Les fées ont une histoire. Tel est le message que Claudine Glot, plus connue pour être présidente historique du Centre de l'Imaginaire arthurien en Brocéliande, fait passer depuis plusieurs décennies. Au fil de son ouvrage publié fin octobre dernier chez Ouest-France, la fée se fait sous sa plume figure de contestation et féministe avant l'heure. Rencontre.
Le 21/11/2014 à 09:23 par Tsaag Valren
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21/11/2014 à 09:23
Amélie Tsaag Valren : Bonjour Claudine. Vous commencez un ouvrage pour raconter l'Histoire des fées et en filigrane, tout un contexte de revendications féministes se dessine. Hasard ou volonté militante ?
Claudine Glot : Le féminisme est devenu le fil rouge imprévu de cet ouvrage, mais ce n'était pas du tout mon idée de base. Je ne me considère pas comme une militante féministe, j'estime simplement que les femmes doivent se montrer vigilantes. La fée se mêle naturellement aux revendications féministes, elle incarne la quête des femmes pour davantage de libertés. Pourquoi la fée ressurgit-elle sans cesse, changeant de forme, pourquoi s'y intéresse-t-on moins à certaines époques… Elle est l'image d'une liberté absolue, un recours féminin. Pendant les périodes les plus dramatiques pour les libertés de la femme, la fée permet de s'affranchir des pressions de la société. Elle est en quelque sorte un recours.
La période la plus évidente – révélatrice de cet état de fait – est sans doute le XVIIe siècle. Pendant la première moitié du siècle, l'instruction leur est refusée. Ensuite, elles n'y ont droit que partiellement. Il en est de même pour le monde de l'écriture, de la littérature. Mais grâce aux contes de fées de cette époque, qu'on leur laisse un peu comme un terrain de jeu pas très sérieux, elles s'offrent la possibilité de s'exprimer.
Le conte du Grand Siècle, ce n'est pas une forme de conte que j'aime – trop moralisateur, trop formaté, je préfère les contes plus sauvages. Mais les fées y agissent en faveur des femmes, comme chez Rose de la Force où elles s'opposent à un mariage forcé, venant en soutien à l'héroïne. Un autre conte m'a frappée, dans lequel un couple vit ensemble sans se marier à la fin – pour l'auteur, c'est clairement la meilleure des fins. Dans ces contes du XVIIe, derrière refus du mariage forcé, toutes les autorités de l'époque sont remises en cause : l'autorité patriarcale, l'autorité religieuse, l'autorité royale… Ce sont les signes avant-coureurs des revendications féministes, peu prises au sérieux dans le contexte de l'époque. Mais la fée ne s'arrête pas à cela. Elle joue un grand rôle dans une querelle qui nous paraît bien lointaine aujourd'hui, celle des anciens (qui défendent l'omniprésence de la culture latine) et des modernes. Les contes (de fées ou non) sont en quelque sorte l'âme du peuple. Et parmi eux, les fées sont comme un coin enfoncé dans un miroir de certitudes, un cheval de Troie passant dans le camp adverse et que l'on retrouve dans les combats libertaires.
Retrouver Les fées ont une histoire, en librairie
A. T.-V. : La fée est donc un personnage fondamental ?
C. G. : Sans être fondamentale, elle est symptomatique dans beaucoup de passages de notre histoire. Prenons la naissance des mouvements nationalistes au XIXe. Systématiquement, des personnages surnaturels féminins issus de mythes, de contes et de légendes vont être invoqués pour souder le peuple autour de sa nation. Il n'y a pas de fées chez Ossian, mais ses personnages féminins issus de la mythologie celtique sont de même nature. On parle beaucoup de sources d'inspirations gréco-latines pour les fées, et de sources germaniques avec le personnage du nain. Mais la mythologie celtique, en particulier irlandaise, a joué un très grand rôle. Les femmes surnaturelles de ces épopées sont avant tout des femmes fortes, des puissances agissantes. Certes, elles rassemblent toutes un côté « esprit de la nature », mais elles se révèlent dans l'action, entraînent le héros dans l'Autre Monde, le poussent à trahir ses interdits ou le punissent quand il trahit ses engagements... Avec les fées des contes féminins du XVIIe, nous sommes plus proches des personnages mythologiques irlandais que des nymphes et des dryades gréco-romaines — qui fascinent les hommes quand ils les aperçoivent dans la forêt — ou de la culture germanique.
