La maison d'édition Komics Initiative ouvrira ce mardi 1er septembre un projet de financement participatif sur la plateforme Ulule consacré à un nouveau titre, Visions, qui met en avant trois œuvres inédites en français d'Alan Moore. Mickaël Géreaume, créateur de Komics Initiative, nous assure que chacune d'entre elles « permet de re-penser notre monde, de mieux comprendre le génie visionnaire qu'est Moore sur de nombreuses thématiques ».
Mickaël Géreaume :VISIONS est une anthologie qui a été longuement pensée en interne. Même le titre de l'album est le fruit d'une réflexion. VISIONS réunit trois titres entièrement inédits en France pour une pagination d'au minimum de 180 pages (même si des pages supplémentaires risquent fortement de se rajouter). Pour la traduction de VISIONS, notre équipe se compose des chevronnés experts que sont Alex Nikolavitch, Jean-Marc Lainé et Alain Delaplace.
Le premier titre est Another Suburban Romance. Dans les années 70, Alan Moore avait débuté l'écriture d'une pièce de théâtre, en compagnie d'un certain Jamie Delano, d'ailleurs. Celle-ci n'eut jamais lieu, mais les textes furent conservés et adaptés en chansons par Moore lui-même et enfin transposés en comics par Antony Johnston et Juan Jose Ryp – artiste espagnol au trait soigné et méticuleux. Le côté poétique des textes demande un soin tout particulier à nos traducteurs qui, de toute façon, n'avaient plus beaucoup de cheveux à s'arracher (pardon...).
Le deuxième est Light of Thy Countenance. Il s'agit d'un roman graphique sur l'illusion et le poids des images dans notre monde, sur la place de la télévision dans notre vie quotidienne. L'écran est un nouveau Dieu. À la base, Alan Moore l'avait imaginé en nouvelle. C'est illustré par l'italien Felipe Massefera dont le style n'est pas très éloigné d'un Alex Ross. Le récit est très dense, complexe et fascinant.
La troisième partie est différente une fois encore puisqu'il s'agit de Writing for Comics. C'est un essai sur les méthodes d'écriture d'une bande dessinée, avec ses contraintes, ses astuces, etc. Moore défriche une partie du terrain qui sera parcouru par Scott McCloud quelque temps plus tard avec L'art invisible. L'essai bénéficie en outre d'illustrations de Jacen Burrows et de Juan Jose Ryp, ainsi qu'une postface de Moore. En plus de ces trois récits, nous enrichissons l'album avec du contenu éditorial comme des entretiens, analyses, etc. Une habitude chez Komics Initiative.
Mickaël Géreaume : Parce qu'elles sont de très grande qualité, ça suffit comme argument ? Chaque œuvre permet de re-penser notre monde, de mieux comprendre le génie visionnaire qu'est Moore sur de nombreuses thématiques. Il y a tellement de choses à en dire que j'ai hâte de voir les retours des lecteurs. Suite à la présentation d'un des fragments de l'album dans notre FCBD 2020, ils se sont montrés très très positifs. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, le Free Comic Book Day est un événement permettant aux libraires participants, d'offrir des comics gratuitement à ses lecteurs qui viennent un jour bien précis dans l'année, généralement le premier samedi de mai, mais cette année qui fut décalé à début juillet.
Cela a été notre deuxième participation à cet événement après un premier galop d'essai l'an dernier où nous avions pu présenter un récit du nouveau Fox-Boy de Laurent Lefeuvre. Si l'on pourrait faire de nos FCBD une sorte de catalogue de previews, nous essayons d'en faire un peu plus en proposant un contenu original avec des rubriques inattendues ou nouvelles.
Bref... Revenons à VISIONS. Si ces titres étaient restés inédits jusqu'ici, il y a plusieurs explications. Leur format est court (une cinquantaine de pages en moyenne), les rendant difficilement exploitables en librairie dans le système éditorial actuel. Il y a également un caractère exigeant. Certes, les récits de Moore le sont toujours, mais ici, préparez-vous à vous triturer les méninges. Il y a aussi plusieurs années pendant lesquelles les lecteurs ont surtout eu des titres estampillés Moore qui n'étaient que des rééditions de récits cultes, ne laissant pas de place à des inédits. En définitive, je trouvais particulièrement dommage que ces pépites ne soient pas disponibles en France et avec VISIONS, nous avons trouvé le moyen de rendre cela possible. Si les lecteurs suivent, bien sûr.
Mickaël Géreaume : Comme toujours, de faire exister le livre ! Chez Komics Initiative, nous nous en remettons aux lecteurs, uniquement à eux. Si une de nos propositions de titre ne leur plaît pas, c'est que soit nous n'avons pas bien fait notre « job », soit que le titre n'est pas jugé digne d'intérêt. Auquel cas, et même si c'est dur, nous ne le sortirons pas, ni pour les soutiens ni pour les libraires.
