Le 24/02/2016 à 14:37 par Antoine Oury
Publié le :
24/02/2016 à 14:37
C'est le premier point sur lequel le Salon du Livre de Paris est régulièrement attaqué. Si l'on parle de la fréquentation, les impressions sont fausses, en regard des chiffres communiqués par l'organisation. Sur les cinq dernières années, seule 2015 a accusé un vrai recul. Non, le problème avec Paris, c'est avant tout son prix : cher, très cher, trop cher. Au point que les organisations représentatives n'ont pas renouvelé la Place des auteurs pour 2016. Elles ne sont pas les seules.
Les chiffres de fréquentation des salons littéraires en France sont un peu comme ceux des manifestations : il y a les chiffres des organisateurs, et la fréquentation réelle – ou, selon la police et selon les organisateurs. Au petit jeu des chiffres gonflés, le FIBD d'Angoulême semble remporter la palme : le Festival annonce régulièrement 200.000 visiteurs dans les allées, mais il semblerait que ce chiffre recouvre les visiteurs qui entrent plusieurs fois dans les Bulles. Ainsi, comme le soulignait ActuaLitté, une étude présentée au Conseil général de Charente en 2015, quelques jours avant la manifestation, évoquait plutôt 20.000 visiteurs.
Pour les autres manifestations, on pourra souligner l'incroyable régularité d'Étonnants Voyageurs, qui communique chaque année sur le chiffre de 60.000 visiteurs, mais aussi l'exactitude et la transparence, semble-t-il, des chiffres de la Japan Expo : même la page Wikipédia de l'événement, fait suffisamment rare pour être signalé, rend compte de la fréquentation de chaque édition.
Nous avons compilé les chiffres de différentes manifestations : il faudra donc prendre des pincettes avec ces données, mais elles fournissent une idée sur la tendance générale. Et le Salon du Livre de Paris n'a pas à rougir, même en comparaison avec ses équivalents européens.
Là où le bât commence à blesser, c'est dans les relations avec le public : le changement du Salon du Livre de Paris en Livre Paris n'aura eu aucun impact sur le prix d'entrée de l'événement, à 12 €. Et cela pour une entrée unique : n'espérez pas revenir un autre jour pour voir un auteur invité...
Les chasses aux dédicaces ont pu empoisonner la vie des organisateurs du Festival international de la bande dessinée d'Angoulême, alors Livre Paris a pris des mesures radicales, avec « 1 à 2 livres » seulement autorisés à l'entrée. Ne pas se précipiter, donc, pour acheter la nouveauté de son auteur favori : mieux vaut attendre le Salon, même si les 12 € prélevés à l'entrée entameront déjà le budget.
@lecturescupcake Bjr, 1 à 2 livres sont tolérés dans l'enceinte de #LivreParis. Cette restriction pour lutter contre le trafic de dédicaces.
— Livre Paris (@Salondulivre) 23 Février 2016
Dans la guerre tacite opposant d’ailleurs Paris à Angoulême, le premier avait bien tenté de jeter l’opprobre sur le second. Un communiqué daté de 2012 indiquait que le Salon du livre parisien se montrerait intraitable sur le trafic de dédicaces. Laissant entendre qu’Angoulême faisait preuve de négligence, au détriment des auteurs, et des exposants. Ah, le business...
L'accueil des auteurs : pas de rémunération
Si l'on se fie aux programmes des différentes éditions du Salon du Livre de Paris, et à la fidélité des auteurs, ces derniers ne seraient pas si mal traités : certes, les séances de dédicaces sont fatigantes et l'affluence est au rendez-vous, mais c'est plutôt bon signe. L'année dernière, le public hagard avait tout de même pu entendre, sur le stand du Brésil, un auteur se plaindre d'avoir été assigné à une table ronde sur le football « alors que je n'y connais rien »... Les aléas de l'organisation.
Interrogé par ActuaLitté lors de la présentation de Livre Paris 2016 sur la rémunération des auteurs pour leurs interventions au cours de la manifestation, Vincent Montagne, président du Syndicat National de l'Édition et coorganisateur avec Reed Expo, répond simplement « Non » à la question de la rémunération des auteurs. Autrement dit, pas de rémunération des auteurs, alors même que celle-ci est vivement recommandée par le Centre National du Livre, et obligatoire pour tous les événements qui perçoivent des subventions du CNL.
Illustration d'Anouk Ricard sur le stand de La Charte des Auteurs et Illustrateurs Jeunesse
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Bertrand Morisset n'est plus commissaire général du Salon, mais visiblement, participe toujours à son organisation. Il explique que « le Salon ne touche pas de subventions, et n'est donc pas contraint de rémunérer les auteurs. Cependant, Livre sur Seine [l'initiative hors les murs du Salon, sur les berges de Seine, NdR] étant aidé par des finances publiques, les auteurs qui interviendront dans ce cadre seront rémunérés. » Si le raisonnement se tient, les auteurs qui prépareront leurs interventions pour le Salon « dans les murs », celui qui n'est pas financé par le CNL, seront clairement laissés pour compte, tout en abattant eux aussi une charge de travail.