A. T.-V. : Votre ouvrage est très documenté, mais en même temps simple à lire et facile à comprendre, avec une très abondante iconographie…
C. G. : Merci, c'est une volonté de travailler pour un public très vaste. Forcément, cela induit quelques simplifications et des raccourcis. J'ai fait des choix, sans développer jusqu'au dernier argument. En ce qui concerne l'iconographie, je la rassemble depuis trente ans et pour compléter j'y ai travaillé avec deux iconographes de chez Ouest-France (j'en profite pour remercier ici toute l'équipe éditoriale, grâce à qui nous avons bouclé ce livre plus vite que je ne l'aurais espéré). Nous avons trouvé beaucoup d'éléments, mais il y a toujours des périodes et des textes peu ou pas illustrées. Nous avons pris le parti de ne pas utiliser de photos de lieux, pour garder une cohérence. En raclant les fonds documentaires, on se rend vite compte que certains contes et certaines scènes sont illustrés à outrance, alors que d'autres ne le sont pas du tout. L'iconographie provient aux trois quarts du XIXe siècle. J'ai quand même pu partager des tableaux que j'apprécie particulièrement, comme celui de John Byam Liston Shaw, où l'on se rend compte que « l'esprit de l'automne » fait la part belle à des fées très haute couture, en robe du soir de l'époque (1904) !
Claudine Glot aux Utopiales 2011 - Harmonia Amanda
A. T.-V. : Justement, pourquoi ce choix d'arrêter l'exploration de l'histoire de la fée au début du XXe ?
C. G. : Si le livre avait pu être plus gros, j'aurai bien aimé parler du XXe siècle. Avec le format qui m'était proposé, soit je parlais du XXe siècle en édulcorant (en gommant carrément) énormément d'aspects, soit je n'en parlais pas du tout. Le XXe est une période énorme en ce qui concerne la féerie. Il faut intégrer les États-Unis, qui vont nous offrir une production foisonnante, et le Japon. Il faut aussi intégrer des modes d'expression complètement nouveaux, du cinéma au numérique. Je ne pouvais pas tout survoler. L'idéal serait que je puisse écrire un second livre sur l'Histoire des fées, partant de 1870, en insistant aussi un peu plus sur l'Allemagne. Un autre problème du XXe siècle est qu'il est très facile de se tromper d'interprétation et de hiérarchisation, surtout dans les œuvres les plus proches.
Claudine Glot dédicacera Les fées ont une histoire pendant le salon du livre de Noël à la petite maison des légendes, Concoret (56 – Bretagne), le 6 décembre prochain. Elle sera aussi les 28-29 novembre à Bannalec et à Quimperlé (29 – Bretagne). |
Tout au long de son histoire, la fée apparaît et disparaît comme une plante qui marcotte, elle ne nous lâche jamais. Au XIXe, elle est présente dans beaucoup de lieux où l'on ne l'attend pas. En Angleterre, on le sait, mais en France aussi, avec le spiritisme, la musique, le conte… Même les décadents se sont attachés au royaume des fées. Mais on reste dans une optique très XIXe siècle. Ensuite, il y a une vraie cassure en 1914, avec la Première Guerre mondiale. Je tenais à terminer l'ouvrage par une histoire qui me parle. Je ne suis pas une fan absolue d'Alice au Pays des merveilles, même si j'en comprends l'humour par l'absurde et l'érudition. J'ai préféré clore sur Peter Pan, une histoire qui elle me fait réellement vibrer.
A. T.-V. : Comment abordez-vous la croyance aux fées ?
C. G. : Aborder les croyances n'est pas mon objet. Je ressens la nécessite des fées autrement des gens qui ont besoin de les matérialiser. Je ne suis pas plus choquée par quelqu'un qui me dit croire aux fées que par quelqu'un qui me dit croire en Dieu. D'ailleurs, j'envie les gens qui croient...
A. T.-V. : Les jeunes qui se lèvent aujourd'hui pour défendre la nature et les forêts, ils vous inspirent quoi ?
C. G. : On a le sentiment d'une jeunesse qui se bat pour la nature… mais 75 % d'entre eux rêvent aussi de devenir fonctionnaires ! Rechercher la féerie, c'est avant tout chercher à se libérer des contraintes. C'est simple, les Anglais de l'époque victorienne, qui croulaient sous les contraintes, s'évadaient beaucoup plus que nous dans les univers merveilleux.
A. T.-V. : La faute à ce contexte morose ?
C. G. : Le contexte actuel est morose, c'est vrai. Nous agissons comme des enfants gâtés. Par le passé, les gens de la campagne n'avaient rien de ce que nous possédons. Mais ils gardaient un tissu de contes et de croyances qui les encadrait, qui leur donnait des racines. La jeunesse autour de moi cherche à retrouver ça. C'est une lutte contre une certaine misère spirituelle. L'envie de chercher autre chose qu'un culte à la sortie du prochain iPhone 7 – il est déjà annoncé ou pas ? – le goût des fées est un besoin spirituel. Ce n'est pas en assouvissant notre besoin de matériel que notre société ira mieux. Notre misère est ailleurs… J'ai la chance d'avoir autour de moi des jeunes qui lisent et qui se projettent dans des jeux de rôle Grandeur Nature, donc dans des « Autres Mondes » où ils peuvent jouer un rôle et agir, devenir eux-mêmes des héros. Il faut pouvoir garder une trace de la fée comme force féminine liée à la nature.
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