Le 35e Salon du Livre de Paris s'enrichit cette année d'une plateforme professionnelle inédite : sur quatre jours, BibliDoc propose aux bibliothécaires des rencontres autour des enjeux contemporains du métier. La programmation ainsi que les deux formules tarifaires proposées ont toutefois soulevé des interrogations dans les rangs des organisations professionnelles.
Le 05/02/2015 à 15:19 par Antoine Oury
Publié le :
05/02/2015 à 15:19
Les rencontres BibliDoc avaient été mises en place pour une première session en 2012, et reviennent donc en 2015 sous une forme nouvelle : « Les enjeux des bibliothèques sont tels, aujourd'hui, que nous avons créé ce cycle de conférences, qui porteront sur le numérique, la prescription, l'accueil du public... Tous les sujets qui préoccupent le métier », explique Bertrand Morisset, commissaire général du Salon.
Une nouvelle scène de 300 places s'installera, du 20 au 23 mars 2015, dans l'espace professionnel pour accueillir les intervenants et les auditeurs. « Nous accueillons chaque année 3500 bibliothécaires du monde entier, qui viennent pour les conférences spécifiques à la profession, mais aussi sur les stands des éditeurs, pour rencontrer des auteurs ou encore organiser leurs futures animations », précise Bertrand Morisset, qui souligne que l'entrée des professionnels au Salon est gratuite depuis 35 ans.
L'argent, "excitateur" de passion
Les premiers reproches des professionnels tiennent au tarif d'entrée pour assister à ces rencontres : deux formules ont été proposées, à 390 € pour les quatre jours, et 290 € pour les deux premiers ou deux derniers jours de conférences. « Nous avons eu de nombreuses remontées interrogatives de nos adhérents, qui ne comprennent pas pourquoi le temps professionnel, déjà très réduit les années précédentes, devient payant, même sur 4 jours, une durée qui n'a, nous semble-t-il, jamais été une demande des bibliothécaires », souligne l'ABF une des seules organisations professionnelles de bibliothécaires à nous avoir répondu sur ce sujet.
Cette dernière, qui compte 3000 adhérents organise son propre congrès chaque année au mois de juin – qui se déroulera à Strasbourg en 2015, sur le thème « Inventer pour surmonter : bibliothèques en tension ». En 2014, le prix pour trois journées était facturé pour les non adhérents, à 350 €. Notons qu'aucune autre organisation de bibliothèque n'a souhaité faire de commentaires concernant BibliDoc – et surtout pas être cité.
La fronde semble s'être organisée individuellement, avec des réactions sur les réseaux sociaux par rapport au tarif d'accès inédit :
les thécaires dites #Nonabiblidoc et réclamez la gratuité au @Salondulivre pour les conférences pro comme avant http://t.co/Zn0x2rGXQ7
— Romain Gaillard (@papa75011) 29 Janvier 2015
@papa75011 ah et on est quand même sur du 290€ au mieux, sinon 390€.Ils sont au courant des salaires dans la culture au @Salondulivre ?
— Amandine (@A77_bibi) 29 Janvier 2015
Pour 290€, je préfère acheter une jolie paire de chaussures plutôt que de remplir les caisses du @Salondulivre !
— Sophie Agié (@SophieAgie) 29 Janvier 2015
Le @Salondulivre qui veut se faire de l'argent sur le dos des bibliothécaires #unehontehttp://t.co/djuUKKTLeG
— Delphinesbooks (@delphinesbooks) 29 Janvier 2015
"Un non-événement"
« Je veux bien entendre les critiques sur le programme, mais chaque plateforme professionnelle engendre des coûts, avec des salaires, de l'équipement, de la maintenance... Je rappelle par ailleurs que le Salon du Livre de Paris ne touche pas de subventions » précise d'emblée le commissaire général du Salon du Livre. « Tous les congrès professionnels sont payants, et nous avons étudié le marché au préalable pour voir ce qui se pratiquait. »
Seuls les modérateurs des conférences seront payés par l'organisateur, précise Bertrand Morisset à ActuaLitté, tandis que les intervenants seront défrayés. « Le fait que BibliDoc soit payant est un non-événement : les bibliothécaires ont des budgets de formation, de moins en moins conséquents, certes, et je le déplore, mais nous n'allons pas chercher l'argent dans la poche des professionnels. Les tutelles fourniront des fonds, comme elles le font pour leur déplacement et leur hébergement dans le cadre du Salon. »
Les tarifs auraient particulièrement agacé, nous explique-t-on du côté des bibliothécaires, parce qu'ils émanent de Reed Elsevier, groupe issu de la fusion de Reed International et de l'éditeur néerlandais Elsevier. Ce dernier, l'année passée, a été particulièrement critiqué pour les tarifs qu'il impose aux bibliothèques, notamment universitaires, pour l'achat de ses catalogues.
En novembre 2013, le ministère français de l'Enseignement supérieur et de la Recherche signait un contrat de 172 millions € avec Elsevier « pour un périmètre de 476 universités et établissements hospitaliers ». « [L]'absence totale de transparence quant au choix du fournisseur (pourquoi Elsevier en particulier ?) et la non-mise en concurrence du marché entre plusieurs acteurs (pour un tel montant, une ouverture de marché public est obligatoire) » avaient été pointées par Rue89, qui y voyait là un scandale universitaire, au moment où les budgets des universités sont rabotés, et où l'open access constitue une alternative économique viable.
De plus, Elsevier est l'un des éditeurs les moins enclins à l'accès ouvert aux publications scientifiques, et l'a notamment prouvé aux Pays-Bas, où les négociations avec les autorités universitaires et académiques sont au point mort.
Pour constituer le programme des 4 jours, Reed Exposition a travaillé seul : « Il était difficile d'organiser des partenariats avec fédérations ou associations pour BibliDoc, car nous couvrons volontairement un spectre très large. Nous nous adressons aux bibliothécaires des communes, à ceux des établissements départementaux, des comités d'entreprises, aux documentalistes... Les organisations professionnelles ont été prévenues de notre initiative, et elles sont invitées à faire part de leurs idées », souligne Bertrand Morisset.
« Il s'agit de la première année sous ce format, et nous voulons travailler avec les organisations professionnelles. BibliDoc ne se substitue à rien, et ne cherche pas à faire concurrence à d'autres congrès », ajoute-t-il pour calmer le jeu. « BibliDoc a aussi pour vocation de mettre en avant de jeunes maisons d'édition, qui viendront présenter leurs catalogues et évoquer la prescription avec les bibliothécaires. »
Les conférences des autres années consacrées aux bibliothécaires rassemblaient entre 500 et 800 professionnels, mais le Salon constitue aussi un point de rencontre important avec les éditeurs, assure le commissaire général. « Nos exposants éditeurs sont très intéressés par les bibliothèques. Elles sont considérées comme un canal commercial important, un outil de culture populaire. Ce sont les bibliothécaires qui font lire les jeunes et les enfants, avant les écoles. »
Certains bibliothécaires estiment au contraire que le Salon ne constituait plus la plateforme idéale pour rencontrer les éditeurs sur les stands, en raison de son côté grand public.
Le commissaire général du Salon du Livre de Paris se dit « satisfait » des réservations enregistrées pour BibliDoc. 200 places devraient être réservées sous peu, avec un maximum de 400 disponibles. Pour cette première édition, les rencontres ne seront proposées qu'en français, en raison de « sujets essentiellement francophones », avec une traduction pour les bibliothécaires de l'international possible pour les prochaines éditions, en cas de succès.
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