La grande braderie qui se tient à l'école nationale supérieure des beaux arts, en plein quartier de Saint-Germain-des-Près, a cette année fait parler d'elle. On remettait en question cette vente directe au grand public, mais également l'absence de libraires pour gérer ces ventes. Et plus encore, c'est une forme de distorsion de concurrence, pour ne pas parler de concurrence déloyale qui était pointée… « ActuaLitté » a contacté Pascale le Thorel, présidente du groupe des éditeurs de livres d'art et beaux livres au Syndicat national de l'édition, pour avoir quelques éléments de réponses.
Pascale Le Thorel : Tout d'abord, je tiens à préciser que la braderie dite des Beaux-Arts, est une opération mutualiste des éditeurs d'art, qui se tient depuis l'origine aux Beaux-Arts de Paris, mais que cet établissement accueille la manifestation comme elle accueille des défilés de mode ou divers événements du fait de la mise à disposition de l'espace du Palais des études, sans en être l'opérateur.Les frais d'organisation ont toujours été pris en charge par les éditeurs d'art participants, en proportion de leur chiffre d'affaires. Ils se sont d'ailleurs constitués en association loi 1901 pour son organisation.Cette manifestation n'a pas de lien avec le groupe art et beaux livres du Syndicat national de l'édition, même si de nombreux éditeurs membres du groupe y participent, ce qui a pu introduire une certaine confusion.
Historiquement, la braderie a été mise en place à l'initiative du ministère de la Culture et de la Communication pour permettre aux éditeurs publics de déstocker. J'avais constaté il y a quelques années, alors que j'étais active au sein du groupe art, que cette manifestation, à laquelle les éditions des Beaux-Arts que je dirige ont toujours participé au même titre que les autres éditeurs publics, n'était pas ouverte aux éditeurs privés, qui y voyaient une concurrence déloyale du secteur public. Les éditeurs publics ont alors décidé de revoir leur organisation et de permettre aux éditeurs privés de s'associer.
La braderie des éditeurs d'arts existe depuis plus de vingt ans, elle a existé avant la loi Lang, et après la loi Lang. Les éditeurs se doivent évidemment de montrer l'exemple quant au respect de la loi Lang. La norme veut que les ouvrages mis en vente lors d'opérations de « solde » aient plus de deux ans et qu'un arrêté de commercialisation ait été pris en cas de solde total, ou qu'ils s'agisse d'ouvrages défraîchis en retour de librairie, également de plus de deux ans. [NdR : les défraîchis ; la législation les concernant est à consulter à cette adresse].
La Braderie s'étant tenue le plus souvent aux Beaux-Arts, j'ai depuis toujours effectué, avec la participation des autres éditeurs, un grand tour des participants chaque année. Il nous est arrivé de faire retirer des ouvrages, le samedi matin, sur table, ou le vendredi soir, qui ne correspondaient pas au cadre précité. En effet, de nouveaux éditeurs ses sont agrégés, qui n'en connaissaient pas toujours, lors de leur première participation, les règles à respecter. Toutefois, si pendant le week-end, des éditeurs ressortent un carton avec des livres qui ne sont pas conformes, il est difficile de tout surveiller, mais chaque éditeur est responsable du respect de la loi.
Il faut remarquer également en réponse à votre article et aux interviews que vous avez menés, que certains libraires d'ancien viennent acheter des livres lors de la braderie et qu'ils les achètent moins cher qu'en diffusion et en distribution et se constituent ainsi un stock. Il faut donc rester prudent et lorsque ce point a été abordé auprès des éditeurs, ils ont tous proposé d'en parler avec les libraires et de trouver un accord qui puisse leur convenir. Nous avons des retours sur cette opération chaque année, mais aucun libraire n'a pris contact directement avec les organisateurs de l'événement.
Répondant à la question de la vente directe effectuée par les éditeurs sans libraires :
Pascale Le Thorel : Nombre d'éditeurs ont des librairies : ils ont aussi de plus en plus des sites de vente internet. Les éditeurs, sont diffuseurs, sont distributeurs, donc ils vendent déjà, parfois ou souvent, sur leurs points de vente en direct. La RMN [NdR : Réunion des musées nationaux, qui publie des catalogues d'exposition] a ses points de vente et ses librairies dont les libraires sont salariés ; il en va de même pour Paris Musées, pour les Beaux-Arts, et pour nombre d'éditeurs privés. La question est donc complexe.
Pour ce qui est de la braderie : le contexte de la braderie, c'est une fois par an, un événement à Paris qui permet aux éditeurs de déstocker, ce dont ils ont souvent besoin, sans passer des livres au pilon, ce qui est douloureux pour la plupart d'entre nous. D'autre part, la plupart des ouvrages mis en vente lors de la braderie sont des catalogues d'expositions qui ne sont plus réellement sur le marché. Souvent les éditeurs retiennent pour critère que ces ouvrages n'aient pas fait plus de cent ventes en librairie lors de leur sortie, c'est dire.
Pour les libraires, on sait qu'il y a un grand nombre de magasins qui vont fermer, que le contexte est très très difficile, car nous vivons une période de grande mutation du circuit de diffusion du livre et nous souhaitons être le plus possible à leurs côtés. Mais le contexte est également particulièrement difficile aussi pour les éditeurs, et plus encore pour les éditeurs d'art, parce qu'il n'y a plus véritablement de fonds dans les librairies. Les fonds existent sur internet avec les sites des libraires, des nouveaux diffuseurs en ligne ou via les sites des éditeurs. Il y a encore quelques exceptions notables à Paris, comme la librairie de la Hune [NdR : quartier Saint-Germain-des-Près], la librairie Mazarine ou celle d'Artcurial, pour en citer quelques-unes, si l'on excepte les boutiques des musées, mais pour beaucoup, le rayon livres d'art s'est largement réduit, car il demande un investissement très lourd. »
Mais reste que l'immobilisation est importante, et coûteuse, comme l'explique Pascale le Thorel.
