Le 45e Festival international de la bande dessinée d'Angoulême a fermé ses portes ce dimanche 28 janvier et fait état d'une fréquentation en hausse par rapport à l'année passée. La place inédite accordée au manga et d'autres facteurs expliqueraient cette affluence. Stéphane Beaujean, directeur artistique du FIBD, a évoqué avec nous les progrès et les chantiers de ce grand événement de la bande dessinée.
Le 30/01/2018 à 16:21 par Antoine Oury
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30/01/2018 à 16:21
Le FIBD 2018 ferme ses portes avec une fréquentation en hausse, selon les organisateurs. Stéphane Beaujean, directeur artistique du Festival d'Angoulême, explique cette affluence par différents facteurs : « D'un côté, nous avons deux facteurs conjoncturels, le retour de la croissance en France, qui a aussi son impact sur le festival, et l'ouverture de la nouvelle ligne TGV, qui a réduit le temps de trajet entre Paris et Angoulême et permis des allers-retours dans la journée, notamment le jeudi et le dimanche. »
Parallèlement à cette situation nouvelle pour la manifestation, la place nouvelle et entière accordée au manga a évidemment porté ses fruits. « Le manga était déjà présent au Festival, mais il existait une sorte de hiatus entre les lecteurs de manga et son traitement au FIBD. Il a désormais toute sa place, en tant que première culture de bande dessinée au monde, de très loin — c'est plusieurs fois le marché français et américain. » La venue déjà annoncée de Taiyo Matsumoto en 2019 est un motif de réjouissance pour les amateurs.
« L'explication derrière cette affluence va toutefois plus loin que le manga : la stratégie du Festival implique plus de transversalité, qui s'observera l'an prochain à travers la programmation comics, puis la musique ou le cinéma pour la suite. Sachant que les acquis des années précédentes restent en place », précise Stéphane Beaujean. La communication, organisée sur 9 mois plutôt que 2, est également plus efficace, signale le directeur artistique.
L'exposition Fairy Tail au FIBD (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
C'est donc une évidence : le pavillon manga du FIBD sera de nouveau au rendez-vous l'année prochaine. Cette année, les places étaient chères, et la file d'attente devant les portes en aura dissuadé plus d'un. « Le vrai problème qui va se poser, c'est de faire en sorte qu'on puisse absorber tous les festivaliers. Cette année, nous avons constaté que tous nos espaces ont été saturés. Cela va faire partie de nos premières réflexions pour l'année prochaine : nous avons atteint notre seuil de capacité d'accueil, et cela se traduira par un arrêt des nouveaux projets ou par un nouveau plan d'infrastructures. En l'état, nous avons rempli la ville au point qu'il semble difficile d'accueillir plus de monde l'année prochaine. »
Après les années de déboire entre les organisateurs du festival — la société 9e Art+ et l'association historique du FIBD —, l'État a désigné un médiateur en la personne de Bruno Racine pour réunir tout le monde autour de la table. Une convention d'objectifs et de moyens a ainsi été signée le 25 janvier entre les différents partenaires de l'organisation du FIBD : « L'idée était de stabiliser la collaboration pour cette année, car 2017 était très instable : on sortait de la médiation et, au mois de septembre 2017, l'organisation rencontrait de nombreux problèmes structurels. Nous avions ainsi réalisé une programmation quasi complète qui a dû être refaite pratiquement en intégralité. La médiation a vraiment sauvé la situation », explique Stéphane Beaujean.
Ce « contrat-tampon » signé le 25 janvier devrait être suivi par une convention pour 3 ans, signée dans l'année.
Côté finances, le festival a de quoi convaincre les pouvoirs publics, assure Stéphane Beaujean. « Aucune subvention n'est donnée à perte, étant données les retombées économiques sur le territoire. C'est pratiquement un investissement pour l'État : 1,6 million € de subventions sont accordées, en grande partie pour les infrastructures qui n'existent pas sur le site — une réflexion est en cours pour changer la situation —, mais les retombées économiques se chiffrent au moins à 2 millions € pour le territoire », assure le directeur artistique du FIBD.
