Depuis quelque temps maintenant, le monde littéraire entend parler d'échanges non marchands et s'interroge sur le devenir de ses oeuvres, dans un écosystème numérique où le piratage s'organise si simplement. Or, ce n'est pas faute de le répéter, du piratage au partage, il n'y a qu'une syllabe de perdue. L'écrivain Neil Jomunsi évoque d'ailleurs non « un dommage collatéral », mais « une finalité ». La Hadopi, pour sa part, réserve sa réponse...
Le 23/11/2013 à 10:58 par S.I. Lex Calimaq
Publié le :
23/11/2013 à 10:58
La Hadopi a lancé depuis le mois de juillet des travaux sur la faisabilité d'une rémunération proportionnelle du partage (RPP), à propos desquels j'avais déjà eu l'occasion de m'exprimer. L'approche retenue me paraissait particulièrement dangereuse et biaisée dans la mesure où elle semblait revenir à nier le fait que certains échanges en ligne d'oeuvres protégées s'exerçaient dans une sphère non-marchande, alors que celle-ci doit être reconnue et constituer le périmètre d'une démarche de légalisation de ces pratiques, comme le préconise notamment La Quadrature du Net.
Cette semaine, la Hadopi a annoncé que ces travaux allaient se poursuivre en coopération avec l'INRIA concernant les aspects économiques et avec l'Institut de Recherche en Droit Privé de l'Université de Nantes pour la partie juridique. La Hadopi a publié à cette occasion une note de cadrage qui précise le dispositif qu'elle envisage pour cette rémunération proportionnelle du partage, et qui modifie même assez sensiblement les orientations initiales dévoilées en juillet. J'irai jusqu'à dire que ce document recèle même une surprise de taille, puisque la Hadopi valide une des positions essentielles des groupes qui militent depuis des années pour la reconnaissance du partage et la fin de la répression : le partage des oeuvres en ligne, lorsqu'il s'effectue dans un cadre non-marchand, ne doit faire l'objet d'aucune compensation au profit des titulaires de droits et il doit être légalisé.
Ce n'est pas la première fois à vrai dire que la Hadopi rejoint dans ses travaux les positions des militants de la légalisation. A deux reprises, en 2011 et en 2012, dans des études sur les pratiques des internautes, la Hadopi était arrivée au constat que ceux qui téléchargent illégalement sont également ceux qui dépensent le plus pour des biens ou des activités culturelles. Un tel résultat est capital, car il démontre que l'idée selon laquelle le partage cause un préjudice aux industries culturelles et à l'ensemble de l'écosystème de la création est tout simplement fausse, alors qu'elle constitue le fondement de la politique aveugle et absurde de répression mise en oeuvre depuis des années. Une étude de la London School of Economics vient d'ailleurs récemment de le confirmer à nouveau en ce qui concerne la musique : non seulement le partage ne détruit pas les industries créatives, mais au contraire, il peut encourager la consommation de biens culturels.
Pour autant, ce que propose la Hadopi n'est pas exempt de défauts, loin s'en faut ! Notamment, sa rémunération proportionnelle du partage revient en effet à un système de légalisation des échanges marchands, sans autorisation des ayants droit, reposant sur une taxation des intermédiaires intéressés financièrement dans les pratiques d'échanges et d'accès aux oeuvres. Cela veut donc dire que la Hadopi propose un système dans lequel un MegaUpload deviendrait légal, à condition qu'il s'acquitte d'une redevance versée aux titulaires de droits… Les propositions de la Quadrature visent au contraire à légaliser le partage uniquement dans le cercle délimité des échanges non-marchands entre individus, afin de favoriser le retour à des pratiques décentralisées.
Néanmoins, même si ces propositions restent difficilement acceptables en l'état, il faudra se souvenir que la Hadopi elle-même, tout comme SavoirsCom1, la Quadrature du net ou même le Parti Pirate, a admis que le partage non-marchand ne devait faire l'objet d'aucune compensation et être légalisé ! C'est un beau testament qu'elle nous laisse pour les débats futurs, avant sa disparition…
Hadopi au pays du partage
Dans sa note de cadrage, la Hadopi commence par admettre que "le partage est consubstantiel à Internet" et elle le définit dans les termes suivants :
le mot « partage » s'entend comme l'ensemble des usages couvrant toutes les formes de mise à disposition et d'accès à une oeuvre ou un objet auquel est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin, sans l'autorisation des titulaires desdits droits, sur un réseau de communications électroniques et qui sont réalisés à des fins non lucratives par toute personne physique connectée à ce réseau.
