Lorsque Guillaume Perreault lit des histoires, il imagine des images. Celles-ci prennent différentes apparences selon le ton, le style, l’univers et les propos de l’auteur dont il s’applique à mettre les mots en relief dans son propre langage. Graphiste de formation et illustrateur de plus en plus courtisé, Guillaume Perreault prend également goût à l’écriture.
Le 13/06/2017 à 15:00 par Auteur invité
Publié le :
13/06/2017 à 15:00
Le deuxième titre qu’il signe comme auteur et illustrateur, Le facteur de l’espace (La Pastèque), a d’ailleurs remporté un prix Pépite des lecteurs France Télévision des petits, en décembre dernier. Dans l’entretien qui suit, le créateur né à Rimouski et établi à Gatineau nous parle de sa manière d’aborder l’illustration et des enjeux liés au métier d’illustrateur dans le milieu littéraire québécois.
Propos recueillis par Josianne Desloges
En partenariat avec Collections la revue de l'ANEL
G.P. :Plus jeune, je dessinais fréquemment et constamment. En fait, je ne me souviens pas d’avoir fait autre chose. Je n’ai jamais vraiment prêté attention à ce que j’allais faire plus tard, mais je devinais que ce serait proche de l’art, parce que les notes en français et en math n’étaient pas terribles. Le design graphique me permettait de donner à l’art une application concrète.
G.P. :J’alterne entre plusieurs projets. Je commence l’illustration d’un album jeunesse avec La courte échelle. Sinon, il y a Le facteur de l’espace numéro 2 et un projet de BD pour adultes avec Mécanique générale, qui est encore un peu dans la brume. J’ai fait beaucoup de projets avec d’autres auteurs et je trouvais que ça faisait un petit bout de temps que je n’avais pas fait quelque chose de plus personnel. Je trouve ça intéressant d’avoir le contrôle complet de l’œuvre [texte et images] et je veux essayer d’en faire un peu plus.
G.P. :Je crois qu’il y a beaucoup de facteurs. Il faut être au bon endroit au bon moment, mais, aussi faire du bon travail, le remettre à temps, être professionnel. Ce que je trouve décevant de bien des gens en art, c’est qu’ils croient que c’est un domaine à part. Pour moi, l’art, c’est quand même une commodité, c’est quand même une business. On peut faire un travail artistique tout en mettant un petit chapeau d’entrepreneur et en allant serrer des mains dans les lancements et les vernissages. Oui, à la base, il faut être un bon illustrateur, mais tu as beau être le meilleur dessinateur au monde, si tu ne prends pas le travail au sérieux, aucun éditeur ne voudra travailler avec toi.
G.P. :Je crois que mon style n’est pas encore au point. Je suis encore en mode exploratoire, j’utilise encore différentes colorations, différents traits, différents médiums, je me laisse influencer par mes envies. Il y a des styles que j’ai essayé, que je n’ai pas aimés et que je n’ai pas refaits. Mais ça vient peut-être aussi de mon expérience en graphisme, où on est plutôt là pour répondre aux besoins du client, donc on n’a pas le choix d’adapter son style.
G.P. : Pour Même pas vrai, de Larry Tremblay, aux Éditions de La Bagnole, on a décidé de faire un livre entièrement en noir et blanc. Le texte de Larry était quand même assez chargé, il vient du domaine du théâtre et ses dialogues peuvent être longs. Comme les textes avaient déjà beaucoup de sens, étaient déjà assez profonds, ça ne servait à rien de mettre une image colorée et explosive. J’ai fait du dessin à la main, au graphite, ce qui permettait au texte de vivre pleinement, tout en ajoutant une certaine douceur et une certaine vie qu’on n’aurait pas trouvées avec un dessin numérique.
Aux 400 coups, Petites histoires pour effrayer des ogres, de Pierrette Dubé, où l’ogresse achète un sac à main qui s’avère à être un vrai crocodile qui tente de les dévorer, m’amenait dans un tout autre univers. Je me suis inspiré des dessins qui accompagnent les contes classiques. Le village dans lequel vivent les ogres fait très « banlieue anglaise ». Il y a un côté rétro, beaucoup de hachures, des couleurs ternes qui font penser à des dessins à l’encrier.
G.P. : Je n’ai jamais vraiment pensé devenir un auteur. Quand j’étais au primaire et au secondaire, j’avais beaucoup de difficultés en français et ça m’a découragé. Je n’étais pas mauvais en composition, mais j’étais mauvais en grammaire et en orthographe. J’ai réalisé après que mes textes étaient en fait très intéressants ! Ils avaient un sens, l’histoire était punchée, je développais des personnages qui avaient de l’allure, mais ça paraissait mal, parce que je n’étais jamais capable de me corriger correctement. Donc je n’ai jamais imaginé que je pourrais devenir écrivain. Ensuite, j’ai trouvé des gens qui pouvaient me donner un coup de main. Un « s » de temps en temps, ça ne doit pas nous bloquer si on a des choses à raconter.
G.P. : Cumulus [publié chez Mécanique générale en 2014] raconte l’histoire d’un jeune garçon qui se lie d’amitié avec un nuage. Le livre devient un monologue où il parle de ses problèmes : la séparation de ses parents, un déménagement, la difficulté de se faire des amis... Des choses qui semblent presque banales, mais qui pèsent lourd sur l’enfance. Le message là-dedans est qu’il faut parfois laisser-aller et faire son deuil, mais chaque personne le voit d’une manière un peu différente. À la fin, le nuage s’en va, et le garçon doit comprendre qu’il n’était que de passage dans sa vie.
