Les jurés du prix Goncourt du premier roman l’avaient consacré ce lundi 9 mai pour son roman De nos frères blessés (éd. Actes Sud). Joseph Andras, le lauréat, a renvoyé le jury dans les cordes en deux temps : il ne s’est d’abord pas rendu à la remise de prix chez Drouant, puis a fait savoir qu’il refusait officiellement le prix, causant par là, dans le monde littéraire, un léger séisme médiatique. Le romancier s’est confié à L’Humanité.
Le 24/05/2016 à 11:15 par Joséphine Leroy
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24/05/2016 à 11:15
Ils avaient fait de lui l’outsider, la surprise de ce Goncourt du premier roman, ajouté à la liste à la toute dernière minute. Ils ne s’attendaient certainement pas à ce que le romancier refuse tout bonnement le prestigieux prix qui, comme on le sait, propulse bien souvent les ventes de livre et assure une bonne réputation à son auteur.
Son attaché de presse l’avait formulé en ces termes : « [...]sa conception de la littérature n’est pas compatible avec l’idée de compétition. » Mais il est toujours préférable que l’intéressé en parle lui-même et, aujourd’hui, le romancier expose une bonne fois pour toutes les raisons de son refus.
« Un écrivain n’est pas une personne des médias, ce sont deux mondes totalement différents. Je vis en Normandie, au calme, je ne connais pas le milieu littéraire et parisien, ne souhaite pas en savoir plus et tiens plus que tout à me concentrer sur mes prochains textes. »
Cette formule pourrait faire de lui le symbole d'une rébellion contre l'élite littéraire, mais ce serait faire injustice à l'auteur que de le caricaturer ainsi. Dans un entretien livré à L’Humanité, le romancier explique son geste et atténue par là nos préjugés : « J’étais mal à l’aise à l’idée d’être pris, sans avoir rien fait pour cela, dans une “course”, une mise en compétition, en concurrence, tandis que tout me pousse, au regard de mes conceptions politiques, à refuser ces notions. »
Ce n’est donc ni une parade visant à marquer les esprits ni un geste savamment calculé, juste une mise en adéquation entre des convictions et des actes. Qui se retrouvent dans sa vie de lecteur : « J’ai tendance, en tant que lecteur, à fuir les ouvrages flanqués d’un bandeau rouge. Le livre n’était même pas sorti que je voyais ceci comme un frein à l’indépendance d’écriture que je tiens par-dessus tout à préserver. »
L’auteur semble connaître le système médiatique et prévoit que ses propos seront tronqués : « Je me doute que ma réponse sera, ici ou là, mal comprise, déformée, jugée pour ce qu’elle n’est pas : tant pis... J’ai pesé chaque mot, le plus honnêtement possible et sans le moindre goût pour le “scandale”. Il me tarde seulement que nous cessions de parler de ceci. »
Joseph Andras se défend de tout mépris, mais son ostracisation volontaire, rejoint quelque peu la figure du romancier-ermite. Conscient que cette discrétion peut paradoxalement être vue comme une mise en avant exacerbée, il engage les commentateurs à ne pas voir cela comme de l’autopublicité : « Voir ceci comme du “marketing” en dit surtout long sur ces gens et notre époque d’image, de spectacle et de médias. »
Pourquoi avoir choisi les colonnes de L’Humanité (accessible uniquement par les abonnés) au regard de l’emballement médiatique possible ? Là encore, par souci de cohérence, puisque Fernand Iveton, le héros oublié de son livre De nos frères blessés, lisait « régulièrement » le journal : « Fernand Iveton vous lisait également et votre journal revient à plusieurs reprises dans le roman. »
Non un produit marketing, mais un objet culturel : le romancier s’adresse avant tout à ses lecteurs plutôt qu’à la critique littéraire. Dans l’entretien, il revient sur son parcours et rapporte que son premier manuscrit avait été refusé par les éditeurs, dont Actes Sud. Ce « roman qui se déroulait entre la Roumanie et la l’Union soviétique » n’avait pas convaincu les professionnels, ces mêmes professionnels qui, aujourd'hui, l'applaudissent. Il se trouvait donc « loin, bien loin, de [s’]imaginer que ce texte pourrait faire l’effet d’une bombe ».
Plutôt qu’une bombe médiatique, c’est une bombe au sens littéral qui l’obsède. Dans De nos frères blessés, son obsession pour cet oublié involontaire qu’est Fernand Iveton occupe tout l’espace littéraire :
De nos frères blessés est un récit sauvage qui tente de réhabiliter, par les mots, la figure oubliée du militant communiste Fernand Iveton, soit le seul Européen exécuté durant la guerre d’Algérie. Fernand, ouvrier engagé, affiche des tendances politiques anticolonialistes. Il se rallie naturellement au FLN. En 1956, il est accusé d’avoir posé une bombe dans une usine d’Alger. (voir notre chronique)
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