En début de semaine, le Syndicat national de l'édition a fait savoir à ses membres quelle était la position officielle sur la question de l'abonnement et de l'offre de lecture illimitée. Le verdict est tombé sans étonner personne : si l'éditeur ne fixe pas le prix, « les offres d'abonnement [...] ne sont pas légales ». Sauf exceptions connues et exposées dans la loi – offres à usage de la recherche, à but professionnel ou d'enseignement supérieur. Kindle Unlimited et les autres acteurs prendraient donc une rafale de plomb. Vraiment ? En réalité, la parade est déjà à l'œuvre chez Amazon.
Le 06/02/2015 à 16:31 par Nicolas Gary
Publié le :
06/02/2015 à 16:31
Comme une faille dans la matrice...
Alex E. Proimos CC BY 2.0
Au terme de l'analyse menée par les juristes du SNE et d'autres, le couperet est donc tombé. « Nos membres agiront en conséquence, et les très rares éditeurs qui avaient proposé des ouvrages ne le faisaient qu'à titre d'expérimentation. Et surtout, avec des offres anciennes, et aucune nouveauté, bien entendu », nous précisait la secrétaire générale du SNE, Christine de Mazières. L'idée d'une incomptabilité de l'offre d'abonnement avec la loi Prix Unique du Livre Numérique (PULN) de mai 2011 faisait d'ailleurs l'unanimité, ou quasi, dans l'interprofession : le Centre national du livre, la Société des Gens de Lettres ou encore le Syndicat de la librairie française s'y étaient résolument opposés.
Le contrat en or, ou presque
Premier aparté : une difficulté se pose, comme nous le faisait remarquer un éditeur éloigné de la vie germanopratine. « Avec Youboox ou Youscribe, ou même izneo (offre exclusivement BD), nous sommes rémunérés en fonction du nombre de pages lues. Nous percevons alors un pourcentage, dont nous reversons partie à l'auteur. Dans le cas d'Amazon, c'est notablement différent : quand le livre est ouvert, dans le cadre de Kindle Unlimited, la société nous achète l'ouvrage, comme s'il s'agissait d'une vente unitaire. De la sorte, nous reversons à l'auteur le montant de droits convenu contractuellement. »
Ainsi, Amazon avec Kindle Unlimited disposerait de l'offre contractuelle la plus à même de convenir, notamment pour les écrivains. Puisqu'ils perçoivent les droits d'auteurs sur une vente numérique classique, il semblerait tout de même qu'Amazon soit bien placé.
Ne pas dire : liseret mais il lira
Second aparté : depuis le 22 octobre 2014, Amazon a lancé une offre d'emploi pour recruter, en France, un éditeur pour des manuscrits originaux, comme le soulignait l'annonce. « Nous recherchons un éditeur innovant, passionné, avec une bonne connaissance du marché afin d'acquérir des œuvres exceptionnelles pour nos maisons d'édition. Vous serez responsable de l'acquisition de fictions, des relations avec les auteurs et vous travaillerez avec le marketing, la publicité, la production et les équipes de relation aux auteurs pour proposer des livres de qualité et des expériences d'auteur de calibre mondial. »
Autrement dit, et c'est là une grande première, Amazon s'apprête à créer une maison d'édition, pour publier des ouvrages sous sa propre marque éditoriale, Amazon Publishing. Un métier loin d'être simple, comme en avait témoigné Ed Park, qui avait été recruté en 2011 et quittait l'aventure en novembre 2014. Une fois parti, il mettait « au crédit d'Amazon Publishing [que] si j'étais très impliqué dans un livre, je pouvais lui accorder toute son importance, et cette autonomie est plutôt rare ».
Amazon Publishing a été créé en mai 2009 (il s'appelait AmazonEncore), et dispose à ce jour, outre-Atlantique, de près de 15 maisons chacune orientée sur une thématique très ciblée. En mars 2014, une division est ouverte en Allemagne, et la société américaine tente également de commercialiser sa production en versions imprimées, dans les librairies.
En novembre 2012, Amazon France assurait à ActuaLitté que la stratégie d'une ouverture de maison d'édition n'était « pas d'actualité pour la France, où le marché n'est pas encore aussi développé. Nous sommes dans une période d'apprentissage, et bien que de grandes évolutions aient eu lieu, nous ne sommes pas encore parvenus aux mêmes besoins ». En janvier 2015, les conditions sont différentes.
L'offre multi-éditeur, illégale... donc ?