« Le Salon est une entreprise privée, je pense qu'elle y réfléchit beaucoup : il faut qu'elle trouve les financements, mais clairement une option est en étude pour 2017. J'estime être beaucoup moins légitime à dire quoi que ce soit d'un Salon intégralement financé par fonds privés et par aucun fonds publics que de demander une réforme dans des festivals et salons qui sont essentiellement financés par de l'argent public, où là je pense que la réforme est juste et justifiée » nous précise Vincent Monadé, président du Centre National du Livre.
« Le partenariat global doit tourner autour de 530.000 ou 550.000 € sur le Salon du Livre, il s'agit d'un partenariat à périmètre constant, permis notamment par l'arrêt la librairie du CNL que la librairie Les Cahiers de Colette ne souhaitait pas renouveler. Puisqu'on récupérait là-dessus, on a décidé de se mettre en partenariat sur Livre sur Scène », ajoute-t-il.
Le Comic Con, un succès médiatique, un échec public
De l'aveu même des organisateurs, difficile de prédire l'accueil qui sera réservé à Livre Paris, même si la barre des 200.000 visiteurs est clairement visée. Toutefois, il est intéressant de mettre en parallèle du Salon, l'accueil qui fut réservé à une autre manifestation qu'a pris en charge Reed Expo, pour sa première édition : la Comic Con Paris. Sur le secteur très porteur des comics et de l'univers geek (il suffit de voir les chiffres de la Japan Expo, plus haut, pour s'en convaincre), Reed a tenté une percée l'année dernière, avec une victime collatérale, d'ailleurs.
Si la filiale américaine Reed Pop rencontre de fameux succès sur les événements qu'elle organise, difficile d'en dire autant pour Reed Expo France, au vu des commentaires des visiteurs. Réunir des médias pour le lancement, ainsi que 30.000 personnes en 3 jours, n'est pas si mal, mais il faudra avancer de solides arguments pour l'édition de cette année.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
En effet, sur la page Facebook de la Comic Con, les critiques pleuvent : « mauvaise organisation, tout était payant toutes sorties définitives... comment fait on quand on à 4 costumes différents ? », « Une catastrophe : une organisation désagréable (toujours sympa de se faire aboyer dessus à 9h du matin dans la file d'attente). Dans le salon, dont on fait le tour en 20 minutes, une dizaine de stands en rapport avec les comics ou la culture geek, le reste complètement à coté de la plaque », « Quand on se targue d'avoir le même organisateur que le NYCC assurer n'est pas une option... », l'orthographe n'est pas toujours juste, mais les commentaires, si.
L'absence de stands de fabricants de jouets et d'action figure, au profit de ceux des boutiques, l'organisation chaotique (exception faite des auteurs qui annulent), le prix élevé et surtout un lieu bien trop exigu pour accueillir tout le monde ont entaché cette première édition. L'absence d'Urban Comics, du groupe Média Participations, l'éditeur des albums DC en France, fut aussi très remarquée...
Certes, il s'agissait d'un lancement, mais il semblerait que l'organisation n'ait pas vraiment pris en compte les demandes du public, notamment des cosplayers et des habitués des conventions, qui sont pourtant son cœur de cible : le lieu restera ainsi le même pour la prochaine édition. Nous avons tenté de joindre Pierre-Yves Binctin, directeur du Paris Comic Con, qui n'a pas encore donné suite à notre appel.
Si les événements organisés par Reed Expo sont loin d'être les pires du secteur, il faut reconnaître que la société traîne pas mal de casseroles et s'est mise à dos une partie de la profession. L'année dernière, les bibliothécaires ont littéralement boycotté l'événement, quand les éditeurs se relaient d'année en année pour laisser des stands vacants. En 2016, les éditions Eyrolles, dont le PDG Serge Eyrolles fut pourtant président du SNE et par conséquent du Salon du Livre de Paris, marquent par leur absence. « Tout un symbole, même si l'on peut croire que leur place n'était pas évidente », assure un observateur avisé.
De même, seules trois maisons littéraires, sur les cinq que compte le groupe Hachette, font leur retour, après la grande absence remarquée de 2015 : Grasset, JC Lattès et Stock. Ou encore la maison indépendante, Héloïse d'Ormesson. Et que penser du fait que Fnac, libraire du pays invité en 2015, le Brésil, et des deux villes Cracovie et Wrocław ainsi que du Square jeunesse, n'ait pas souhaité renouveler son implication ?
Côté grand public, Reed Expo propose toujours des prix parmi les plus élevés pour ses événements, à l'heure où la démocratisation pousse d'autres, comme la Foire du Livre de Bruxelles, à la gratuité...
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