Certes, il y a les expositions, et probablement l'une des plus importantes offres de bandes dessinées pour quelques jours, mais ce qui déplace vraiment les foules - et surtout les passionnés - à Angoulême, ce sont les dédicaces. Depuis plusieurs mois, une partie des auteurs et autrices de bande dessinée en réclament la rémunération, alors que les conditions économiques pour la majorité de la profession sont de plus en plus difficiles.
Posez la question à un auteur ou une autrice de bande dessinée, la réponse sera souvent amusée ou étonnée : « Payée pour faire des dédicaces ? Non, je suis déjà heureuse de vendre des exemplaires », semble s'excuser une des auteures présentes au Festival international de la bande dessinée d'Angoulême. La majorité des auteurs que nous avons interrogé n'ont même pas abordé le sujet avec leur éditeur.
La situation pourrait pourtant changer : depuis plusieurs années, la profession d'auteur de bande dessinée connaît une précarité grandissante. Aujourd'hui, 53 % des auteurs et autrices gagnent moins que le SMIC chaque mois. Alertée sur la situation par un courrier collectif et par les nombreux rapports et études sur le sujet, la ministre de la Culture a chargé Pierre Lungheretti, directeur général de la Cité de la bande dessinée d'une mission sur la BD, qui abordera notamment ce point. La piste de la rémunération des dédicaces, comme « revenu annexe », fera partie des hypothèses étudiées.
Aux tables du festival d'Angoulême, les avis divergent dans la profession d'auteur : « Rémunérer les auteurs BD pour les dédicaces, ça tombe sous le sens », tranche Boulet, qui sort justement d'une séance. « On nous demande aujourd'hui de faire un boulot d'animateur dans des festivals, et je ne comprend pas pourquoi on estime que nous sommes le seul maillon qu'on peut ne pas payer », souligne l'auteur.
Si la nécessité d'une rémunération des dessinateurs se fait sentir, c'est aussi en raison du contexte : « Aujourd'hui, les avances sont en baisse, les droits d'auteur n'ont pas augmenté en proportion, le matériel est plus cher et nous avons plus de travail qu'avant : les éditeurs nous demandent des pages imprimables, et n'effectuent plus ce travail de préparation, qui nous est revenu », poursuit Boulet. Bien sûr, précise-t-il, les ventes de ses albums, importantes, le mettent pour l'instant dans une position économique confortable. Néanmoins, il vend, dans les salons, des produits dérivés qu'il a lui-même réalisés, afin d'améliorer un peu son bilan à la fin du week-end.
D'autres auteurs, notamment du côté de la tente des indépendants, sont plus mesurés : « Je suis parfois rémunéré pour ma présence, dans les festivals où l'organisation invite elle-même les auteurs, mais pas à Angoulême et c'est mon éditeur qui invite - je bénéficie toutefois d'un défraiement », nous explique Singeon sur le stand de l'éditeur Cornélius. « Si passer une journée en festival ne m'intéresse pas, je décline ou bien je discute avec mon éditeur des conditions. »
À l'heure actuelle, un festival qui invite un auteur le rémunère le plus souvent si celui-ci participe à des animations, comme des débats, des rencontres ou des dessins en direct. Mais cette rémunération reste récente, et fortement liée à l'enveloppe que verse le Centre national du Livre aux organisateurs, au titre de l'animation. Lorsque le festival est financé par des fonds privés, la rémunération dépend du bon vouloir de l'organisateur.
Le SNAC BD, syndicat des auteurs de bande dessinée, milite ouvertement pour une rémunération des dédicaces des auteurs en festival. « Certains d'entre nous font des dédicaces qui se revendent le lendemain à prix d'or sur eBay, et ça c'est de l'argent perdu pour l'auteur et pour l'État », indique Christelle Pécout, vice-présidente du SNAC BD. « Devant cette réalité, nous voudrions que soit payé le temps de présence de l'auteur en festival de bande dessinée, pour la dédicace, avec un tarif minimal », explique l'autrice. « Ce n'est pas à nous de fixer ce tarif, mais il serait bon de partir sur une base et de rémunérer les auteurs invités à un même festival de la même façon. »
La précarisation des auteurs a formé un cercle vicieux où les festivals ont leur place : « Avec la baisse de nos avances sur droits d'auteur, le week-end est devenu pour nous un temps de travail : l'invitation en festival nous fait désormais réfléchir », précise Christelle Pécout. La vie sociale et la vie de famille peuvent aussi pâtir de la présence en festival.
Chez les auteurs sceptiques, l'idée d'une rémunération fait craindre le paiement des dédicaces par les lecteurs. Aux États-Unis, un dessin se monnaie ainsi quelques dollars, à la mesure de sa taille. « Cela veut dire que moi, qui fait un dessin en quelques minutes, serait mieux payé que Bilal, qui prend plus de temps ? », s'interroge Lewis Trondheim. « Je n'y crois pas trop, je ne vois pas comment cela pourrait être possible. » Et inversement : « Ceux qui font beaucoup seraient défavorisés », estime Pascal Pierrey, membre de L'Association.
