Illustration, cinéma, poésie, chanson, théâtre, littérature... Roland Topor fut sans aucun doute l'un des artistes les plus productifs et les plus polymorphes du XXe siècle. Étrangement, sa postérité n'est pas vraiment à la hauteur : une grande exposition qui s'ouvre à la Bibliothèque nationale de France devrait redresser les torts faits à Topor.
Le 28/03/2017 à 15:24 par Antoine Oury
Publié le :
28/03/2017 à 15:24
Sans titre, Roland Topor, 1975,
dessin pour la couverture d'Histoires comme si de Gérard Klein, éditions 10/18
Lorsque la BnF propose une telle exposition, elle y met les moyens : si l'on n’est pas dans le patrimonial comme pour Pascal, l'établissement national a tout de même pu rassembler une collection impressionnante, composée d'illustrations, de croquis préparatoires, d'affiches, de films et bien entendu de livres. Si l'exposition « Le Monde selon Topor » se concentre sur le versant graphique de son oeuvre, elle rend tout de même justice à la soif créatrice de Topor.
De soif, il en fut aussi question lors de la visite : Alexandre Devaux, historien d'art et commissaire de l'exposition avec Céline Chicha-Castex, évoque souvent Topor comme « quelqu'un qui aimait faire la fête, c'est-à-dire boire ». À travers la quantité d'oeuvres de l'artiste transparaît cet humour permanent, ce regard parfois tendre, souvent acéré qui attaque le réel avec des visions fantasques, délurées et déconcertantes.
S'il aimait s'amuser, surtout en créant, Topor était un infatigable travailleur : « Son grand ami Pascal Thomas racontait qu'il avait emmené Topor à l'île de Ré, où ils avaient fait la fête une bonne partie de la nuit. Au réveil, tout le monde avait retrouvé Topor debout, avec une dizaine de dessins déjà terminés », rapporte Alexandre Devaux.
Couverture du n°IX de la revue Bizarre, juillet 1958, premier dessin publié de Roland Topor
Né en 1938, Topor passe une enfance en Savoie alors que sa famille, juive polonaise, se cache de la police de Vichy. En 1955, « Topor aurait fait exprès de louper son bac » pour s'inscrire à l'École des Beaux-Arts de Paris. Rapidement remarqué, il signe la couverture de la revue surréaliste Bizarre, en 1958. Topor fera ses premières armes dans une presse contestataire et satirique, du journal Action à l'incontournable Hara-Kiri. « Topor fait paraître ses dessins dans la presse, mais n'est pas un dessinateur de presse : pour lui, la fonction du dessin ne fait pas sa valeur », explique Céline Chicha-Castex, conservatrice au département des estampes et de la photographie.
La période est particulièrement propice à l'illustration de presse : s'il se moque de De Gaulle et de Giscard dans le contexte de 68, Topor « avait tendance à penser que mai 68 était une révolution bourgeoise ». Ses dessins sont remarqués à l'international, avec des publications dans le New York Times, Die Zeit, ou encore en Italie. « Topor a eu une vraie carrière américaine, mais sa peur panique de l'avion limite ses voyages aux États-Unis. »
Topor évolue par les rencontres : celle de Roman Cieslewicz, le directeur artistique de Elle, à l'occasion de la revue Kitsch avec Christian Bourgois et Jacques Sternberg le conduit à des interlocuteurs polonais qui publieront ensuite son oeuvre.
Le « coup de marteau » de Roland Topor
Topor ne cherche pas à faire carrière dans le dessin de presse : « Son opposition à la fonction unique des êtres, des objets et des dessins fait qu'il utilise ces derniers à plusieurs occasions, comme son célèbre menton décroché qui apparaît en 1976 dans une campagne d'Amnesty International, mais dont la première publication dans Hara-Kiri remonte à 1966 », expliquent les commissaires.
L'amour véritable de Topor, ce sont les livres : insatiable bibliophile, il a toute sa place dans les murs de la BnF. Très tôt, dès 1960, Topor illustre L'Architecte de Jacques Sternberg, et il n'arrêtera jamais, tout au long de sa carrière, cette activité. Il manifeste a un goût prononcé pour le roman noir, très en vogue à son époque, mais ne recule pas devant les découvertes : entre 1975 et 1977, il réalise pour les éditions Flammarion 120 illustrations pour l'oeuvre de Marcel Aymé, qu'il apprécie et défend vigoureusement.