Une telle définition me convient tout à fait. Par contre, elle poursuit avec des propositions qui, à la première lecture, m'ont parues complètement inacceptables :
Un postulat est alors de considérer que l'exploitation des oeuvres sur les réseaux est irrémédiablement affectée par le développement des usages de partage et qu'une solution doit dès lors être recherchée pour que le droit d'auteur et la rémunération des créateurs tiennent compte de cette situation, de fait, persistante et exponentielle, dans l'intérêt commun de la création et du public.
Le principe général du dispositif est de créer une rémunération compensatoire à ces usages en contrepartie de laquelle ils deviendraient licites, réinscrivant de ce fait les titulaires des droits dans la chaîne de valeur alimentée par leurs oeuvres, tout en permettant et le développement d'offres commerciales à forte valeur ajoutée et les innovations.
Certes pour la première fois, la Hadopi parle explicitement de légaliser le partage (ce qui n'était pas clair dans la précédente étape de son étude), mais elle retombe également dans les vieilles lunes des lobbies des industries culturelles. Elle avoue en effet elle-même partir d'un postulat : celui selon lequel le partage constitue un préjudice pour les industries créatives, qui appelle une compensation, alors même que cela est démentie par les études économiques que j'ai rappelées plus haut (dont certaines émanent de la Hadopi elles-mêmes…).
Je m'apprêtais donc à tirer à boulets rouges sur cette note de cadrage, mais la suite détonne avec ce postulat de départ, notamment en ce qui concerne la sphère non-marchande du partage.
Le partage non-marchand ne doit pas être compensé
Plus loin, la Hadopi expose en effet les principes de fonctionnement de la rémunération proportionnelle du partage qu'elle envisage. Cette rémunération serait due par les intermédiaires réalisant des gains à l'occasion des échanges (On pense à des sites de Direct Download ou de streaming payants ; des sites comme T411 monétisant le ratio imposé entre individus ; pourquoi pas aussi YouTube et ses recettes publicitaires, etc).
Mais ensuite, la Hadopi précise que ce dispositif reposerait sur un "seuil" au-dessous duquel la rémunération ne serait pas due :
Dans le cas minoritaire des usages n'entrainant aucun gain, la rémunération due est égale à 0.
Il existe par ailleurs un seuil en deçà duquel, la rémunération est supposée égale à 0. Cela recouvre les cas usages n'entrainant que de très faibles gains et les intermédiaires dont l'implication dans la chaîne de consommation est marginale (coefficient très faible).
Pour autant, le bénéfice de la contrepartie (licéité de l'usage) reste acquis pour les utilisateurs et les outils auxquels ils recourent.
Il est donc bien admis que les échanges entre individus s'effectuant dans un cadre strictement non-marchand seraient légalisés, sans aucune rémunération à verser C'est donc bien que le partage non-marchand n'a pas être compensé. Et la Hadopi va même plus loin puisqu'elle admet que de faibles gains puissent être réalisés (certaines plateformes en ont besoin, ne serait-ce que pour couvrir les coûts liés à l'entretien des serveurs ou des listes, si l'on songe par exemple à un annuaire de liens).
A la lecture de la précédente note de la Hadopi, on avait l'impression qu'elle entendait démonter l'idée qu'une sphère non-marchande de partage puisse exister et c'est ce qui m'avait fait réagir. Mais sa nouvelle note reconnaît bien la possibilité d'existence d'une telle sphère autonome, même si elle prend le soin d'ajouter qu'elle est "minoritaire". Il faut néanmoins saluer cette évolution et encore une fois relever la convergence avec le point de vue de ceux qui militent en faveur de la légalisation depuis longtemps.
Commenter cet article