RNL19 — Les Rencontres nationales de la librairie ont pris un tour plus revendicatif, à Marseille, alors que les libraires demandent une hausse du taux de remise pratiqué par les distributeurs à leur égard, pour atteindre 36 %. D'autres sujets préoccupent la profession, en plus de la menace que représente l'achat de livres sur internet, largement défavorable aux librairies. Le Syndicat souhaite aussi mettre en avant la lecture au cours d'une campagne nationale inédite, en cours d'élaboration. Entretien avec Xavier Moni, président du Syndicat de la librairie française.
Le groupe Hachette, qui a boudé les Rencontres nationales de la librairie, Editis, Madrigall et autres tentent de leur côté de prendre le contrôle de la diffusion-distribution, dans une logique de concentration. Ce phénomène est-il inquiétant pour la librairie ?
Xavier Moni : Ces dix dernières années, le paysage éditorial s'est considérablement modifié et nous avons assisté à un phénomène de concentration. Quand je regarde les chiffres de la librairie aujourd'hui, si je prends les quatre grands groupes que sont Hachette, Editis, Madrigall et Média-Participations, j'arrive à 90 % du chiffre d'affaires. Cela facilite le quotidien en matière de suivi comptable et de facture, mais le phénomène de concentration ne peut pas être nié. Derrière celui-ci, il y a des logiques financières et des nécessités de rentabilité de plus en plus fortes.
L'accrochage avec Hachette de cette semaine y est peut-être lié, je ne sais pas, mais il est la traduction d'une difficulté à avancer sur certains dossiers avec le groupe Hachette, notamment à l'égard des librairies les plus petites et les plus fragiles. Notre prise de position n'était pas une tribune contre Hachette, elle cherchait à montrer les forces et les faiblesses de la librairie. En tant que président du syndicat, je suis là pour défendre une profession, pour montrer comment nos partenaires peuvent s'appuyer sur nous et avoir confiance en nous, mais aussi alerter sur les faiblesses : sur une certaine typologie de librairies, nous pouvons dire merci au CICE, qui nous permet de garder la tête hors de l'eau. Et on ne peut pas s'en contenter.
Si nous avons cité le groupe Hachette, c'est parce que la presse l'avait déjà fait, mais aussi parce qu'il est leader sur le marché. À titre individuel, en tant que chef d'entreprise, quand je négocie avec un groupe qui représente 20 % de mon chiffre d'affaires, les enjeux ne sont pas les mêmes qu'avec un groupe qui pèse pour 4 % de mon CA. Quand on est numéro 1 sur un marché, on est soumis à plus de pression de ses clients, c'est naturel. Mais ce n'est pas une déclaration de guerre au groupe Hachette, je regrette que les équipes ne soient pas présentes, nous aurions continué à discuter ensemble, avec les différents éléments mis sur la table. L'observatoire de la librairie et les études nous ont donné des éléments, ainsi qu'une vue à long terme : à présent, discutons des évolutions.
Certains sujets reviennent régulièrement à l'occasion des RNL, comme la pratique de l'office sauvage, ou le non-respect des dates de mise en vente... Ils ne seront jamais résolus ?
Xavier Moni : Sur la date de mise en vente, en tant que libraire, cela m'agace que des confrères ou d'autres réseaux de vente mettent un livre en vente avant la date prévue. Aujourd'hui, des outils collectifs nous permettent d'identifier les fautifs, ce qui a permis d'avoir un effet positif. J'ai l'impression que les libraires font plus attention, que les autres réseaux de vente aussi : nous n'allons pas faire intervenir la police. Ce que nous avons demandé aux distributeurs, c'est de refaire une information auprès de tous leurs clients, en expliquant qu'il est essentiel de respecter la date de mise en vente.
Les offices sauvages sont un véritable scandale, selon moi, et depuis longtemps. Il y a quelques années, pour endiguer cette pratique, le SLF a imposé une facturation de ces offices en mettant à disposition des libraires une facture type à renvoyer au distributeur qui chiffre ce que coûte l'office sauvage. Il s'agit d'une manière symbolique de rappeler qu'en tant que libraire, il n'est plus possible d'accepter des livres qui n'ont pas été commandés. Les libraires sont vent debout contre ces pratiques, et les plus petites structures sont les plus touchées par ces dérives. Dès l'instant où des pratiques de ce type surviennent, il n'y a plus de confiance.
D'après vous, il vaut mieux laisser l'interprofession se réguler plutôt que d'imposer des règles commerciales inscrites dans la loi ?
Xavier Moni : Si la règle commerciale était inscrite dans la loi, cela m'irait bien, mais je considère quand même qu'une entente commune sur ces questions ne relève pas de l'utopie. Quand on demande 36 % de remise de base, c'est sans doute un geste plus fort, avec des conséquences plus importantes sur les diffuseurs.