G.P. : On suit Bob, le facteur, contraint de faire des livraisons qui l’agacent, et même qui lui font un peu peur. Il est casanier et aime sa petite routine. L’inconnu l’inquiète. Ça porte sur le fait qu’il faut apprendre à avoir le sens de l’aventure et à voir le bon côté des choses. Dans l’adversité et dans tous les petits pépins de la vie, je crois qu’il y a quelque chose de positif.
G.P.: Je ne suis pas le plus grand des lecteurs, alors parfois je me sens mal, surtout depuis que je suis auteur. Je n’étais pas un fan de romans, mais j’ai lu mes classiques [de la bande dessinée], les Tintin, les Astérix, les Boule et Bill, les Garfield. Je sautais un peu de l’un à l’autre. Je crois que j’aimais les Tintin parce que, chaque fois que je visitais mon oncle, j’en lisais un. Il avait des figurines, des éditions spéciales... c’était un vrai collectionneur. Il semblait tellement fasciné par ces bandes dessinées que ça m’a marqué de constater qu’on pouvait être aussi passionné d’une série de livres.
G.P. : Ma collection est constituée aux trois quarts de livres jeunesse. J’ai l’air d’avoir une garderie à la maison ! Ça devient comme une bibliothèque, je les prête aux enfants de ma famille et de mes amis. J’aime que les livres circulent. Sinon, j’ai beaucoup de bandes dessinées. Un de mes auteurs fétiches est Tom Gauld. J’aime son dessin, sa manière d’écrire, son humour, son esprit.
G.P. : J’ai sorti Le facteur au printemps, puis je crois que Mooncop est sorti cet été. J’ai trouvé ça très drôle de voir qu’il sortait « un métier dans l’espace ». C’est un méchant hasard. Chose certaine, quand je vais le croiser, on va s’en parler.
G.P. : J’aime qu’en l’espace d’une trentaine de pages, on tombe à la fois dans l’univers d’un illustrateur et dans l’univers d’un auteur. L’histoire est courte, rapide. C’est un défi de captiver un jeune en si peu de pages et de développer un personnage, d’avoir un message, des actions. Ceux qui croient que c’est facile de faire des livres jeunesse se trompent complètement.
G.P. : C’est une question d’envie. Je connais plusieurs illustrateurs qui n’ont jamais touché à la littérature jeunesse, donc ce n’est pas nécessairement une porte d’entrée [dans le milieu de l’illustration et de l’édition]. J’adore le livre jeunesse, ça vient naturellement, j’imagine bien les personnages et les décors. J’ai le goût d’explorer autre chose pour aller toucher d’autres sujets, essayer un autre genre d’humour, d’autres scènes, d’autres dialogues.
G.P. : C’est encore un peu flou, mais je travaille sur l’histoire de deux amis de longue date qui ne se sont pas croisés depuis longtemps. La vie les a poussés dans différentes directions. L’un des deux est devenu cambrioleur. Je trouve le sujet du vol et du cambriolage assez fascinants. C’est quoi l’amitié proche quand tu te perds de vue ? Le cambriolage, est-ce vraiment une mauvaise chose ? Il y aura nécessairement une touche humoristique. Je voulais aussi que le point de départ soit une relation, et non un personnage, pour briser le moule.
G.P. : Le milieu du livre est dynamique, on sort plein de beaux projets, mais, côté financier, tout le monde sait que ce n’est pas évident. On a beau travailler fort et sortir beaucoup de titres, puisqu’on ne reçoit que 10 % du prix du livre si on est auteur et illustrateur et un maigre 5 ou 6 % si on est uniquement illustrateur, ça ne donne pas un gros salaire au bout du compte.
Je me rattrape avec les affiches et les illustrations publicitaires et corporatives, pour des organismes ou des festivals. J’ai un gros contrat avec Brother Canada, qui produit des imprimantes. Mais je ne suis pas devenu agent d’immeubles pour arrondir mes fins de mois. Être payé pour dessiner, c’est quand même extraordinaire.
G.P. : Je pense qu’on est à une époque où on peut habiter n’importe où et contacter n’importe qui. Je pourrais être à Gatineau et faire des contrats à Tokyo. J’ai de bons contacts avec les gens de Montréal, où sont la plupart des maisons d’édition, mais j’ai aussi développé un bon réseau dans la région.
Il y a différentes instances gouvernementales, autant francophones qu’anglophones, et c’est clair que ma position ici a pu m’aider à être favorisé. Notre table à dessin peut être n’importe où, mais, comme je disais plus tôt, il ne faut pas avoir peur de se déplacer dans les lancements et les salons du livre.
G.P. : Je serais satisfait de simplement continuer sur ma lancée. Je crois qu’avec Le facteur de l’espace, j’ai déjà de belles reconnaissances. C’est clair qu’il va y avoir un Facteur no 2, on verra s’il y a un Facteur no 3. Je suis extrêmement content de faire mon travail d’illustrateur et je serais heureux de sortir plus de titres comme auteur.
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