Revenons à nos moutons : l'offre d'abonnement a été donc été condamnée par l'interprofession, et ActuaLitté avait également émis de vives réserves, suite à une analyse juridique un peu méticuleuse. Finalement, seul Emmanuel Pierrat, avocat bien connu dans l'édition et travaillant pour son client Youboox, estime que ce type d'offre est légal.
Le SNE estime pour sa part qu'une offre d'abonnement multi-éditeur est incompatible avec le légalisation, et les éditions ePoints (filiale du groupe La Martinière Seuil) se sont alors lancées dans une expérimentation, pour proposer leur propre solution d'abonnement – 10 heures de lecture pour 4,99 €. Une approche qui rentrait dans les clous de ce qu'impose la loi sur le prix unique du livre numérique, comme nous le faisions remarquer. Ici, c'est bien l'éditeur qui fixe le prix de vente de son offre, dans un bouquet de titres, avec cette spécificité chez ePoints d'une dimension reposant sur la chronolecture.
Mais pourquoi Amazon l'emporte-t-il, quand bien même l'offre de streaming/abonnement illimité serait déclarée illégale ? Pour une raison simple, et que Alain Kouck, PDG du groupe Editis, avait pressentie tout en se prenant les pieds dans le tapis. Il avait en effet comparé le principe des Clubs France Loisirs à l'offre Kindle Unlimited, estimant que l'offre d'abonnement du premier était identique, sinon très proche, de l'offre instaurée par le second.
Inexact, et gentiment inexact, mais uniquement parce qu'à l'époque, Amazon n'était pas éditeur, contrairement à France Loisirs. Maintenant, on comprend alors mieux que la société, pour le territoire français, se mette à recruter pour un poste d'éditeur – avec en perspective l'ouverture d'une filiale éditoriale. Le poste, au sein du Landerneau germanopratin, fait d'ailleurs jaser : qui osera postuler ?
Amazon, bientôt éditeur et Club de livres
Rappelons toutefois les conditions dans lesquelles s'opère la vente de livres, dans le cadre du Club, et qui restent très encadrées :
Les clubs fixent eux-mêmes le prix des livres qu'ils publient, toutefois, ils ne peuvent déterminer un prix de vente au public inférieur au premier prix de vente au public que neuf mois après la première édition. Les « clubs » ne peuvent pas accorder des rabais sur leurs propres prix, si ce n'est dans la limite légale des 5 %, ils sont soumis au respect du prix unique et ne peuvent pratiquer un rabais supérieur à 5 % qu'après deux ans d'édition (on peut leur faire grâce des six mois de stock puisqu'ils n'ont pas d'approvisionnement comme peuvent en avoir les détaillants classiques).
Amazon devenu éditeur, et se positionnant, alors comme un Club de lecture, avec une franchise qui s'intitulerait Kindle Unlimited, qui se préoccupera de ce que l'offre d'abonnement soit légale ou non ? La firme achètera les livres, dans un délai de 9 mois à compter de la date de dépôt légal de la première édition, conformément aux dispositions de la loi Lang, « en vue de sa diffusion par courtage, abonnement ou par correspondance, à un prix inférieur à celui de la première édition ».
De la sorte, la firme américaine pourra constituer un catalogue riche, varié, et décider en son âme et conscience du prix de vente public, à l'unité, et d'instaurer une offre d'abonnement pour 9,99 € mensuels. En toute légalité...
Il se trouvera certainement des maisons pour s'y opposer – on imagine mal Antoine Gallimard ou Arnaud Nourry, qui ont tempêté, publiquement ou non, contre l'offre d'abonnement, faire tout à coup volte-face. Mais une petite maison à qui l'on ferait une offre difficile à refuser, comment fera-t-elle ? Quand on connaît les fonds qu'Amazon abonde dans la cagnotte destinée aux auteurs qui ont confié leurs titres à l'offre Unlimited, ou encore, pour ceux qui prêtent leurs titres dans le cadre du service Amazon Prime – on compte en millions de dollars... – qui serait à même de résister, sinon pas conscience politique, citoyenne ou éthique ?
Mais dans un marché du livre toujours plus difficile quand on ne dispose pas de best-sellers, jusqu'à quand pousse-t-on le civisme ? Sachant que les autres sociétés qui se sont lancées ne disposeront jamais des moyens d'Amazon pour faire des rachats massifs de droits...
Amazon deviendra donc éditeur, rachètera des droits de livres grands formats, les publiera à travers sa maison, et instaurera une offre d'abonnement, qui sera bel et bien fixée par un éditeur. Un seul et unique éditeur.
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