Les missions du Médiateur du Livre ne devraient-elles pas évoluer pour couvrir ces champs ?
Xavier Moni : J'ai encore espoir que la profession puisse se réguler. Nous y travaillons, d'ailleurs : dans le cadre des travaux de la commission des usages commerciaux SLF/SNE, qui se réunit tous les deux mois environ sous la présidence de Maya Flandin et de Pascale Buet, nous débattons de ces questions. Notre proposition, c'est l'évaluation du protocole des usages commerciaux, qui date de 2008, pour en reprendre un certain nombre de points qui nécessitent aujourd'hui d'être actualisés, ceux que nous avons évoqués ou encore l'envoi de PLV [Publicités sur le Lieu de Vente, NdR], une question d'ordre économique et environnemental.
Sur les usages commerciaux, avec la commission que j'ai dirigée pendant cinq ans avant Maya Flandin, j'ai appris la lenteur et la patience, c'est un autre rythme : certains points étaient déjà évoqués il y a cinq ans, certes, mais il a été possible d'avancer sur d'autres. Je ne pense pas, donc, qu'il soit nécessaire de faire intervenir quelqu'un d'extérieur à la profession sur ces questions. En revanche, je ne dirais pas la même chose sur les questions d'affichage par les plateformes en ligne. Un acteur, Amazon, ne veut pas signer la charte proposée, et de telles situations de blocage appellent une prise de responsabilités des pouvoirs publics.
Le Syndicat de la librairie française porte une revendication simple : un taux de remise minimum de 36 % de la part des distributeurs. Comment a été fait ce calcul ?
Xavier Moni : Une librairie qui peut s'en sortir, de manière générale, rémunère ses collaborateurs, paye son loyer - les deux postes de charge les plus importants —, subvient au quotidien de l'établissement et dégage un salaire pour le libraire. Je dirais que c'est le minimum. Car les librairies sont des entreprises, qui évoluent dans un environnement et ont besoin de s'adapter à ce dernier. Aujourd'hui, toute entreprise a besoin d'investir : or, les excédents bruts d'exploitation sont bien trop faibles aujourd'hui et ne permettent plus d'investissements.
On ne cesse de dire qu'on a bien résisté à la déferlante numérique : c'est vrai, mais une majorité de librairies, aujourd'hui, ne peut plus investir, ce qui menace cette résistance. Dans ce cas de figure, les librairies vont peu à peu passer pour des commerces d'hier. En deçà d'une remise de 36 %, ce n'est pas possible d'éviter cette situation.
En demandant 36 %, nous ne demandons pas de priver quelqu'un d'autre d'une part de revenus : il faut que les éditeurs repensent leurs réseaux de vente, en se demandant si tous méritent la même rémunération. Le transfert pourrait se faire dans ce sens-là. À plusieurs reprises, j'ai dit aux éditeurs de faire le choix de la librairie : il s'agit du réseau le plus stable, qui se montre fidèle aux éditeurs. Si j'étais éditeur, je ferais le choix d'accorder de meilleures conditions commerciales aux réseaux les plus qualitatifs.
On a l'impression que les auteurs et les libraires sont dans une situation proche, en tant qu'éléments déjà fragiles de la chaine du livre, de plus en plus fragilisés. Vous sentez-vous solidaires ?
Xavier Moni : J'y ajouterai les éditeurs indépendants, qui pour beaucoup se retrouvent dans une situation difficile. Depuis quelque temps, il y a des malentendus, notamment autour du fameux camembert de la répartition du prix du livre. J'ai beaucoup apprécié d'être invité aux États Généraux du Livre, où ce camembert a été présenté, ce qui m'a permis d'expliquer la réalité derrière cette répartition.
Je comprends qu'un auteur aux faibles revenus voit ce camembert et en déduise que la part du libraire est importante, mais les 36 % du prix du livre servent à rémunérer des libraires qui exercent un métier exigeant pour 1600 € brut par mois, ce que je ne pense pas être démesuré. Cela ne répond pas à la problématique des auteurs aujourd'hui, qui est évidemment un sujet préoccupant.
Une étude présentée au cours des Rencontres nationales de la librairie présente l'activité des libraires sur internet comme « un échec » : sera-t-il possible de changer la donne ?
Xavier Moni : Avec les ventes en ligne, nous sommes un peu comme une poule devant un couteau : des modes de consommation se sont déportés sur internet, et la réponse des libraires reste artisanale, avec nos moyens. Pour développer une alternative à Amazon, la réponse que nous proposons est la géolocalisation. Cela s'accompagne d'une communication aux clients en expliquant que l'achat sur Amazon n'est pas la seule option, mais nous nous heurtons toujours aux frais de port : si je vends peu en ligne, c'est parce que je les fais payer.