Mickaël Géreaume : En effet, depuis notre premier livre (Kirby&Me) en 2017, Komics Initiative utilise ce mode de fonctionnement pour chacun de ses ouvrages. L'existence de nos publications dépend des lecteurs, et donc, celle de Komics Initiative aussi. Si on se limite au spectre comics en France, peu d'acteurs majeurs ne font pas partie d'un groupe. Delcourt, Panini, Glénat, Urban Comics (Média Participations), Hi Comics (Bragelonne), etc. L'idée est de faire notre place petit à petit, tout en restant indépendants dans chacun de nos choix.
Le financement participatif est en quelque sorte une réinterprétation moderne de la souscription d'autrefois. D'autres éditeurs comme Black Box sont de bons exemples de ce mode de fonctionnement. D'un côté, l'avantage « économique » est le lien direct avec les lecteurs, et donc la suppression des intermédiaires (distributeur, diffuseur).
Présenté de la sorte, ça peut paraître merveilleux, mais globalement, cela signifie aussi que l'on se retrouve avec une flopée de tâches supplémentaires, fastidieuses et chronophages. Préparation d'une campagne, gestion des réseaux sociaux, suivi du projet auprès des lecteurs, conception des goodies, préparation des colis, envois, relances des lecteurs, gestions des retours des colis non récupérés... Bref, un joyeux cirque. Le quotidien est chargé et les jours off sont rares.
C'est néanmoins la voie choisie pour conserver cette indépendance, conforter des choix forts comme l'impression de tous nos livres en France (pour une solidarité économique et une amélioration écologique), d'en assurer la qualité et un réel suivi, réaliser des tirages plus ciblés (éviter ce gâchis qu'est le pilon), de refuser que la distribution de nos livres se fasse chez Amazon...
Prenons ce dernier exemple. Une fois, les campagnes de financement participatif terminées, nous décidons d'imprimer plus de livres (ou non, certains restants exclusifs aux campagnes et à notre site), afin de proposer nos albums en librairie. En les vendant sur Amazon, certains éditeurs réalisent 50 % de leurs ventes (voir plus). C'est énorme, et donc nous acceptons de ne pas gagner plus.
La raison est simple : nous savons que les libraires sont les meilleurs défenseurs, relais et partenaires de nos livres en plus des lecteurs. Qui n'a jamais été flâner dans une boutique et découvert un livre par hasard ? Ou sur les conseils d'un libraire ou d'un ami ou d'un youtubeur/instagrammer est reparti avec un livre non prévu ? Faire moins et faire mieux.
La campagne de financement participatif pour Visions, d'Alan Moore, sera accessible sur Ulule à partir du 1er septembre prochain.
Illustration : couverture de Visions par Laurent Lefeuvre
6 Commentaires
Wally Gator
31/08/2020 à 22:09
Vivement demain! C'est toujours de belles découvertes avec Komics Initiative. Au final, toujours une belle édition, des goodies et Mickaël est disponible presque 24h/24 pour répondre ou mettre à jour les news. Ce gars est un super-héro! :bug:
Elefont
01/09/2020 à 12:06
C'est bien dommage que ni l'éditeur français ni l'américain n'ait informé Alan Moore de ce projet.
Lefeuvre
01/09/2020 à 13:39
Étrange commentaire, mister "Elefont" (?)
Alan Moore DOIT être au courant, puisque c'est son éditeur américain (Avatar Press)qui est tenu de le faire !
Par contre, côté adaptation, il n'est ni tenu au courant, ni sollicité, car chez DC, on s'en fout bien de son avis.
N'hésitez pas à écrire à Urban ! ;-)
Elefont
01/09/2020 à 15:49
Selon Alan Moore, il n'a pas été informé par Avatar.
Lefeuvre
01/09/2020 à 18:33
Il semble que vous avez raison. Ce n'est pas la faute de Komics Initiative : Un gestionnaire de catalogue (Avatar Press, dans ce cas précis) est censé (dans la plus élémentaire courtoisie - même si ce n'est pas mentionné dans les contrats - comment le savoir ?) prévenir les auteurs des traductions de leurs œuvres à l'étranger.
En tout cas, c'est comme ça que nous le concevons. Parce qu'il y a des droits à leur reverser, tout bêtement !
À ce que j'ai compris, Komics Initiative a entamé aujourd'hui un dialogue vers Alan Moore, via une personne de confiance de l'entourage du scénariste, afin de remédier à cette... maladresse.
Pour être parfaitement transparent, je suis l'illustrateur des couvertures françaises. Aussi, désolé si ma première réponse était un peu "sèche/ironique" : c'est bien vous qui étiez dans le vrai.
Elefont
01/09/2020 à 19:50
Je sais car j'avais demandé à l'éditeur anglais d'Alan Moore qui lui avait posé la question. (Je suis l'agent qui a vendu JERUSALEM à Inculte et d'autres éditeurs européens.)