« Nous voudrions éviter les dédicaces payantes pour les visiteurs », précise aussi Christelle Pécout, « car ces commissions se font souvent de la main à la main, et les auteurs “moins bankables” pourraient pâtir d'une telle approche. » À Angoulême, dont l'organisateur, la société 9e Art+, n'a pas pu être joint, c'est pourtant déjà le cas : les visiteurs paient un pass 1 ou 4 jours qui leur permet d'accéder aux expositions et animations, certes, mais aussi aux fameuses « bulles » où se trouvent les auteurs. Pour Boulet, cela ne fait aucun doute : « C'est à l'éditeur et à l'organisateur du festival de payer, avec un forfait partagé. »
Inutile de souligner que l'édition de bande dessinée n'est pas franchement enthousiaste à cette idée : « Je pense que cela ne peut pas être pris en charge par les éditeurs, qui assurent déjà le défraiement des auteurs, mais aussi le coût des stands et de leur installation », nous explique Moïse Kissous, fondateur du groupe Steinkis. « Rappelons que les éditeurs, surtout les plus importants, ne rentrent pas dans leur frais en venant à Angoulême. Ce sont des dépenses d'image, car les ventes d'albums ne compensent pas les dépenses. » Du côté des indépendants, c'est parfois le même discours : « Pour une maison associative comme ici, faire plus que le défraiement me paraît par ailleurs difficile », indique Pascal Pierrey, sous la bannière de L'Association.
Pour Moïse Kissous, « ce sont les festivals qui doivent prendre en charge cette rémunération, s'il y en a une, ce qui passe par l'accroissement du soutien aux manifestations littéraires par le CNL, même si celui-ci finance l'animation, et pas les dédicaces ». Le fondateur de Steinkis, pour le festival d'Angoulême, évoque malgré tout « les investissements nombreux pour financer l'événement : c'est toute une économie et le budget est déjà complexe pour le FIBD ».
Enfin, la « marchandisation » d'une dédicace, événement entre l'auteur et son lecteur, peut inquiéter : « Demain, va-t-on faire des dédicaces payantes pour des livres jeunesse ? Je trouverai ça dommage », indique Moïse Kissous. « De toute façon, cette discussion doit avoir lieu en concertation. Personnellement, je préférerais que l'on travaille à améliorer la présence de la BD dans les librairies généralistes, pour générer plus de revenus pour tout le monde. »
Nul doute que la discussion aura lieu, les auteurs et autrices n'ayant pas l'intention de lâcher le sujet. Ils vont persister... et signer.
4 Commentaires
DENIS/DOU
27/01/2018 à 12:05
J'ai vu des dessins-dédicaces revendus sur la toile et les illustrateurs ne seraient pas payés ! c'est un comble
Lepoup
27/01/2018 à 18:51
Je comprends et partage ton sentiment mais tu en conclus quoi ?
La seule conclusion logique est qu'il faut que celui qui demande une dédicace (du moins illustrée) paie pour celà. Pourquoi pas ? mais fini le bel esprit festif et bonjour la marchandisation.
Car faire payer les séances de dédicaces par les organisateurs n'empêche en rien la pratique que nous dénonçons
Reste aussi la solution - certains le font, tu le sais bien - où le dessinateur "revend" (avec un faux-nez) quelques dessins qui auraient été obtenus (après une longue queue) lors d'un salon.
Lepoup
27/01/2018 à 18:34
Cest un fait connu : Quand la récolte de pommes est yrop abondante les prix s'écroulent et surtout ceux des pommes de qualité "moyenne". Beaucoup d'auteur de bd sont sou-smicards, qu'ils en tirent les conclusions ( encore que dertains pourraient améliorer leur sort par une productivité plus efficace: avec 50 h. de vrai travail efficace, on en fait des planches en une semaine)
Pour ce qui est des autres perspectives évoquées, à l'issue de mécanismes plus ou moins complexes elles finiront par être à la charge de l'acheteur final; par gonfler le prix de vente de l'album qui est déjà bien élevé et qui - soyons franc - 2 fois sur 3 laisse le sentiment de "ne pas en avoir pour son argent". Reste la demande d'une augmentation des subventions, notamment celle de "l'enveloppe que verse le Centre National du Livre" (et l'extension de son champ) ... mais là, en tant que contribuable, je suis contre.
A.DAN
29/01/2018 à 20:24
Mr ou Mme Lepoup, là je m'insurge: vous évoquez la surproduction? De qui est-elle le fait? Ce ceux qui signent les contrats ou ceux qui les tapent? 50h de travail efficace? de quel point de vue? je fais en ce moment 10h/j au moins et ce 7j/7 depuis septembre 2017, tout cela pour honorer un album que j'ai pu mettre de côté pour multiplier des contrats annexes (com', illustration, interventions, etc.) car besoin de pepettes. Et à cette cadence là actuelle, c'est juste pour garantir le minimum syndical financièrement. 50h efficaces? Mais on est pas payé quand on fait des recherches, cherche à essayer des techniques à côté etc. .... Contribuable? Je cotise moi-même dans mes charges pour assurer ces contributions et paie mes impôts pour bénéficier du système social, médical et pourquoi pas (hou le vilain mot) : culturel.