Il est le grand patron du plus puissant groupe littéraire au monde, Penguin Random House – plus de 3,5 milliards € de chiffre d'affaires. Markus Dohle est originaire d’Allemagne et règne sur 320 maisons et 50.000 nouveautés chaque année. Et quand il s’exprime, on se dit que l’avenir de l’industrie du livre est au bout de la main...
« Le secteur connaît la meilleure période de ces cinquante dernières années... et peut-être des cinq cents dernières. Il y a toujours des experts pour parler de la fin [du livre], mais ce n’est pas le cas. » S’exprimant à l’occasion du Forum Edita devant la Barcelona School of Management, Markus Dohle a fait sensation.
Et de lister en six points les raisons de son enthousiasme : d’abord, le marché mondial qui ne cesse de croître. De même, le nombre d’exemplaires en circulation, qui suit cette tendance. Ensuite, « nous avons un modèle de distribution stable, qui a aujourd’hui aux livres physiques les ebooks et les audiolivres ».
Point trois : la relation entre pbooks et ebooks s’est stabilisée ces derniers temps, avec un rapport de 80 % contre 20 % dans le chiffre d’affaires. « Qui l’aurait cru, voilà dix ans ? » Autre élément, la planète compte plus de lecteurs chaque année, en raison de l’accroissement du taux d’alphabétisation.
Enfin, points cinq et six : les modifications des règles du commerce électronique ont permis de commercialiser des livres où la librairie n’existe pas. Et pour conclure, la littérature jeunesse et Young Adult fait des bonds, « ce qui annonce un bel avenir ».
Et Markus, se posant en roi de la divination, y va de son coup de sonde dans la boule de cristal : « Dans dix ans, il y aura plus de livres audio que de livres numériques, c’est l’avenir. En Espagne, on a du mal à le croire, parce que cela n’a pas commencé, mais c’est le secteur le plus développé. Écouter comment on raconte une histoire nous rapproche de l’expérience originelle : de la manière dont ont débuté les histoires, cela nous ramène à la voix de nos parents. »
Or, pour y parvenir, les outils de distributions sont essentiels. Paule du Bouchet, Présidente de la commission livre audio du SNE, avait fait ce constat lors d’une journée dédiée : le développement de la 4G et de l’écoute en mobilité a largement favorisé le développement du livre audio.
Dohle ne dit pas autre chose : internet permet, désormais, de livrer chaque jour de l’année des livres partout dans le monde. Le livre numérique, à ce titre, est bien ce que le livre de poche fut au développement économique de l’industrie de l’édition. Mais pour autant, si « Amazon aide à atteindre plus de gens... un algorithme ne recommande pas correctement, un livre : il est mieux de passer par un libraire ».
Bien entendu, le géant américain campe sur une position de domination du marché, ce qui ne va pas sans poser problème. Mais c’est aussi un client, dont les commandes font plaisir, affirme Dohel. Et représente à double titre un danger pour la librairie, rapporte La Vanguardia.
Pour autant, de quelle position parle Dohle ? Celle de grand patron de PRH, groupe qui a ralenti volontairement sa production de livres numériques, pour se concentrer sur l’imprimé et l’audiobook. Autrement dit, qui ne va pas dans le sens de l’histoire : il œuvre à une prophétie autoréalisatrice.
Or, et une fois encore, cette question ne pourra pas être évitée ad vitam aeternam, la recrudescence d’une consommation de livres audio nécessite d’examiner les conséquences à venir. Quelle relation à la lecture d’un texte s’établira avec le temps ? Et comment l’audiobook modifiera-t-il les comportements ?
En somme, écouter trois audiobooks par semaine est merveilleux, on se retrouve baigné d’histoires. Mais ce n’est pas lire – et l’on sait combien lire est un sport cérébral fondamental. Se détacher du texte au profit de l’écoute implique de réfléchir profondément à ce qu’il adviendra – et refuser d’interroger le devenir de l’alphabétisation revient à se voiler la face.
Sans même prendre en compte, mais juste pour le plaisir tout de même, que cette relation 80 % pbooks contre 20 % ebooks n’est qu’artificielle. Sans le procès porté contre Apple voilà cinq ans maintenant, et la condamnation de la firme, le secteur aurait poursuivi sur sa lancée.