Cela dit, la programmation artistique élargie et les projets liés au FIBD, notamment l'université numérique, le marché des droits ou le festival hors les murs appellent « un véritable engagement de pérennité financière des pouvoirs publics », explique Stéphane Beaujean. « Nous manquons de personnel. Et comme la stabilité financière est incertaine, nous ne disposons pas de moyens suffisants pour asseoir le projet d'un Angoulême hors les murs. »
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Des éditeurs, particulièrement du côté du Monde des bulles, qui accueille les groupes éditoriaux de bandes dessinées (de Delcourt à Dupuis, en passant par Le Lombard, Gallimard, etc.), ont rappelé que leur présence se faisait à perte. « Les éditeurs sont des moteurs du festival, et l'enjeu serait d'équilibrer un peu la balance. Ils sont déficitaires, c'est vrai, mais il est normal que l'événement principal d'une profession le soit : les avionneurs perdent aussi de l'argent au Salon du Bourget. »
L'un des sujets de discussion de ce Festival d'Angoulême fut la rémunération des auteurs pour le temps passé en festival, et en particulier pour les dédicaces. « Nous sommes un festival culturel, la dédicace est un outil de promotion commerciale, qui ne relève donc pas de nos prérogatives », explique Stéphane Beaujean, qui exclut toute possibilité que le FIBD prenne en charge cette rémunération. « Nous invitons des auteurs pour les faire participer à des animations, et ils sont rémunérés pour cela, mais la dédicace n'est pas un outil de médiation culturelle. Je pense qu'il faut que chacun s'interroge sur ses missions et en assume les responsabilités. »
Certains éditeurs avaient pourtant suggéré que, le festival faisant payer l'accès aux bulles, il serait attendu qu'une partie des recettes revienne aux auteurs, dans le cas d'une rémunération du temps passé en festival. « Sauf que la location des espaces dans les bulles se fait à perte : pour que les éditeurs puissent vendre des livres, nous perdons de l'argent », souligne Stéphane Beaujean. « Nous ne sommes pas l'organisateur des dédicaces, nous ne sommes pas le décisionnaire des invités, et, surtout, la pratique mondiale dans les salons est celle-ci. »
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
« Notre mission est la médiation culturelle, et le prix des pass couvre cet aspect du festival. En comparaison, le Salon du Livre de Paris ne propose d'une faible médiation culturelle, et on paie pourtant le ticket d'entrée plein pot pour entrer dans une gigantesque librairie », explique le directeur artistique du festival. « Je ne vois pas comment le volet commercial que représentent les dédicaces pourrait retomber sur les épaules d'un festival, à moins de réduire drastiquement le nombre d'auteurs invités. »
La médiation culturelle, justement, a été épinglée pour son manque d'autrices dans les expositions présentées au FIBD : deux seulement, sur une dizaine, portaient sur des autrices. « Dans la programmation, je pense que nous avons progressé », estime Stéphane Beaujean lorsqu'on l'interroge sur l'évolution par rapport à l'édition 2016, pointée pour son mépris à l'égard des femmes dans la bande dessinée. « Dans la sélection pour les prix, la présence des femmes est le reflet du marché, avec 30 % des albums environ. »
Pour le directeur artistique, « l'édition 2016 a eu le mérite, par ce couac très violent, de révéler un comportement général dans l'édition BD. Si vous observez les votes pour le Grand Prix, les femmes récoltaient peu de votes. Ce qui signifie que les gens s'affichent, mais n'agissent pas. Aujourd'hui, il y a des actes. Par ailleurs, tous nos jurys sont paritaires, sauf pour les sélections, car ce serait abaisser le mérite de tous les auteurs et autrices sélectionnés de pratiquer la parité. Une discrimination positive ôterait toute valeur à la sélection. Sur le plan artistique pur, seuls les livres font foi. »
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