Pascale Le Thorel : Cette braderie a lieu une fois par an, avec un public dédié, de gens qui de toute manière n'ont pas les budgets - étudiants, historiens de l'art, - qui n'achèteraient pas ces livres au prix fort, deux ans a minima après leur parution. Il me semble qu'elle permet donc de donner un accès à la connaissance, à ceux qui sont des fidèles de l'événement, elle permet à certains libraires d'acheter moins cher, elle permet aux éditeurs de déstocker.
Sur l'absence de libraires, justement pour assurer les ventes, durant la braderie ?
Pascale Le Thorel : À partir du moment où l'on offre des livres à -50, -60 %, s'il y a un libraire pour effectuer la vente, cela ne peut pas fonctionner, car la marge pour l'éditeur serait trop faible. Certains éditeurs, toutefois, font appel à un libraire pour l'opération.
On comprend aisément que dans un exercice de déstockage, la présence d'un intermédiaire plombe les finances, et l'intérêt de l'opération.
« ActuaLitté » avait également soulevé une réelle problématique, autour de la vente d'ouvrages, qui ne se faisait pas conformément à la législation en vigueur.Des titres, commercialisés avec remise, qui étaient toujours disponibles à la commande pour des libraires, voilà qui avait de quoi interroger.
Pascale Le Thorel : Encore une fois, si les éditeurs d'art avaient installé un lieu à Paris et que tous les mois, ils effectuaient une braderie, avec déstockage des ouvrages, bien sûr que cela ne serait pas acceptable et en tant que Présidente des éditeurs d'art, je m'y opposerais vigoureusement. Mais un week-end par an, à paris, avec un public d'habitués, cela peut paraître acceptable pour tous et les librairies qui se trouvent dans le quartier ne se sont jamais, à ma connaissance, opposées à l'événement. Bien sûr, nous sommes à la marge avec cette braderie, mais encore une fois, ce n'est qu'un week-end par an. Et les gens qui viennent à cette braderie sont avant tout des personnes qui s'intéressent au livre d'art, pas des gens venus faire des soldes. Il me semble que l'achat d'un livre dans le cadre d'une opération spéciale, entretient le goût pour le livre, et que ceux qui "chinent" à la braderie, vont évidemment rebondir pendant l'année et se rendre chez les librairies pour acheter d'autres livres. Il est important d'entretenir l'appétence.
De toute manière, ce que je tiens à affirmer fortement, en tant que Présidente du groupe des éditeurs d'art et de beaux livres du SNE, c'est que les libraires sont nos premiers partenaires et que nous sommes à leur écoute. Que nous sommes à leur disposition pour imaginer tout ce qui, dans notre secteur, pourrait permettre de les aider, de nous aider, à traverser cette période difficile et de mutation des circuits de diffusion du livre. Nous pourrions évidemment organiser des opérations de déstockage à l'année, leur consentir des prix spéciaux. Depuis l'arrêt de l'opération du mai du livre d'art, la question de l'organisation de nouveaux événements n'a pas été remise sur la table de travail. Il importe que nous nous rencontrions avec le SLF et j'ai demandé à ce que l'on convienne d'une réunion très rapidement avec le président du SLF. »
Pourquoi alors ne pas envisager une journée dédiée, organisant une campagne de remise particulière en librairie. En affirmant clairement ses intentions, avec des remises officielles, et impulsées par les éditeurs, on disposerait d'un événement national ?
Pascale Le Thorel : Pourquoi pas ? Les éditeurs avaient vaguement projeté de faire une braderie à Marseille, et de faire des événements en région, en sachant que les salons du livre d'art en région ne fonctionnent pas très bien, le SNE l'avait éprouvé avec les libraires, lors de la mise en place du Mai du livre d'art à Nantes. Lorsque cette opération marseillaise avait été envisagée, le SLF avait reçu des retours négatifs, et les éditeurs avaient immédiatement arrêté de réfléchir à cette opération. À ce moment, nous avions ouvert largement la discussion, en demandant que des propositions soient faites. Et nous sommes preneurs de tout ce qui pourrait nous être proposé. Les éditeurs essaient de survivre, les libraires essayent de survivre, notre cause est commune.
Que peut-on faire pour débloquer des événements ?
Pascale Le Thorel : Il faut inventer, se réunir pour trouver des idées. En région, dès que l'on sort des grandes villes, les gens commandent sur internet, il ne faut pas se voiler la face. L'habitude d'acheter en librairie se perd. Les jeunes achètent leurs produits sur internet, livres, vêtements, ou téléchargent ; les librairies, j'affirme que ce sont des lieux de vie, et que la rencontre avec un livre ne se produit pas sur internet, ni par une recherche précise. C'est parce que l'on se trouve dans un endroit, et que l'on flâne, et que l'on s'intéresse et que l'on se passionne que l'on découvre un livre. Et il faut que les librairies vivent, mais peut-être qu'il faut trouver d'autres moyens pour les aider à vivre et par la même les éditeurs, car l'un ne va pas sans l'autre.
Cette mutation, nous sommes en plein dedans, et tout le monde s'en plaint. Nous devons ensemble trouver des solutions, car notre intérêt, nos passions sont communes.
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