L’absence d’Hilary Mantel de la liste Booker Prize fait des vagues. Sa place, qui était semble-t-il assurée, a tout bonnement sauté. Et la présidence du prix se voit contrainte de justifier ses choix, à mesure qu’enfle la polémique.
Margaret Busby, éditrice britannique, d’origine ghanéenne, milite depuis longtemps pour que l’industrie du livre exprime véritablement une plus grande diversité. Elle avait défendu les choix des jurés, qui étaient ainsi allés dans ce sens.
« Chacun de nous porte des jugements à travers le prisme de ce que nous sommes et de ce que nous avons appris ou intériorisé. C’est pourquoi la diversité a toujours été importante. La diversité est une réalité. » Et d’ajouter : « La portée des livres de cette année nous a permis de savourer des narrations habiles, d’être étonnés par ce que des voix inouïes ont à exprimer. »
Mais les détracteurs n’ont pas manqué, à l’instar de Bernardine Evaristo… ni plus ni moins que la colauréate 2019, avec Margaret Atwood. « La sélection est révolutionnaire pour le XXIe siècle. Si vous cherchez de nouvelles perspectives et des narrations inédites, probablement allez-vous puiser parmi les voix les plus sous-représentées ? »
Alors, finalement, ce prix Booker aurait-il un prisme politique désormais affiché ? Certains commentateurs voient ici une approche qui, plutôt que de célébrer les auteurs les plus méritants — comme Mantel, donc —, salue une diversité réelle.
Le fait est que le Booker Prize a amplement favorisé les hommes, jusqu’à peu : en 2014, un véritable cri poussé par plusieurs autrices déplorait justement cette mise à l’écart systématique des femmes. Or, par extension, toute personne de couleur reprocherait également et sans trop de peine, que ce sont des blancs qui ont remporté le Booker, très largement.
Doit-on en arriver à un jury qui regarderait les ouvrages à l’aveugle ? L’affaire rappelle cette plaisanterie, attribuée à Isabelle Gallimard, quand Bob Dylan avait eu le Prix Nobel. « Il paraît que les jurés reçoivent des livres avec des couvertures noires. Mais quand on reçoit un CD, on comprend qu’il y a une différence, non ? »
Alors qu’Hilary Mantel ne puisse pas, cette année, empocher une troisième fois le Booker Prize, et laisse donc la place à des auteurs venus d’autres horizons — encore que tous ont la citoyenneté américaine en commun, à l’exception de Tsitsi Dangarembga, zimbabwéenne — quel problème ? D’ailleurs, Mantel a assuré qu’elle arrêtait les fictions historiques : il faudra viser d’autres récompenses désormais. Notons que l'intéressée a eu, pour l'heure, la courtoisie de ne pas jeter d'huile sur le feu...
Gaby Wood, la directrice littéraire de la Booker Prize D-Foundation, l’assure : « Personne ne remporte le prix en raison de ce qu’il est. Un livre gagne pour ce qu’il provoque. Ce qui s’est passé témoigne de la foi des jurés — entre autres choses — envers les premières fictions. Ils ont trouvé que ces écrivains avaient beaucoup à dire, et qu’ils l’avaient fait d’une manière bien plus riche, lors de leur seconde lecture. »
Les soubresauts et convulsions autour du Booker Prize et de ses 50.000 £ de dotation pourraient amuser. Mais peut-être que l’on se penchera (il faudrait une âme bien née) un jour prochain sur la sélection 2020 du prix Renaudot – prix de journalistes par essence. Et l’absence non seulement totale de diversité, mais surtout, la quintessence du copinage et de la cooptation dans l’industrie française.
Un jour, peut-être…
via New York Times, Guardian
illustration : JosepMonter CC 0
6 Commentaires
Vae Victis
18/09/2020 à 08:31
Donc si je comprends bien, une fois de plus, un prix n'est fait que pour favoriser des choix politiques : plus de femme, plus de diversité (quelle horreur ce terme...), plus de politiquement correct.
Bref, le scénario, la littérature, le rythme, les bons personnages ne comptent plus. Où à la marge entre sélectionnés de seconde zone (voire de dernière zone, car il faut parfois racler les fonds de tiroirs pour sélectionner des « auteurs » qui rentrent dans les bonnes cases).