Quand on ajoute aux frais de port à 1 centime la possibilité d'acheter de l'occasion présenté comme du neuf, évidemment qu'il y a un avantage concurrentiel sur le prix. On a parfois l'impression que ce monde numérique n'est pas fait pour les petits, qu'il exclut ou condamne à occuper des niches.
À l'inverse, donner la possibilité de réserver un livre pour le retirer en magasin est une réponse possible, qui peut ensuite se prolonger par la possibilité de faire circuler les livres entre les librairies, comme l'a fait Librest par exemple. Mais cela reste une pratique urbaine.
Nous n'avons pas les moyens de proposer la gratuité sur les frais de port, d'où notre réflexion sur la tarification des frais postaux sur les envois de livres. Nous insistons lourdement auprès des pouvoirs publics sur ces questions, parce que cela changerait la donne de pouvoir expédier un livre pour 1 €. Prendre 2 € à charge sur un envoi de 30 €, je pourrai l'envisager, mais 6 ou 7 €, je ne peux pas, c'est ma marge.
Ensuite, nous pouvons communiquer sur l'indépendance, sur ce que nous représentons, sur l'alternative à Amazon : cette petite musique, elle commence à prendre sur une typologie de citoyens.
Le syndicat ne se fait pas trop entendre sur PNB, le Prêt Numérique en Bibliothèque : quel est le bilan de cet outil ?
Xavier Moni : La question est complexe, car le marché du prêt numérique ne concerne que peu d'appels d'offres et peu de libraires. Nous avons du mal à faire de la prospective, en raison de nos modèles économiques contraints : la mission du syndicat est de donner des outils et de nourrir la réflexion des libraires sur l'avenir. Sur le numérique, tant qu'ils ne sont pas confrontés à la demande, ils n'y vont pas, et quand ils vont, j'ai l'impression que PNB satisfait et que certains des libraires vont s'emparer de l'opportunité de proposer des livres audio numériques.
Une récente étude de l'Hadopi et du CSA alerte sur une position dominante de Google et d'Audible sur le marché du livre audio : le fait que ce marché soit accaparé au détriment des libraires est-il inquiétant ?
Xavier Moni : Le livre audio numérique est un marché émergent, aux mains de ces deux acteurs. Je m'en inquiète, et d'autant plus lorsque j'entends Audible faire de la publicité sur Radio France. Sur ce marché, je ne dirais pas que nous sommes exclus, mais nous partons avec un énorme handicap, dès le début de la course. Là-dessus, on se demande presque s'il est nécessaire de se lancer, si nous en avons les capacités, même si c'est un marché générateur de valeur.
Sauf erreur de ma part, il n'y a pas de loi sur le prix unique du livre audio numérique : nous avons alerté le ministère de la Culture sur cette question, mais Audible a bien repéré cette absence et communique donc à grands frais autour de son offre, jusqu'à devenir un acteur dominant sur le marché. Nous demandons une régulation et une véritable volonté politique, pour ce marché là aussi.
Quel est l'objectif de la campagne sur la lecture lancée avec le Syndicat national de l'édition et la Société des Gens de Lettres ?
Xavier Moni : Cette campagne est amorcée autour d'un constat : nous n'avons jamais eu de projet commun autour de la question de la lecture. Je pense qu'il est nécessaire d'aller chercher de nouveaux lecteurs et clients, et nous allons sans doute travailler avec des « ambassadeurs de la lecture », pour parler à ceux qui, pour telle ou telle raisons, ont peur, n'ont pas envie, ont coupé les liens avec la lecture, notamment les jeunes.
Ce qui m'a frappé, il y a 4 ou 5 mois, en écoutant un entretien avec Abd al Malik, c'est qu'à un moment, il a évoqué son enfance au sein de la cité du Neuhoff, à Strasbourg, un milieu difficile, en expliquant que ce qui l'avait sauvé, c'était la lecture. Quand on entend ça, on se dit que ce n'est pas rien, peu de choses font cet effet. Les premières discussions avec la SGDL et le SNE ont fait ressortir cette idée d'ambassadeur. Et je pense que nous n'avons pas tout essayé pour faire ressentir le plaisir de la lecture, y compris pour les personnes qui ne rentrent pas dans les librairies.
1 Commentaire
almon gilles
02/07/2019 à 14:20
ne serait il pas le bon moment pour que vous rencontriez les dépositaires de presse indépendant avec qui vous pourriez peut être trouver de la synergie logistique ou commerciale