Cendrillon, Pinocchio (qu'il illustrera deux fois !), les Nouvelles en trois lignes de Félix Fénéon ou le Jean Sol Partre de L'Écume des Jours... Roland Topor développe un goût pour les contes, les récits fantastiques ou absurdes, et « réveille des images qui sont déjà en lui » pour ses illustrations : on y retrouve ce qui fait l'oeuvre de Topor, les déformations, les télescopages ou la cuisine des corps ainsi que l'alliance de l'attirance et du dégoût au sein d'une même image.
« L'art d'équilibrer les risques », Roland Topor,
dessin pour le rapport d'activité de la société SCOR, 1989
Parallèlement à ce travail dans lequel Topor met beaucoup de lui-même, il répond à des commandes alimentaires comme une série jamais montrée au public autour de la commedia dell'arte réalisée pour la compagnie d'assurances SCOR. Si ces travaux sont de pures commandes, le dessinateur ne s'interdit pas de d'illustrer de charmants bons mots autour des différents types de dommages couverts par les assurances, développant son goût marqué pour les calembours.
C'est aussi avec ce type de travaux sur commande, à la demande d'un mécène ou d'un ami, que Topor s'essaye à l'opéra et surtout au cinéma et à l'audiovisuel, qui vont encore faire entrer sa carrière dans une autre dimension. Il faut ici revenir sur l'impact de La Planète sauvage, film de René Laloux sorti en 1973 : ce film franco-tchèque d'animation s'inspire du roman Oms en série de Stefan Wul, adapté par René Laloux et Roland Topor, qui en assure également les dessins, animés par les studios Jiří Trnka de Krátký Film, à Prague.
Le long-métrage reçoit le prix spécial du jury au Festival de Cannes la même année, et reste cité comme une influence incontournable de la SF et du manga. 10 ans après ce succès, avec son ami Henri Xhonneux, il imagine l'émission jeunesse Téléchat, investissant comme d'autres dessinateurs (Cabu chez Dorothée) l'univers télévisuel français. Si l'émission peut laisser des enfants perplexes, le délire de Topor et Xhonneux d'accorder la parole aux objets d'un téléachat est fascinant.
Diffusée dans Récré A2, sur Antenne 2, et en Belgique, Téléchat « sera même acheté par Disney Channel, qui renoncera finalement à la diffuser à cause du décolleté de l'autruche Lola, jugé trop suggestif. “Moi, je ne confonds pas une femme avec une autruche”, commentera Topor », rapporte Alexandre Devaux.
Topor ne s'est pas découvert un soudain intérêt pour le cinéma : dès 1965, il était acteur dans Qui êtes-vous Polly Maggoo ? de William Klein et, l'année suivante, réalisait Les Escargots avec René Laloux. Ses dessins apparaîtront dans Le Casanova de Fellini, il imaginera Marquis en 1989, inspiré de l'enfermement du Marquis de Sade à la Bastille, et sera acteur dans plus d'une vingtaine de films. « Le cinéma lui permettait d'alterner entre des périodes de création solitaires et des périodes de création collectives, comme il aimait à le faire », précise Céline Chicha-Castex.
S'il a traversé et parfois secoué des chapelles artistiques, Topor n'aimait guère s'y attarder : il prend de la distance avec Hara-Kiri (« Choron ne payait pas »), et ne supporte guère l'autorité de Breton sur les surréalistes. Quand il créé lui-même son pseudo-mouvement, le Panique, avec Fernando Arrabal et Alejandro Jodorowsky, il s'agit surtout de se moquer de cette mode et d'élaborer des prétextes pour faire les fous.
#carousel#
La scénographie de l'agence Nathalie Crinière reste assez sage, faite de couloirs et de fugitives liaisons entre certaines parties de l'oeuvre de Topor : elle s'adapte bien à la carrière de l'artiste, multimédia, mais si cohérente qu'il est possible de l'aborder chronologiquement. La conclusion de l'exposition, centrée sur les relations et les jeux de Topor avec le livre, est savoureuse : dans ce temple du savoir et, parfois, de la respectabilité, qu'est la BnF, contempler les livres accordéons, les livres à boutons ou encore les Mémoires d'un vieux con, parodie des mémoires de Cocteau, est jouissif. Le voir barbouiller de mayonnaise des dessins pour Le Tâchier de l'amateur intrigue et amuse, comme ses dessins scatologiques ou cannibales.
« Avec Topor, le délire enfantin peut être élevé au rang d'oeuvre d'art. Il aime s'intéresser à ce que l'on dissimule. » Faisons-en de même pour son oeuvre.
Commenter cet article