériques. « Les plus grands films inspirés de comics ont désormais un faible impact, voire nul sur les ventes de comics. Les films ne sauvent plus les bandes dessinées : ils les remplacent. Alors maintenant, je m’inquiète vraiment pour les comics : un divertissement qui ne saurait pas rester en contact avec les nouvelles générations, n’a-t-il pas un pied dans la tombe ? », interroge Michael Uslan, spécialiste du secteur, auprès du Los Angeles Times.
Au cours de l’année 2017, les ventes sur le marché nord-américain ont perdu, au global, 6,5 % : 1,105 milliard $ pour les romans graphiques et les comics. Or, ce sont les comics qui ont le plus souffert, avec 10 % de baisse – quand seul le segment du roman graphique Young Adult affiche une croissance de 1 %.
Le roman graphique pèse 570 millions $, le comics 355 millions $ – et les ventes numériques ont atteint 90 millions $. Ce dernier chiffre n’inclut pas les formules d’abonnement toutefois, mais difficile d’espérer des dizaines de millions de dollars de revenus de ce côté. Les ventes en kiosques, qui dégringolent depuis des années, s’élèvent à 10 millions $. (via Comichron)
Certes, les comics représentent une partie de l’identité culturelle américaine : que Spider-Man sauve le président Barack Obama, et tout le monde criait au génie, au lien avec la société, etc. Même quand Marvel s’est mis à ouvrir ses histoires à des personnages gay, des super héroïnes, voire des mariages homosexuels, pour mieux refléter le monde contemporain, un constat persiste.
À l’instar du jazz, du base-ball ou du hip-hop, cette création unique qu’est le comics appartient à l’histoire du pays. Et il apparaît possible qu’elle se retrouve bientôt... dans les livres d’histoire. Car une chose est certaine : pour qu’un adolescent tombe par hasard sur des comics, il lui faudra marcher : les chaînes Target ou même 7-11, ou encore les librairies Barnes & Noble n’en vendent plus.
En revanche, toutes les salles de cinéma du pays proposent les derniers blockbusters avec Deadpool à l’affiche.
Comme si une époque succédait à une autre...