Ne venez pas ensuite pleurez qu'il n'y a plus de lecteurs. Un lecteur qui veut lire de la politique s'abonne au Figaro ou à Libé : il n'achète pas un roman.
rez
19/09/2020 à 12:55
je pense que non, que vous ne comprenez pas bien, mais qu'il y a une faute de cela et ce n'est pas la notre: l'utilisation du mot 'politique' comme valise simpliste pour réduire notre vocabulaire (et les possibilités d'aller loin dans nos réflexions). A chaque fois qu'on utilise ce mot là, on finit par créer des dérivés qui ont toujours une signification élastique selon qui l'utilise.
Vu que le monde est un trou assez noir imprégné du patriarcat et d'autres problèmes (et trop de mort(e)s mensuelles pour relativiser), faudrait aussi remettre en question si ces jurés blancs et hommes ont eu vraiment un critère de sélection réceptif à la qualité (dans le bon sens). Je pense que de toute façon ce n'est pas le cas.
Et sinon, un auteur féministe disait, dans son livre 5 ans de métro, que déjà dans les années 90 on entendait que Libé c'est Le Figaro des jeunes. Donc si vouloir de 'la politique' donne ces deux options...
Mitsouko
18/09/2020 à 09:50
Hilary Mantel a déjà eu le Booker deux fois pour ke même livre (le 2eme est la suite du premier). Elle n’allait pas l’avoir encore une troisième fois pour à nouveau le même livre (c’est le 3eme volet de sa trilogie)! Beaucoup plus grave est d’avoir ouvert le prix - le seul qui compte vraiment en Angleterre et a une résonance mondiale beaucoup plus importante que notre Goncourt- aux américains! Ils avaient déjà tous les pays du Commonwealth, des milliers d’auteurs chaque année. Pourquoi y rajouter les États Unis? Est ce que le Pulitzer ou le National Book Award est ouvert aux anglais?? La réponse est NON!
Arthur Magnus
18/09/2020 à 09:54
Bonjour Nicolas Gary !
Comme (il me semble) Vae Victis, je ne suis pas sûr d'avoir compris, à la lecture de votre article, la teneur de la polémique... (au passage, dans le chapô, vous avez écrit "Book" et non "Booker")
"Mantel a assuré qu’elle arrêtait les fictions historiques : il faudra viser d’autres récompenses désormais." : je n'ai pas connaissance que le Booker soit réservé aux fictions historiques. Du moment qu'on écrit des romans de fiction, que celle-ci soit ou non historique, on est éligible au Booker, il me semble.
"(il faudrait une âme bien née)" : je ne doute pas que vous en ayez au sein de la rédaction !
Nicolas Gary
18/09/2020 à 10:18
Bonjour Arthus
Aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre d’années passées dans la rédaction. Mais on va chercher, promis.
Du reste, merci pour la coquille.
Concernant la polémique, il faut avouer qu’elle est assez vaine : Comme un précédent commentaire l’a indiqué (merci !), Mantel a déjà eu deux Booker, ça peut aller. Qu’elle soit absente de la sélection au profit d’autres voix est une thématique/problématique/inquiétude très anglosaxoonne.
En revanche, on en parle — je veux dire : on n’a pas peur de soulever le débat. Qui dans notre beau plateau de fromages de pays a soulevé les sujets qui fâchent sur les sélections de prix de cette année ? Leurs interrogations vs notre silence mettent en perspective quelque chose. Je creuse le sujet. Et j’y reviendrai (pas nécessairement sur l’angle polémique d’ailleurs).
Pour ce qui est des fictions historiques, je vais revoir cela, vous me posez une colle. Je vous en remercie.
Quant à Brennos, la légende est souvent bien courte dans l’esprit : on se souvient fort bien de la razzia des Gaulois sur Rome. Et de ces oies de Junon ! On oublie en revanche la branlée (pardon du terme), que les Romains mirent quelque temps plus tard aux troupes de Brennos.
Vae victis est aussi un avertissement aux vainqueurs : le sort est facétieux, et retourne sa veste sans crier gare.
Vae Victis
19/09/2020 à 08:49
Merci de vos éclaircissements.
En ce qui concerne Brennus (je préfère la version latine), je pense que la formule est plutôt très moderne, au sens de « c'est la loi du plus fort qui prévaut » ou bien une version moderne plus subtile « l'histoire est écrite par le plus fort ».
Personnellement, j'ajouterai avec malice « l'actualité est écrit par les plus forts », sans reproche à Actuallité, même s'il y a chez vous un groupe de journalistes bien engagés politiquement qui (je trouve) nuit à l'équilibre de votre ligne éditoriale.
Bonne continuation.